Michael Spyres, une bénédiction dans la Sainte-Chapelle

Le festival a deux ans d’existence et un programme d’une solidité à toute épreuve. Cette saison voit se succéder Hervé Niquet, Jeanine de Bique, Julie Fuchs, Alexandre Duhamel, Marina Viotti, Mélanie Sierra… et bien sûr, Fabienne Conrad, excellente maîtresse de cérémonie, quand elle n’est pas elle-même au chant.

Le lieu, chef d’œuvre du gothique rayonnant, est un écrin incomparable et son acoustique, où règne une réverbération très modérée, s’avère quasi idéal pour des récitals-piano. Depuis la disparition des regrettés « Instants lyriques », la capitale se retrouvait orpheline du genre et le festival s’affirme donc comme un beau rendez-vous qui, on l’espère, va s’inscrire dans la durée avec cette extrême qualité du programme. Plaisir supplémentaire, Fabienne Conrad en artiste lyrique professionnelle qui connaît son affaire a, ce soir, introduit les différents airs en alternant français et anglais, en tenant compte du public anglophone de Spyres. À ce professionnalisme, elle a ajouté un bel humour, rappelant notamment que lorsque Rossini constatait qu’un air était trop difficile pour un homme, il le transposait… pour voix de femme.

Ainsi, vendredi 12 avril, on pouvait savourer un récital d’un Michael Spyres nous démontrant que ses incursions de « baryténor » dans des répertoires inhabituels pour un artiste venant du belcanto (son répertoire du jour), ne produisent pas de dommages sur sa voix. Bien au contraire, celle-ci reste saine et continue à s’élargir, l’artiste se trouvant désormais à l’aise dans tous les registres. Il nous a ainsi proposé quelques chansons tirées de cycles composées par Rossini et ses compatriotes et, évidemment, quelques airs d’opéra.

Dès le « Amori scendete » (Beltà crudele) de Rossini, Spyres prouve que la voix est vaillante, l’aigu (voire le suraigu) toujours aussi sûr, les vocalises lentes sont parfaitement maîtrisées et l’ensemble est exécuté avec un très beau legato. Pour suivre, c’est Meyerbeer, compositeur contemporain de Rossini (que le ténor a souvent servi par le passé) et un hymne d’adieu à la vie (« Suono funereal ») tiré d’Il crociato in Egitto avec lequel Spyres peut développer l’étendue actuelle de sa voix. Puis, accompagné du toucher alangui de Mathieu Pordoy, le ténor a admirablement déployé la phrase bellinienne de « La  Ricordanza», un air dans lequel on trouve les origines de « O rendetemi la speme », un des airs d’Elvira tiré des Puritains.

L’on retrouvait ensuite les aspérités du « Mi lagnerò tacendo », dont le texte est de Métastase et qui est extrait des Soirées musicales, publiées en 1835.

Phénoménal !

Parmi les nombreuses qualités de Michael Spyres, on a toujours noté un goût du défi, caractérisé par l’interprétation d’airs d’opéra extrêmement difficiles. Le « Cessa di più resistere » est l’un de ceux qui font reculer bien des artistes, et qui est fréquemment coupé dans les représentations du Barbiere di Siviglia. Mais, c’est avec une gourmandise non dissimulée que Spyres (qui n’a, toutefois, vocalement, pas vraiment les caractéristiques de ténor léger du Comte Almaviva) a montré qu’il sait toujours allier une puissance étonnante avec une souplesse et une vitesse d’exécution quasi parfaite des vocalises les plus folles, agrémentées d’aigus et suraigus. L’on a pu alors se rappeler qu’il y a aussi chez le « barytenor » auto proclamé, une part de phénomène vocal.

Un moment de récupération était alors bienvenu, ce qui permit à l’excellent accompagnateur qu’est Mathieu Pordoy, de montrer la douceur de son touché dans l’un des « Quelques riens pour album » – également Péchés de vieillesse de Rossini -, dont le titre rappelle l’auto-dérision dont le compositeur savait faire preuve et qui, musicalement, évoque les préludes de Chopin, alors que ce sont plutôt les Nocturnes qu’évoque le magnifique cycle qui suit.

Car, c’est sur les sublimes sonnets de Pétrarque de Franz Liszt (composés dans les années 1838-1839) que Pordoy et Spyres ont clôturé le programme « officiel » de la soirée. Le ténor s’est alors affirmé comme un interprète quasi parfait pour ces trois morceaux, dans lesquels l’émotion n’est nullement incompatible avec une richesse du chant, ici appuyée sur la longueur du souffle, la générosité de la voix et, notamment, d’un registre aigu à tout moment, extraordinairement contrôlé dès le « Pace non trovo ».

C’est alors un véritable instant de grâce, qui s’est poursuivi avec le « Benedetto sia’ l giorno » et trouvait son acmé dans un « I’vidi in terra » sublime, où piano et chant ont pu dialoguer en totale harmonie, la respiration et l’incarnation de l’un répondant à l’absolue délicatesse de l’autre. Ce sont alors réellement des dernières notes divines, comme suspendues, qui se sont élevées dans l’époustouflante nef de la Sainte-Chapelle.

La soirée, dense, fut donc exceptionnelle… et singulière puisque c’était également le double anniversaire conjoint des deux artistes. Le public en aura profité pour tenter, s’associant à la célébration, de chanter des « happy birthday » dans une joyeuse cacophonie et dans toutes les langues.

Il ne restait qu’à Spyres et Pordoy de prendre congé de nous, non sans panache, avec une folle « Danza » de Rossini, le ténor, osant en note finale, lancer un aigu triomphant s’ouvrant si puissamment qu’il en a saturé l’espace ; un ténor donc qui regorgeait encore de suffisamment d’énergie pour aller finir la fête ailleurs…