Avec le plaisir de constater la réapparition des opéras de Donizetti sur les scènes européennes (mais malheureusement pas à Paris), on constate que cette nouvelle production hambourgeoise comporte de nombreux atouts, tels le travail fouillé et très illustré de la metteuse en scène, Karin Beier, la direction passionnée d’Antonino Fogliani et une distribution de bon niveau, avec une Ermonela Jaho plus tragédienne que jamais.
Après le retour de Maria Stuarda au Teatro Real de Madrid, c’est cette fois sur les bords de l’Elbe que réapparaît le destin en musique belcantiste de la Reine d’Écosse.
Dans la grande Histoire, cette dernière fut condamnée à mort par sa cousine Élisabeth 1ère (et cela, pas uniquement, pour de mauvaises raisons). Paradoxalement, le geste aberrant et sacrilège d’Élisabeth, décidant d’envoyer son égale à l’échafaud, a contribué à la construction du mythe de Maria Stuarda.
Avec le temps, une multiplicité d’interprétations de ce geste ont été échafaudées. C’est, précisément, sur la complexité des motivations des deux Reines que Karin Beier a construit le déroulement du spectacle. Si l’on peut reprocher à la metteuse en scène quelques excès (sanguinolents) dans la réalisation, son travail, néanmoins, s’avère passionnant.
L’action est d’abord vue comme une forme de reconstitution pour l’histoire, du procès dans lequel les deux protagonistes viennent exposer leurs arguments. Cela exposé en ouverture des deux actes par de – malheureusement – trop longs monologues, s’avère assez pesant.
En revanche, l’illustration visuelle est bien plus pertinente. Élisabeth, comme Maria, sont, chacune, dupliquées en cinq incarnations portées par des actrices. Ces doubles, au comportement parfois anarchique, donnent à voir autant de facettes des personnalités des deux femmes, et se font parfois actrices de la violence qu’elles exercent l’une sur l’autre.
La violence est d’ailleurs omniprésente, et atteint l’ensemble des protagonistes, comme lorsque Roberto fait le geste de griffer au sang le front de la Reine.
Élisabeth, elle, se dévoile, épiant les gestes de Maria ou de Roberto, laissant éclater sa colère jalouse, puis, au fur et à mesure du déroulement de l’histoire, sa face sombre prend le dessus. Révélant une apparence de plus en plus sanguinaire, elle écrit sur le mur « Tuez cette pute », traîne le cadavre d’une bête, puis celui de Maria, et fouille ces dépouilles de ses mains ensanglantées.
En parallèle, Maria prend le chemin inverse, émerge alors, progressivement, avec le beau rôle d’une femme qui part dignement vers la mort.
Avec leurs blocs de granit gris et bruts, les décors conçus par Amber Vandenhoeck ajoutent de la dureté au parcours de deux femmes qui évoluent dans des châteaux, des cours ou des donjons dépourvus de décorum, sans âmes. Puis, ce décor s’efface pour faire place à un plan sur lequel l’exécution va avoir lieu.
Les vidéos de Severin Renk sont, elles, d’un réalisme glaçant et font d’Élisabeth une bête sauvage doublée d’une femme vénale. Quant aux costumes (d’Eva Dessecker), ils sont, non seulement élégants, mais signifiants, puisque rouges -comme le sang, pour Élisabeth et Maria à la toute fin, noir et blanc pour les autres protagonistes.
Au final, plus l’Anglaise se farde et se construit une cuirasse perlée et ce, pour construire son image de « Reine vierge pour l’éternité », plus l’Écossaise se dénude, arborant alors la simple croix catholique, puis, dans ses derniers instants, apparaît tondue face à la caméra.
Sur le mur apparaissent alors les mots « In my end is my beginning », puis, « England’s shame forever ». Il ne reste alors qu’à conclure laquelle des deux Reines, sera la gagnante médiatique devant l’éternité…
Les deux protagonistes sont jouées par deux actrices hors pair qui assument leur rôle avec conviction.
Barno Ismatullaeva tient le rôle d’Élisabeth sans en éluder les difficultés, et ce, d’une voix tranchante d’une grande souplesse (mais il est vrai un peu monocolore) ; son air d’entrée affiche d’emblée le caractère de l’inflexible Reine. Outre ses atouts vocaux, elle assume avec aplomb ce personnage dur, de plus en plus fardé de blanc, exhibant, non sans une certaine vulgarité, un énorme collier de perles.
Vocalement, l’entrée en matière d’Ermonela Jaho est moins convaincante, tant dans la cavatine que dans la cabalette, dans laquelle les vocalises sont approximatives.
Mais la soprano va savoir jouer de ses atouts, de la puissance et de la beauté de ses aigus et d’un tempérament de scène qui, on le sait, ne la met jamais en défaut. Ainsi, dans la scène clé de l’affrontement avec Élisabeth, elle met toute son énergie à délivrer un « Figlia impura di Bolena » tranchant, appuyé sur un jeu de scène passionné, alors qu’elle s’empare de la couronne de sa rivale.
Parfois, certes, le médium n’est guère consistant, mais la beauté de ses aigus piani lui permet de différencier la fine Maria de la brutale Élisabeth.
Au deuxième acte, alors qu’elle apprend sa mort programmée, vêtue d’une robe blanche avec un plastron noir arborant la croix catholique, Jaho endosse le costume de la tragédienne.
Par moments, elle semble se détacher des rivages belcantistes où évoluent les autres artistes, affichant là, une image de « drama queen » faisant le show envers et contre tout, en dehors du temps et des conventions vocales de cet opéra. Cela surprend, n’est pas toujours idoine, mais confirme l’extrême singularité de l’artiste.
Dans la grande scène avec Talbot où Jaho est parfaitement à son aise pour jouer de ses nuances dans un numéro de charme dans lequel elle nie toute part au meurtre de son mari, meurtre qu’elle attribue à la jalousie d’Élisabeth. Après un passage choral parfait (direction : Eberhard Friedrich), Jaho va user de ses aigus suspendus dans la scène de la prière pour finir, allongée, puis, emportée à bout de bras par les figurants.
Ce sera alors la scène finale dans laquelle les spots, descendant des cintres, éclairent l’inexorable fin d’une lumière crue. Mettant en scène sa mort devant un caméra, Maria s’affiche alors en une sainte, menée à la mort par une femme folle, assoiffée de sang. À ce moment-là, même si le chant atteint ses limites, force est de constater que l’image colle parfaitement au tempérament de la soprano qui, alors, le crâne nu, peut s’inscrire dans une attitude de tragédienne flamboyante.
Face aux deux lionnes entre lesquelles il doit faire le grand écart, Roberto est le seul qui tente d’apporter tempérance et même amour.
Même si l’on regrette qu’il soit avare en suraigus, de sa belle voix puissante, Long Long a su dérouler une ligne de chant stylée et offrir un répondant de choix aux deux Reines, dans leurs duos.
Pour sa part, Alexander Roslavets a incarné un superbe Talbot, notamment dans la magnifique scène de confrontation, où usant de nuances, il tente de sonder l’âme de Maria Stuarda, confrontée à ses vilenies passées.
Le Cecil de Gezi Myshketa n’est pas parvenu pas à se hisser au même niveau, mais son incarnation, néanmoins, était de qualité.
Comme la veille dans La fanciulla del West, Antonino Fogliani a engagé l’orchestre de l’Opéra de Hambourg dans une lecture tendue d’où émergent une dynamique imparable et un foisonnement de couleurs belcantistes. Il a su aussi, si nécessaire, moduler la puissance de sa formation pour respecter la rythmique la mieux adaptée aux chanteurs, et notamment au rôle-titre.
Ainsi, après les épanchements pucciniens de la veille dirigés par le même chef, on retrouvait une tradition belcantiste trop souvent délaissée. Deux opéras de deux compositeurs majeurs, mais peu souvent donnés, voilà ce qui justifiait amplement un beau week-end italien à Hambourg.
Visuels : © Brinkhoff / Moegenburg