Dernier opéra du festival d’Aix-en-Provence 2025, Les Pêcheurs de perles de Bizet en version de concert, le samedi 19 juillet, ont permis à Pene Pati d’étrenner un nouveau rôle du répertoire romantique français. Il était entouré de chanteurs français et d’un orchestre sur instruments d’époque, Les Musiciens du Louvre, sous la baguette inspirée de Marc Minkowski. De quoi chauffer à blanc un public quasiment conquis d’avance…
Le sujet qui courait dans les travées du Grand-Théâtre de Provence avant le début du concert tournait autour de la question de la mise en scène. Une frange du public, échaudée par les mises en scène pour le moins audacieuses qui habillent (ou travestissent) de nos jours les chefs-d’œuvre de l’art lyrique, venait au spectacle ce soir-là avec une moindre appréhension : on ne risquait pas de se retrouver frustré par un concept tiré par les cheveux lors de cette performance. La version de concert serait-elle l’antidote aux excès d’exégèse qui marquent notre époque ?
La question peut paraître trop simple. Car il ne suffit pas de retirer la mise en scène pour qu’une performance soit réussie. Sans fil directeur, l’exécution peut aussi échouer à donner une vision sensible et complète de l’ouvrage représenté. Les performances individuelles, moins automatisées en quatre jours de répétition qu’en cinq semaines de création, peuvent échouer à s’accorder dès les premières mesures, surtout s’il s’agit de prises de rôles.
La production était sans doute pensée par le directeur de casting Julien Benhamou comme une occasion de recueillir une prise de rôle en français de la part du ténor néo-zélandais, dans la lignée des Roméo, Des Grieux, Fernand et Werther où il a réalisé le miracle de briller de mille feux dès sa première apparition. Pour mettre toutes les chances de son côté, il a réuni autour de lui des chanteurs français (Crossley-Mercer est franco-irlandais), et un orchestre d’élite. Même si Marc Minkoswki, apparemment, n’avait encore jamais dirigé l’ouvrage, il était évident que sa connaissance approfondie du répertoire français et son expertise du style spécifique de direction qu’il nécessite (une science des couleurs orchestrales délicates issue d’une longue tradition qu’on appelle le « pasticcio à la française ») étaient des atouts majeurs pour guider une distribution dont trois chanteurs sur quatre, tout de même, faisaient leur prise de rôle (le quatrième, Florian Sempey, n’ayant à son actif qu’une seule production scénique dans le sien).
Et cette version de concert, placée par Marc Minkowski dans son propos liminaire sous le signe d’un double deuil, celui de Pierre Audi, le directeur du festival, et celui de Béatrice Uria-Monzon, dont le décès était survenu le matin même, n’a bénéficié d’aucune mise en espace ni d’habillage de lumières. Il est vrai que bien des scènes des Pêcheurs de perles se déroulent dans la nuit sous la lune, mais les quelques éclairages rougeoyants qui habillaient le fond de scène à l’ouverture de la salle pouvaient laisser présager qu’ils serviraient au dernier acte pour symboliser les flammes de l’incendie que Zurga a allumé pour permettre à Leïla et Nadir d’échapper à leur exécution, mais il n’en a rien été.
D’ailleurs les chanteurs, s’ils ont tenté d’incarner leur personnage de façon individuelle, ont même assez peu joué les uns avec les autres ; la seule exception étant la fin du second acte, quand les chanteurs sont sortis en tenant leur partition contre leur poitrine, pour figurer la solennité du moment où Nadir et Leïla sont condamnés à mort. C’est peu. Et on regrettera même que Nadir et Leïla ne chantent pas leur dernier duo « Plus de crainte, Ô douce étreinte » en coulisses ou à ses abords comme l’indique le livret, plutôt que piano à l’avant-scène, ce qui aurait permis de mieux mettre en valeur les derniers mots poignants de Zurga « Rêves d’amour, adieu ! ».
Néanmoins, si la version concertante n’est pas immédiatement propice au théâtre, elle permet au spectateur de jouir d’une vue globale sur les instrumentistes, ce qui est assez rare. Et quand il s’agit des instruments d’époque des Musiciens du Louvre, ce n’est pas rien. Ainsi on a pu aisément distinguer le hautbois du cor anglais, comme les altos des violons, dans les moments spécifiques où les premiers sont mis en valeur par la partition (l’apparition de Leïla au premier acte notamment) ; et bien repérer les cors placés à jardin par le chef (et dont le brillant solo, au second acte, accompagnant la voix de Leïla dans son grand air « Comme autrefois dans la nuit sombre » est mis en valeur par le chef, qui le fait saluer au même titre que la chanteuse quand une ovation du public interrompt le flux musical), alors que les autres cuivres étaient placés ensemble à cour. On a pu goûter pleinement aux nombreuses interventions du basson à la couleur envoûtante, comme celles, bien rares, mais délicieuses, de la clarinette (le duo Nadir Leïla du second acte), et repérer la magistrale profondeur du violoncelle solo, mis en valeur lors du terrible duo Zurga/Leïla de l’acte trois, moment crucial de l’ouvrage.
La difficulté, nous le laissions entrevoir, dans une version de concert est de réunir toutes les forces vives des choristes, instrumentistes et chanteurs dans un même élan, de sorte que la représentation laisse entrevoir tout le potentiel de l’œuvre du début à la fin. C’est presque une gageure.
Ainsi le concert n’a-t-il pas commencé sous les meilleurs auspices, même s’il a commencé par une surprise.
En effet, Marc Minkowski, qui a bien sûr choisi la version originale de l’œuvre, celle de 1863, ( à un détail près : il a concédé à Pene Pati de finir sa Romance avec une reprise à l’ut de « Charmant souvenir », de façon traditionnelle, contrairement à ce qu’a écrit Bizet), il nous a gratifiés d’une option jamais entendue : il a commencé la représentation par la vocalise solo du hautbois qui précède la Chanson de Nadir au second acte (« De mon amie, fleur endormie »), juste avant les accords initiaux. L’effet est singulier, il faut le reconnaître, même si nous ne savons pas à quel état de la partition cela correspond. Du moins le maestro nous a-t-il permis d’entendre un finale cohérent, contrairement à la récente production dijonnaise, où Pierre Dumoussaud avait choisi un finale abrupt et frustrant, retirant dix minutes de musique. Et nous n’avons pas eu à le regretter.
Mais, nous le disions, il est malaisé de mettre en accord une vaste équipe dès le début d’une œuvre : d’autant plus quand les conditions météorologiques pèsent. Bien que le Grand-Théâtre de Provence soit climatisé, les instruments souffrent de la chaleur, et particulièrement les instruments d’époque. Ainsi, non seulement les Musiciens du Louvre ont-ils, comme le veut la tradition, procédé à un long accordage avant le début du concert (en présence de leur chef, qui ne fait pas son entrée pour lui seul, mais avec ses musiciens, c’est à noter), mais ils ont répété la manœuvre à chaque acte, et même également à chaque tableau dans les actes, manifestant ainsi une nécessité impérieuse, qui peut expliquer une entame de concert pas totalement juste.
Les alchimistes médiévaux professaient l’idée qu’il est absolument nécessaire que la matière se dissolve pour pouvoir ensuite se reformer dans un tout organique et cohérent (« Solve et coagula »). Peut-être n’est-ce pas si différent en musique ?
C’est ainsi qu’après les premiers accords « maritimes » de l’entame de l’œuvre, les cordes laissent entendre quelques accrocs, dans le premier crescendo, ce dont ils ne sont guère coutumiers. Les choristes de l’Opéra du Grand Avignon, préparés par Alan Woodbridge, ne sont pas non plus au mieux lors de cette amorce : « Voilà notre domaine » manque de cohésion, et, on le remarquera jusqu’au bout de la représentation, les hommes du chœur font montre de moins de cohésion que les femmes. « À nous / À nous » en écho ne sont pas très précis, et les plans ne sont guère fondus, alors que l’orchestre, lui retrouve une totale unité et crépite après « Dansez jusqu’au soir ». Les hommes du chœur manquent de punch comme d’articulation dans « Celui que nous voulons pour maître ». « Sois notre roi » manque de conviction. De son côté, le Zurga de Florian Sempey entre en jeu avec une émission assez encombrée (« Amis, interrompez vos danses et vos jeux ») et manque de caractériser ses premières phrases à Nadir qu’il retrouve après tant d’années (« Ami de ma jeunesse » n’exprime aucun attendrissement). Il alterne de jolis diminuendi (« Quelle joie est la nôtre ! ») et des mezze voci très réussies (« C’était le soir/ À la prière ») avec des aigus nets, mais marqués par l’effort (l’aigu de « saluons le soleil » le rend cramoisi) et des graves parfois écrasés (« de fièvre et de folie ») ou engorgés (« chante avec eux »). Quant à son regard méprisant envers Nadir après « l’air et la mer immense », il est totalement à contre-courant de la caractérisation du personnage.
Le contraste est d’autant plus grand avec l’entrée de Pene Pati, immédiatement clair, projeté, articulé, d’une couleur solaire formidablement prenante : « Parmi vous, compagnons, que mon printemps renaisse ! » est magnifiquement phrasé. « De mon amour profond j’ai su me rendre maître » est de la même eau. Il imprime très vite sa marque personnelle au rôle : « on se rappellera » est légèrement accéléré, puis lors du duo « Au fond du temple saint », il joue à fond la carte de l’onirisme et de l’émerveillement rétrospectif. Ce Nadir-là n’est pas vraiment un « coureur des bois » (c’est-à-dire un chasseur de fauves) : « j’ai fui parmi les loups » ne montre pas une vigueur irrépressible. Pati mise sur la musicalité pure, et cela conduit à un duo presque tendre, voire énamouré, alors que Sempey se joint à cette option en faisant preuve de beaucoup de retenue. L’attaque par le ténor de la reprise « son voile » à l’aigu est des plus douces, et même « chassons sans retour ce fatal amour » n’est pas virulent, il est même presque joyeux, pas plus que « jusques à la mort » où l’on attend une camaraderie virile et quelque peu mordante. Pati et Sempey nous mènent à travers un rêve éveillé purement musical, ce qui se confirme dans « Amitié sainte », où « Que nos cœurs se consolent » est d’une fluidité remarquable, qui marque la mémoire par son dessin musical parfait.
S’il évacue l’aigu de « Et son chant », Florian Sempey montre une longueur de souffle étonnante dans la présentation de la prêtresse. Cependant il est moins solennel que virulent quand il accueille Leïla, uniment sombre et belliqueux, tandis qu’Elsa Benoit fait une entrée discrète. Sa voix est jolie grâce à un timbre pur, bien émise mais légère (et presque flûtée dans ses « Je le jure ») et ne réussit guère à insuffler une témérité suffisante à des « Je reste » assez modestes. Si elle correspond au calibre léger de bien des Leïla, on a pu comprendre avec Mariella Devia, Christiane Eda-Pierre ou plus récemment Sonya Yoncheva que la prêtresse demande un soprano certes souple, mais plus lyrique que léger.
Pene Pati imprime également une marque toute personnelle à sa Romance : « J’aurais dû tout lui dire » est comme un aparté, plutôt que l’expression d’un remords tenace. Il exprime un désespoir très stylisé par des piani enchanteurs (« ses doux chants »), mais ne fait pas sentir l’abîme de déchirement intérieur qui caractérisait son Werther. L’aria est d’une délicatesse infinie, marquée par des effets de soufflet impressionnants et des piani impalpables, presque couverts, qui suspendant le temps, mais signent une intériorisation du discours un peu frustrante. La longueur de souffle avec laquelle il émet le dernier « charmant souvenir » pianissimo met la salle en transe, qui le récompense par une considérable ovation.
Même si le chœur a entre temps retrouvé une certaine cohésion (et notamment les femmes splendides dans « Sois la bienvenue »), les hommes ne sont toujours pas tout à fait ensemble dans « Le ciel est bleu ». Traitons rapidement le cas du Nourabad de Crossley-Mercer : ce bel artiste accumule les réussites dans le répertoire baroque comme dans le Lied, mais il est baryton. Quelle mouche a donc piqué le directeur de casting de le distribuer dans un rôle typique de basse ? S’il assume assez correctement l’ambitus, il échoue à exprimer la grandeur impressionnante du prêtre vindicatif, faute d’ampleur et de la largeur de timbre, de profondeur de voix. C’est bien dommage, car d’épisodique, le rôle devient anecdotique (alors que Mirabelle Ordinaire, en mars à Dijon, en faisait une sorte de mage fascinant, invoquant les esprits avec force gestes au-dessus des volutes de fumée formées par un brasero). Alors que les bonnes basses françaises ne manquent pas.
Elsa Benoit délivre un « Ô dieu Brahma » flûté (après quelques accrocs des cors), et si elle use de tous les moyens de la grammaire belcantiste, vocalises très sûres, notes piquées précises, trilles battus et bouclés parfaits, ce chant reste assez lisse, faute de ressources de timbre et aussi d’investissement dramatique. Quel contraste avec son prétendant qui distille un « Encore cette voix » d’une beauté entêtante, puis sait rassurer la prêtresse avec un « Leïla, Leïla, Ne redoute plus rien » empreint d’un sentiment de sécurité affectueuse. « Ne crains rien, je suis là » est rien moins qu’enchanteur.
Tout cela reste donc encore perfectible. Mais Marc Minkowski ne ménage pas ses efforts pour mener tout son monde à bon port. Depuis le début, il soigne admirablement les transitions typiques de Bizet, qui entre les scènes utilise quelques instruments sur des nuances morendo (cordes en ostinato, vents en volutes) pour passer d’une tonalité à l’autre : Minkowski réussit ces transitions de main de maître, aboutissant à des couleurs diaphanes et un sentiment de retenue très approprié.
C’est d’ailleurs l’orchestre qui infuse au récit du sauvetage du jeune Zurga une tension croissante du plus bel effet (« Bientôt une horde farouche »), alors que la soprano manque de grave pour appuyer l’impact de son récit (« Au serment qu’autrefois j’avais fait »). Tandis que le chef joue des silences de façon admirable (quatre secondes de pause entre « Me voilà seule dans la nuit » et « Seule dans ce lieu désert), la soprano délivre un grand air exemplaire de style, de technique (messe di voce de classe, vocalises parfaites, trilles), mais pas émouvant : l’aigu, couvert dans le pianissimo, manque de largeur et d’impact et l’investissement émotionnel est absent. Le public lui offre tout de même une ovation.
Quand Pati entame sa Chanson en coulisses, c’est la perfection qui descend des cintres : articulée, projetée, distillant une lumière d’or fin, son ténor emplit le théâtre avec une facilité déconcertante, et il ensorcelle totalement le public. Le placement parfait de la voix, le legato de rêve lient le timbre à ceux de la harpe dans un flux miellé, ce qui fait oublier ensuite un « Hélas » manquant d’explosion intérieure.
C’est alors le point de bascule du concert : alors que le duo débute avec beaucoup de délicatesse, presque trop (« Pouvais-je fuir les beaux yeux que j’aimais » manque de la morsure du tragique), Elsa Benoit trouve une intensité déclamatoire qui donne à son personnage une épaisseur nouvelle (« Ta douce voix m’apportait le bonheur »). Ainsi la reprise de « Ton cœur avait compris le mien » apporte un élan, une vague émotionnelle qui manquait encore à la réussite du concert. « Que l’amour chaque soir dans l’ombre nous rassemble » emporte tout, tandis que l’orchestre crée une tension quasi palpable sur le plateau. Tout se met enfin en place : les chœurs explosent dans « Ô nuit d’épouvante » qui prend une dimension dantesque quand les amants sont découverts, secoués par les déferlantes de l’orchestre, alors que la main du chef retient le volume du chœur dans « Pâle et frémissante ». « Ni pitié, ni merci » sont comme des gifles assénées au couple pris sur le fait. « Pour eux la mort » fuse comme des coups de machette. Si Florian Sempey étonne ensuite par une autorité sans boursouflure quand il suspend la condamnation (des « Partez, partez » parfaitement dosés), il gâche le moment avec un « Malheur sur eux ! Malheur » de Grand-Guignol.
L’acte deux se termine sur un mouvement choral sidérant : « Ô dieu Brahma » est le signal pour une fugue absolument éblouissante qui mêle le chœur aux solistes, mise en valeur comme nous ne l’avons jamais entendue. Et c’est là qu’on se dit que Marc Minkowski, grâce à son expertise du répertoire baroque, débusque tout ce que Bizet doit à Bach. Et il nous laisse pantois.
Les Musiciens du Louvre délivrent un orage magnifique, au début du troisième acte, dont l’effet est quelque peu plombé par l’arrivée de Florian Sempey avec des airs de mafioso décalés. S’il use de pianissimi, bienvenus, quoique quelque peu détimbrés (« L’orage s’est calmé »), il réitère ses errements techniques du premier acte, entre grave écrasés et engorgés, mais aussi ses prouesses de souffle (« par quelle aveugle et folle rage mon cœur était-il déchiré » d’un seul souffle). Ses regards éperdus sont hélas dignes des films de Mack Sennett, mais le public, sans doute charmé par la longueur de souffle de son « Ah, pardonnez » final en diminuendo, le récompense d’une ovation à l’instar de ses collègues.
Le duo qui suit, lancé par des violoncelles cinglants, manifeste le point de fusion du concert : Elsa Benoit, déterminée, incarnée, fait assaut d’intensité dramatique malgré l’étroitesse de son instrument, et réussit à insuffler une théâtralité considérable à ce moment crucial de l’œuvre, en usant de toutes les ressources de la véhémence parlée pour toucher au cœur. Ce petit bout de femme frêle qui se révolte (« par ma voix qui supplie ») déplace des montagnes, quand son partenaire alterne le meilleur et le moins bon : un « pour t’aider à mourir » chanté de façon retenue et efficace, mais surjoué de façon gênante. L’orchestre, lui, se déchaine, le chef gère admirablement la gradation du climax, depuis les vrombissements de « Tu l’aimes, tu l’aimes » en passant par l’accelerando de « Tu demandais sa vie » jusqu’aux coups violents de « Son crime est d’être aimé quand je ne le suis pas » où Sempey se met enfin en valeur. Le public répond par une autre ovation, qui coupe le déroulement de la musique, et récompense les artistes.
La fin d’acte finit de nous transporter vers les sommets : par l’entremise du chef en premier lieu qui impose au chœur un rythme fou dans « Dès que le soleil », ce qui le pousse à déployer des trésors d’articulation dont il ne se croyait peut-être pas capable. Ce faisant, le chef relie les rythmes aux structures musicales de danses (c’est une tarentelle) : après la fugue, on est encore ici en train d’explorer les fondements musicaux de l’œuvre (et le chef, pour le signifier, frappe sa tête légèrement de son poing, comme un code pour son orchestre). Les vocalises du chœur sur « Bra-ha-ma » zèbrent l’espace, jusqu’à un « Ardente liqueur » absolument somptueux, alors que Pati déploie un « Hélas ! Qu’ont-ils fait de Leïla » d’une intense luminosité. Le duo entre Nadir et Leïla « Ô lumière sainte » s’élève alors au son de la harpe, plutôt dans l’esprit d’une miniature ciselée d’abord, mais dès «un dieu nous délivre», les amants s’élèvent en une véritable apothéose, à tel point que, quand Pati entonne « Dans l’espace immense », le firmament semble vraiment s’ouvrir à la lumière de son timbre, et cette phrase fait jaillir de sa voix la musique des sphères. Les vocalises descendantes de « Notre âme s’élance » renvoient ici encore à Bach. Minkowski semble toujours donner des ailes à la musique. La structure musicale semble éclater en pleine lumière, et le finale prend des airs d’hymne comme jamais.
Sans doute le public est-il sensible à ce petit miracle : c’est lui qui probablement le pousse à faire à toute l’équipe une ovation debout d’une dizaine de minutes. Bien sûr, ce n’est pas le signe que la représentation a été parfaite, nous l’avons expliqué. Mais l’intensité progressive qu’elle a atteinte nous a récompensés de notre attente.
Visuels : © Vincent Beaume