Outre les constatations que la mise en scène de Vincent Huguet confirme son manque d’intérêt et que la direction de Pierre Dumoussaud reste très monotone, les deux rôles principaux s’avèrent de bon niveau sans jamais réellement nous éblouir complètement.
Après l’extraordinaire – et unanimement saluée – production du Triptyque de Puccini, la barre avait été mise très haute à l’Opéra de Paris ces dernières semaines ; indéniablement trop haute pour cette reprise de la mise en scène de Vincent Huguet de Manon qui n’a jamais brillé ni par sa force ni son originalité, se limitant la plupart du temps à aligner les décors imposants sans qu’apparaissent vraiment les points saillants de l’adaptation du roman de l’Abbé Prévost (il est vrai bien édulcoré chez Massenet). Et ce ne sont ni la transposition pendant « les Années folles », ni les quelques gadgets ajoutés, ni le ballet assez grotesque qui parviennent à rehausser l’intérêt d’une production qui est complètement passée à côté du sujet.
Dès lors, tout reposait sur l’équipe musicale. Malheureusement, la direction orchestrale de Pierre Dumoussaud a aligné les scènes échouant la plupart du temps à injecter de l’énergie et des contrastes et accompagnant les chanteur.euse.s sans grand entrain.
Notre dernier espoir reposait donc sur ces dernier.e.s mais le plateau n’est que partiellement au niveau. Si Poussette, Javote et Rosette bénéficient de la belle énergie des trois excellentes membres de la troupe lyrique de l’Opéra de Paris, Ilanah Lobel-Torres, Marine Chagnon et Maria Warenberg, on ne peut pas en dire autant de Nicholas Jones bien falot dans le rôle de Guillot de Morfontaine. On prend plaisir à retrouver Philippe Rouillon dans celui de l’hôtelier, et Nicolas Cavalier en Comte des Grieux. Alors que Régis Mengus est un Brétigny correct, Andrzej Filończyk (que l’Opéra de Paris a tendance à mettre à toutes les sauces en ce moment) s’avère bien terne en Lescaut. Quant au Chœur, il démontre son excellence habituelle dans le répertoire français, mais peine parfois à suivre, avec naturel, les consignes peu inspirées de la mise en scène.
Amina Edris et Benjamin Bernheim pouvaient-ils transcender, à eux-seul.e.s, cette production bien handicapée ? L’une et l’autre tentent de le faire avec leurs armes respectives mais n’y parviennent que partiellement.
Se retrouvant en charge de toutes les représentations après la défection de Nadine Sierra, la soprano fait preuve d’un engagement sans failles. La voix est, à la fois, ronde et fruitée, l’assise dans les graves et la longueur de souffle sont remarquables, et hormis des difficultés dans les suraigus (heureusement rares), elle gère avec délicatesse et émotion l’air « de la petite table », et sans difficultés celui du cours la Reine, puis s’investit de belle manière, vocalement et dramatiquement, dans le duo de Saint-Suplice. Irréprochable donc, elle le serait si la grande salle de Bastille n’était pas trop ample pour une voix qui a du mal à en prendre pleinement possession.
De son côté, Benjamin Bernheim a la voix idéal pour des Grieux même si son haut médium tend à se durcir parfois. Le ténor qui semble parfois avoir du mal à véritablement incarner ses personnages s’en sort ici de manière honorable, mais, une fois de plus, la beauté du chant emporte pleinement l’adhésion tant dans « le rêve » de l’acte II que dans « Ah fuyez douce image » à Saint-Sulpice.
Ceci étant, au final, on ne saurait dire si ce sont les handicaps de la production ou l’investissement visiblement contrarié des artistes qui nous ont laissé, malgré tout, un goût amer d’inachevé.
Aux saluts, une belle part du public avait, pourtant, l’air satisfaite de sa soirée. On ne découragera donc personne de tenter l’aventure misant sur les quelques marges d’amélioration qui peuvent se dégager pour les représentations suivantes (notamment avec l’arrivée de Roberto Alagna dont la capacité à transcender les drames n’est plus à démontrer).
Visuels : © Sebastien Mathe et Julien Benhamou / Opéra national de Paris