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L’humanité des Dieux dans « La Walkyrie » à la Monnaie de Bruxelles

par Paul Fourier
05.02.2024

Le théâtre de La Monnaie de Bruxelles continue la mise en place de son Ring de Wagner dans la mise en scène de Romeo Castellucci. La production, fascinante, impose, malgré tout, un défi à la perspicacité du spectateur. Dans une dynamique liée à l’humanité des Dieux, le chant et l’orchestre se rattachent plus à une conception intimiste qu’à une grande messe wagnérienne.

Castellucci artisan révolutionnaire du Ring mais parfois insaisissable

Après un Or du Rhin réussi en début de saison, Romeo Castellucci dévoilait, avec cette Walkyrie, l’une de ses cartes maîtresses.

Romeo Castellucci dit « le théâtre, le musée, la bibliothèque sont parmi les derniers lieux où l’on respecte l’intelligence de la personne ». Et effectivement, comme souvent avec le metteur en scène italien, le spectateur doit parvenir à saisir ses intentions… ce qui n’est pas toujours aisé.

Dans cet opus, deux principes fondateurs émergent clairement : d’une part, la clé de la chute des Dieux repose sur la montée progressive de l’Amour ; d’autre part, le choc va provenir de l’intérieur du Walhalla, de Wotan lui-même, et de sa fille Brünnhilde, deux personnages déterminants qui, face à l’ordre établi, vont emprunter le chemin subversif de la transgression.

Une magnifique illustration de la transgression

Tout débute dans la tanière d’Hunding, un endroit comme hanté, gris, où les meubles semblent animés de vie, où un chien rôde, un chien qui vise la puissance, mais qui n’est rien face au « loup » cet animal dont la peau couvre Wotan, le Roi des Dieux.

Une fois Hunding retiré, la lumière prend place sur scène ; lumière de la vie et des fleurs épanouies, lumière qui révèle la seule chose qui vaille : l’Amour.

À ce moment, l’on se souvient que Wagner nous a offert ses deux jumeaux comme « ses fleurs les plus pures » (dixit Castellucci), alors même qu’ils consomment une idylle par essence interdite. Ils suivent leur propre choix (celui de l’inceste). Innocents, ils portent le poids d’une provocation suprême et intolérable ; Fricka peut, à la limite, fermer les yeux sur les écarts de son mari – et voir des rejetons émerger de-ci de-là -, mais sûrement pas admettre que l’ordre établi dont elle a la charge, soit bafoué. La transgression assumée par les jumeaux se concrétise, ici, par le sang de l’amour consommé et le lait maternel et, de fait, l’on a rarement vu aussi belle illustration du sacrilège insupportable commis par les jumeaux. Et alors que « Notung », l’épée, héritage divin du père et vecteur de victoire est d’ordinaire au centre de l’action, Castelluccci, via Siegmund, va la ranger… au réfrigérateur comme pour montrer qu’elle est mise en réserve. Ce qui prime ici, au-dessus de tout, c’est l’Amour entre les jumeaux ; cet Amour survivra à la guerre.

La maîtrise des âmes

La confrontation entre Wotan et Fricka est également passionnante. Tout d’abord dans les costumes (magnifiques, conçus par Clara Rosina Straber), dans les attitudes comme dans le décorum. Comme Klytemnestre dans Elektra, Fricka est suivie d’une cour d’êtres mystérieux, revêtus de blanc. Elle est, elle-même, habillée de manière aussi extravagante qu’empesée. Elle règne sur les « âmes » figurées par de (véritables) colombes ; la déesse incarne aussi la société conservatrice face au péché. Elle oppose la puissance du Walhalla où demeurent des privilégiés, aux errances de Wotan, simplement vêtu de noir, qui, en loup, ose s’infiltrer dans le monde des hommes.

De fait, Fricka le rappelle à sa déité et le désigne comme celui qui ne respecte pas l’ordre établi du monde d’où il est issu. En tuant deux (fausses) colombes, elle affirme que les Dieux ont pouvoir de vie et de mort sur les âmes des humains… et qu’en conséquence, elle exige la neutralisation de Siegmund, fils de Dieu certes, mais fils sacrilège. Cette scène sera picturalement la plus belle, la plus extraordinaire également par la présence sur le plateau d’animaux libres de leurs mouvements.

Car, à tout moment de cette représentation, Castellucci joue avec le feu et nous rappelle, en introduisant dans sa production de vrais animaux, qu’une scène de théâtre est l’un des lieux où l’on peut aussi oser le risque de l’imprévu, cet imprévu si souvent présent dans la vraie vie, cet imprévu qui, dans le Ring, va gripper le cours normal des évènements dont les Dieux devraient, de par leur puissance, rester Maîtres. De fait, les animaux, libres et imprévisibles dans leurs mouvements, ne sont pas pollués par les péchés des hommes ou des Dieux. Ce faisant, en revenant aux sources mêmes de l’art théâtral, Castellucci nous prouve qu’il est le metteur en scène le plus singulier, mais aussi le plus révolutionnaire du moment.

 

Après cette brillante démonstration, il est regrettable que la suite fasse descendre la représentation de quelques crans, en raison, notamment, de l’obscurité qui règne sur le plateau et, par conséquent, du peu de lisibilité du propos. La scène entre Siegmund et Sieglinde est, certes, troublante alors qu’ils sont comme aspirés par le sol qui les renvoie à leur situation d’humains, mais reste assez confuse.

 

Puis, hormis le recours, déjà souligné, par Castellucci à des animaux (et quels animaux !), la scène des Walkyries (qui montrent d’évidence leur liberté indissociable de celle de leurs montures) ne gagne pas grand-chose à la présence de grands chevaux noirs, pas plus que par celle – déjà vue ailleurs – des cadavres des héros nus que traînent les guerrières. À ce moment, le metteur en scène semble être contraint à revenir à du « figuratif » et à abandonner, temporairement, la démonstration passionnante des parties qui avaient précédé.

Cette discontinuité – esthétique, narrative… – dans la mise en scène nuit à la régularité du propos qui aurait permis de placer le spectacle au plus haut des Walkyrie jamais produites. Toutefois, en délaissant une imagerie épique du Ring, en dévoilant l’humanité comme source de la chute des Dieux, il s’inscrit dans le sillon d’un Chéreau.

La simplicité du duo père/fille contre la sophistication de l’affrontement Dieu/Déesse

Cependant, la fin de l’opéra atteint, de nouveau, un véritable sommet de théâtre, une apothéose sans décorum portée par la puissance du jeu des acteurs.

Castellucci nous donne alors à voir l’anti-scène de la confrontation Wotan / Fricka qui était encore celle d’un face à face orageux entre Dieux. La scène entre Wotan et Brünnhilde commence sa plongée dans la kénōsis, la transformation des Dieux qui décident, progressivement, de se dépouiller de leurs privilèges divins.

Dans cette dernière partie, sur un plateau nu, seule va compter la direction d’acteurs et rien ne viendra perturber le dialogue père-fille. Et, alors que, dans le Walhalla, l’amour n’existe pas, Wotan va céder, en père, aux gestes tendres vis-à-vis de Brünnhilde, sa fille, qu’il abandonne à son sort.

La fin est magnifiquement symbolique de l’espoir à venir, car la Walkyrie n’est pas emprisonnée par le feu, mais, au contraire, disparaît comme absorbée par la lumière, une lumière éclatante porteuse d’insoumission. Quant à Wotan, son retrait du monde est inéluctable, ce sera un retrait, voire une retraite figurée par l’image apaisante de Bouddha.

 

Pour cette Walkyrie, en ouvrant une lecture originale, Castellucci a pratiqué selon ses dires, « un théâtre qui échappe aux carcans du bien et du mal », un théâtre « qui se situe au-delà de toute forme de moralisme ». Cette nouvelle approche dans la façon de pénétrer le Ring est passionnante et nous rend impatients de découvrir Siegfried et du Crépuscule à venir.

Pas d’orchestre écrasant, pas de voix aux décibels triomphants

 

Si singularité il y a dans une conception avant tout « humaine » du Ring, celle-ci se prolonge dans la fosse et par les voix des chanteurs. Un certain manque d’ampleur général peut, par conséquent, constituer une part de déception pour les puristes wagnériens habitués à des moments plus épiques.

 

La taille de la fosse du théâtre de la Monnaie n’est pas la plus grande qui soit et, incontestablement, Alain Altinoglu a dû faire des choix quant aux exigences wagnériennes, sur les effectifs de certains pupitres, ce qui prive parfois la musique de l’ampleur attendue. En contrepartie, le chef est totalement en phase avec la forme de syntaxe épique et musicale que Wagner a initiée avec La Walkyrie ; il sait compenser l’ampleur relative de l’émission par une rythmique soutenue dans les scènes clés (la confrontation Wotan / Fricka et la mort de Siegmund). On connait les talents du chef pour faire également appel à son art de coloriste et il ne s’en prive pas, faisant ressortir ça et là, tel ou tel beau solo instrumental.

Wotan au sommet de l’humain avec Gábor Bretz

L’option affichée par Castellucci de centrer son propos sur l’humanité progressivement acquise par Wotan trouve en Gábor Bretz un interprète idéal. Vocalement, bien sûr, on a entendu incarnations plus impressionnantes, mais, outre sa musicalité, chaque scène dans laquelle se trouve le baryton-basse est chargée de l’émotion, celle d’abord de la souffrance face à sa mégère de femme puis, à la fin de l’opéra, celle de celui qui s’abandonne à l’amour filial. Enfin, à aucun moment, il ne montre de signes de faiblesse dans un rôle que l’on sait particulièrement écrasant.

Le reste de distribution est de bon niveau dans une logique moins héroïque

Si la voix assez monochrome, n’est pas particulièrement séduisante, Ingela Brimberg est une Brünnhilde qui assume la partition avec cran, dardant d’une part ses Hojotoho ! avec panache, mais sachant aussi inscrire son personnage dans une approche très humble de la vierge guerrière.

En Sieglinde, Nadja Stefanoff possède une voix homogène, avec une superbe assise dans le registre grave ; elle donne une très belle ardeur à sa Sieglinde même si l’ampleur de la voix, par moments, est prise en défaut. Cette même faiblesse est plus présente et handicapante chez le Siegmund de Peter Wedd qui affiche, notamment, trop d’irrégularités dans le premier acte et un réel déficit d’héroïsme.

 

De par sa voix de basse impressionnante, le Hunding d’Ante Jerkunica se distingue au premier acte en opposition des voix de Stefanoff et Wedd, en occupant de manière menaçante sa tanière et en s’inscrivant dans le camp inquiétant des assassins.

 

Quant à Marie-Nicole Lemieux, si elle est parfaite dramatiquement dans le rôle, rendu visuellement spectaculaire par Castellucci, de Fricka, elle ne possède, malgré tout, pas complètement la dimension vocale du rôle.

Enfin, si les voix des Walkyries s’inscrivent également dans une conception qui privilégie les femmes sur les demi-déesses, on peut regretter qu’elles n’apparaissent pas toujours très bien calées dans leurs interventions de groupes où règne, parfois, un début de confusion.

 

On l’aura compris, le deuxième épisode de ce Ring est surtout passionnant, voire novateur, par la vision imposée par Romeo Castellucci ; une vision qui s’accorde avec des interprètes que l’on n’est pas allé chercher parmi les plus grands wagnériens du moment, mais qui se retrouvent dans un exemplaire travail d’équipe. La suite est pour bientôt !… Et nous l’attendons avec impatience.

 

Visuels : © Monika Rittershaus