À la suite d’un mouvement de grève à l’Opéra de Paris, c’est sans les décors fabuleux de Robert Carsen, mais avec une théâtralité assurée par les chanteurs, jouant leurs rôles avec costumes, accessoires et dynamique, que la Première des Contes d’Hoffmann à Bastille, a eu lieu le 30 novembre. Ce fut une soirée agréable sans être exceptionnelle.
C’était la première représentation d’une nouvelle reprise de la célébrissime mise en scène de Robert Carsen, l’une des meilleures du Canadien, mais aussi l’une des plus intelligentes pour démêler les fils des pensées, des délires alcooliques et fantasmagoriques de ce personnage haut en couleur imaginé par Offenbach
Cette œuvre, qui atteint les sommets de l’art lyrique, a été le rêve de gloire d’un Offenbach qui voulait en finir avec les opérettes et autres opéras bouffe pour toucher au fantastique et au tragique. La mort ne lui aura finalement pas permis d’achever son chef d’œuvre. Il n’en reste pas moins un conte poétique, musicalement passionnant et qui donne vie à quelques personnages à forte personnalité dont tous les chanteurs rêvent un jour d’endosser les costumes. Ce qu’ils et elles ont fait hier soir lors de la Première, faisant contre fortune bon cœur devant un public de passionnés dans une salle moins remplie qu’elle ne l’aurait dû.
Et si les décors n’ont pas pu être installés, ce n’était pas pour autant une version-concert à proprement parler. On en était même assez loin puisque l’ensemble des accessoires de toutes sortes étaient bien présents sur la scène et surtout, parce que les artistes ont eu à cœur de « jouer » leurs rôles, en costumes, de manière totalement engagée et sans réserve aucune.
Il n’est pas pour autant si facile d’oublier le rôle décisif que joue la mise en scène de Carsen, perpétuelle mise en abyme, alors que cette dimension, sur un plateau doté uniquement d’accessoires, disparaît totalement. Ainsi ne peut-on identifier les espaces du théâtre qui installent le prologue dans la buvette de l’opéra Garnier, le premier acte sur la scène avec sa rampe lumineuse, le deuxième dans la fosse d’orchestre et le troisième face à la salle.
Certes le docteur Miracle est un chef d’orchestre, mais il est difficile sans disposer de l’ensemble du décor à plusieurs niveaux de l’acte d’Antonia de comprendre sa gestuelle. Et la barcarolle paraît bien banale, sans ses rangées de fauteuils se déplaçant latéralement comme des vagues au rythme du célèbre air.
On ne rappellera pas tous les détails maintes fois soulignés, au travers de cette formidable double, voire triple vision des strates de l’imagination et du délire fantastique, mais le concept développé par Carsen répond parfaitement à cette belle fantaisie tragique écrite par Offenbach comme s’il avait tout compris de l’imaginaire du compositeur. Ce sera pour les prochaines représentations !
Le ténor était très attendu pour son deuxième Hoffmann (après celui de l’Opéra de Hambourg il y a deux ans qui avait fait l’objet d’une captation vidéo). Il tire incontestablement son épingle du jeu, parfaitement maître de son rôle qu’il incarne en bon comédien, ivre, rêveur, passionné, et finalement déçu. Il rajeunit singulièrement le personnage en lui redonnant son image de poète romantique qui se heurte aux dures réalités sans renoncer à ses rêves.
Son chant est à l’image de son jeu, sans peur et sans reproche, impeccable et rempli de fraîcheur du début à la fin. La diction est parfaite, il possède une technique lyrique idéalement adaptée au chant français, un très beau timbre, un legato parfait, un naturel confondant, un art des demi-teintes bien employé, mais aussi des crescendo triomphants sur les aigus souverains qui caractérisent le rôle, long et difficile où nous avons vu plus d’un ténor en difficulté pour achever en beauté le dernier acte et l’épilogue. Ce qui explique aisément un investissement prudent, qui ne se risque jamais au bord du précipice et contrôle en permanence sa voix, diminuant parfois le volume notamment lors du prologue et de l’acte 1. Il monte d’ailleurs en puissance au cours de la soirée et son « O Dieu ! de quelle ivresse embrases-tu mon âme ?» est l’un des plus beaux jamais entendus. Ce qui est un exploit pour cet air particulièrement difficile. Et le ténor nous offre des moments fulgurants de ce type à de très nombreuses reprises. Dommage que parfois, l’émotion attendue ne soit pas tout à fait au rendez-vous du fait d’une prudence perceptible.
La quadruple prestation de Christian Van Horn en Lindorf / Coppélius / Docteur Miracle / Dapertutto, est impressionnante sur le plan du volume, de la puissance et de l’incarnation de ces personnages de « méchants ». La diction est tout à fait remarquable, le timbre très beau, il passe du rusé Lindorf au charlatan Coppélius et à juste titre, son « Scintille, diamant » (Dapertutto) a été ovationné. Magistral et diffusant une véritable émotion, il a touché le public.
Parmi les trois femmes qui représentent l’idéal féminin d’Hoffmann, c’est Antoinette Dennefeld qui l’emporte, brossant le superbe portrait d’une Giulietta, belle et vive, avec un timbre égal sur toute la tessiture, soyeux et délicieux, qui se projette très bien et domine d’ailleurs à plusieurs reprises son partenaire par sa puissance, d’une voix qui ne force jamais et se déploie naturellement avec beaucoup de classe.
Pretty Yende joue très bien Olympia avec le comique nécessaire, arrachant des rires au public, mais les vocalises sont souvent approximatives voire savonnées et les aigus incertains, le tout apparaissant noyé dans le côté artificiel de la « poupée ». Nul ne lui en a tenu rigueur.
Rachel Willis-Sorensen semblait en légère difficulté au début de la prestation d’Antonia avec des aigus plus « lancés » que réellement maitrisés, mais la voix s’est réchauffée par la suite lui permettant de stabiliser un vibrato parfois présent et d’offrir quelques délicieux trilles. C’est une belle Antonia, mais là aussi, l’émotion n’est pas toujours au rendez-vous, la soprano semble bousculée par les tempi du chef à plusieurs reprises ce qui l’a empêché de déployer tout le lyrisme de sa partie.
La dernière scène, le fameux trio Antonia, Miracle et le fantôme de la mère (belle Sylvie Brunet-Grupposo), ne parvient pas à nous toucher alors que c’est traditionnellement une des scènes les plus impressionnantes dans la veine tragique de cet opéra à multiples faces.
Mais la plus problématique des voix féminines est celle de Angela Brower en muse/ Nicklausse, voix trop légère parfois confidentielle. Malgré un beau timbre doté d’aigus lumineux, elle ne paraît nullement taillée pour ce rôle qui exige une voix charnue et bien projetée faisant duo avec le ténor lyrique et énergique d’Hoffmann dont elle est le double.
D’une manière générale, les rôles secondaires sont fort bien chantés et très bien joués ce qui contribue très largement à la dynamique de l’ensemble notamment durant l’acte d’Olympia particulièrement réussi de ce point de vue. Leonardo Cortellazzi domine facilement ses multiples emplois de Andrès / Cochenille / Frantz / Pitichinaccio, tout particulièrement dans le solo de Frantz, « C’est la méthode », pour lequel il recueille de nombreux applaudissements.
Saluons aussi le Luther/ Crespel de Vincent Le Texier, le Hermann de Christian Rodrigue Moungoungou (très applaudi d’ailleurs), le Spalanzani de Christophe Mortagne, le Schlemil d’Alejandro Balinas Vieites et le Nathanaël de Cyrille Lovighi.
Notons enfin une très belle présence des chœurs, qui assument absolument tous les airs avec beaucoup de brio et de talent, jouant la foule en même temps, dans des mouvements qu’on croirait chorégraphiés et qui sont fort bien restitués.
Nous n’avons pas été convaincus par la direction musicale trop sage et vraiment trop métronomique de Eun Sun Kim, pour rendre compte des contrastes d’une partition qui passe de scènes drôles avec un peu de légèreté, à des montées de tensions dramatiques ou passionnées, voire tragiques. Il faut tout à la fois du lyrisme romantique et élégant, du pétillant façon opérette, et des moments climax de tension extrême beaucoup plus soutenus musicalement. Les tempi sont assez rapides ce qui interdit à plusieurs reprises les respirations nécessaires et contraint d’ailleurs les chanteurs à beaucoup courir au détriment de ces moments plus lents qui permettent d’exprimer l’émotion.
Le pire des actes à cet égard, est celui d’Antonia où non seulement l’on s’ennuie, mais surtout, où dans ce formidable moment d’émotion habituel qu’est la dernière scène, le trio, tombe à plat, sans relief et sans âme, tout comme la célèbre barcarolle de l’acte suivant qui n’a pas l’impact attendu ou le final où l’émotion se dissipe dans une avalanche de décibels façon fanfare.
Soirée agréable malgré tout, mais qui ne restera pas dans les annales fort épaisses des interprétations de cette mise en scène qui fut créée en 2000 à l’opéra de Paris et a vu passer de nombreux interprètes, dont Neil Schicoff pour le premier, Michael Fabiano pour le dernier avant cette série qui accueillera Benjamin Bernheim jusqu’au 18 décembre puis Dmitri Korchak pour les dernières représentations. Souhaitons leur bonne chance pour la suite !
Les Contes d’Hoffmann, de Jacques Offenbach
Du 30 novembre au 27 décembre, à l’Opéra de Paris, Bastille – Retransmission sur France Musique le samedi 20 janvier à 20h, dans l’émission de Judith Chaine.
Visuels (photos de la Générale) : © Emilie Brouchon/OnP