Les nombreuses coupures, le parti-pris d’un face à face entre Hoffmann et la muse/Nicklausse, une mise en scène et une direction peu exaltantes ont largement gâché la fête de cette reprise du chef-d’œuvre d’Offenbach à l’Opéra du Rhin.
Les contes d’Hoffmann est un opéra aussi enchanté que maudit ; enchanté, car le compositeur a dédié ses dernières années à la conception d’un chef-d’œuvre absolu ; maudit, car, depuis sa création et les différents coups du sort qui se sont acharnés sur la partition et les théâtres qui l’ont accueillie (lire le descriptif chronologique dans notre article sur la production liégeoise), il aura fallu bien de la patience pour réussir à entendre l’œuvre dans une version sinon idéale, au-moins satisfaisante.
Ces dernières années, on pensait commencer à tourner le dos aux versions hybrides ou raccourcies pour chuter sur une conclusion au moins temporaire. Comme l’a indiqué Jean-Christophe Keck dans l’interview qu’il nous a consacrée, l’ensemble des pages de la partition est désormais disponible, et, pour ne citer qu’elle, la version présentée à Salzbourg l’été dernier et basée sur son travail, s’avère un beau point d’aboutissement.
Et patatras ! La nouvelle production de l’Opéra du Rhin décide de faire le chemin inverse en imposant de nombreuses coupures à la version Kaye / Keck, de 2005, déjà pas complètement idéale. Dans l’entretien avec Pierre Dumoussaud, qui figure dans le programme de scène, celui-ci semble justifier les suppressions par le fait qu’Offenbach n’a pas eu le temps d’user lui-même des ciseaux sur sa partition et de livrer sa version définitive, ce qu’il aurait fait sans nul doute. Les producteurs de ces Contes se sont donc substitués à Offenbach pour faire le travail d’élagage. Cela ne manque, certes pas, de prétention.
En contrepartie des coupures et pour clarifier le récit (nous dit-on), Hoffmann et Nicklausse devisent régulièrement en bord de scène pour nous raconter les scènes supprimées, ou se prêter à un exercice de psychanalyse sur les motivations de l’écrivain. De fait, alors que l’un des intérêts de l’histoire repose dans l’inclusion d’Hoffmann dans les actes avec les trois femmes, il s’en retrouve souvent plutôt en simple spectateur, d’autant que son rôle de concepteur est contesté par Nicklausse.
Outre la déception sur la disparition de la musique qui accompagne l’exercice, l’on regrette, d’une part, une action devient hachée par les incessantes fermetures de rideaux, d’autre part, un choix qui favorise la prééminence des solos sur les duos ou scènes de groupe dans certains actes, et enfin et surtout, l’indigence des dialogues parlés proposés, qui tournent le dos à l’humour fin et à la poésie du travail de Jules Barbier (Peter te Nuyl a réécrit les dialogues et, assisté de Christian Longchamp, s’est chargé de la dramaturgie ; la traduction française des dialogues est de Frank Harders). Le sujet n’est pas tant d’avoir choisi la version opéra-comique (avec dialogues parlés) prévue par Offenbach, mais d’en avoir tiré une lecture bien peu « offenbachienne ».
On ne jettera cependant pas le bébé avec l’eau du bain, car quelques idées pertinentes émergent de ce récit décousu. Par exemple, lorsque tout le monde regarde la poupée, tantôt petite, tantôt gigantesque – qui rappelle évidemment celle de la production de Jérôme Savary dans les années 2000 – sans se préoccuper de la femme qui chante à sa place. Ou encore avec la démultiplication des Hoffmann dans la scène des reflets, ou dans ce combat permanent d’Hoffmann contre lui-même. Mais, hormis le fait que le prologue, les actes et l’épilogue se déroulent dans un même décor (en fait, deux fois le même décor (de Christof Hetzer) sur une tournette) tout cela mis bout à bout peine à nous offrir une lecture cohérente et captivante.
En 2025, il est un sujet intéressant qui aurait pu être abordé (Lotte de Beer le mentionne dans son entretien dans le programme de scène), c’est celui soulevé sur la représentation de la femme dans Les contes d’Hoffmann. La femme idéale définie par Hoffmann est une « artiste, (une) jeune fille et (une) courtisane ». Cette description est autant un condensé caricatural qu’un reflet des fantasmes d’un homme du 19e siècle. La metteuse en scène, qui aurait pu explorer cela avec pertinence, se borne finalement à seulement déconstruire la muse qui, au final, refuse le rôle qu’on lui a attribué, aux côtés d’Hoffmann et comme représentante des Arts.
Tout d’abord, relevons qu’un haut degré de satisfaction émane de la bonne diction de l’ensemble des interprètes.
L’avantage des coupures est, sûrement, d’avoir diminué (on suppose dans une démarche d’économies) le nombre de personnages, soit parce qu’ils disparaissent purement et simplement, soit parce que leurs interventions sont réduites.
Certes, Marc Barrard (Crespel, Luther) a une voix un peu engorgée, mais les trois artistes issus de l’Opéra studio de l’Opéra national du Rhin, sont excellents. Pierre Romainville affiche une voix claire qui convient parfaitement à son Spalanzani virevoltant, et Pierre Gennai, en Schlémil, offre un bon répondant à Hoffmann dans l’acte de Giulietta. Quant à Bernadette Johns, elle surprend par son autorité et sa présence dans le rôle de la mère et à Raphaël Brémard, il est savoureux dans les rôles d’Andrès, Cochenille, Frantz et Pitichinaccio.
Hormis le fait qu’il ne possède pas vraiment la voix de baryton-basse requise, Jean-Sébastien Bou, affublé d’improbables costumes et perruques, apporte à Lindorf, Coppélius, Miracle et Dapertutto, une justesse d’interprétation et de tempérament qui font paradoxalement de ses « diables » le personnage le plus fouillé, le plus intéressant et le plus comique de la soirée.
Pour sa part, Floriane Hasler impressionne dans les rôles chantés de Nicklausse et de la muse même si son registre aigu forte est un peu vert. On sera plus circonspect sur la façon (probablement inévitable) qu’elle a, de se saisir des dialogues dont elle a la charge.
D’Hoffmann, on dira que le ténor germano-italien, Attilio Glaser, est vaillant et qu’il tient son rang, même si sa technique rend son émission parfois nasale. On sait que ce rôle exige (au moins lorsqu’il n’est pas coupé) une constitution de marathonien. Il s’en sort avec les honneurs.
Le principal problème de la distribution vient des « trois femmes dans la même femmes » incarnées par Lenneke Ruiten. Si, par le passé, la soprano néerlandaise nous a souvent enchantés, elle ne réussit, là, à s’imposer dans aucun des trois rôles ; elle manque de brillance, de virtuosité et d’aigus dans Olympia comme dans Giulietta (l’on revient théoriquement là à la tessiture qui devait être celle de la créatrice des rôles, Adèle Isaac) et s’avère en défaut de médium et de dramatisme pour Antonia.
Pour leur part, les chœurs de l’Opéra national du Rhin portent leurs interventions de belle manière. Enfin, la direction de Pierre Dumoussaud, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, tire la musique vers un versant souvent crépusculaire, voire terne, et l’on ne retrouve pas la variété de ton qu’Offenbach se plaisait à infuser dans ses compositions, y compris dans son « grand opéra ». Cela vaut autant pour la valse dans l’acte d’Olympia, que pour la pression, presque insoutenable, qui doit prévaloir à la fin de l’acte d’Antonia.
Finalement, nous évoluons dans une époque où l’on doit, en permanence, choisir son camp entre le noir et le blanc et qu’à défendre l’intégrité des œuvres, l’on risque de paraître s’enfermer dans une attitude de puriste invétéré. Pourtant, il n’est pas illégitime de s’interroger lorsque dialogues et musique subissent un appauvrissement. À l’heure où l’on justifie de tout simplifier, voire de tout mâcher pour un public qui ne serait plus capable d’ingurgiter les œuvres originales, la démarche questionne forcément. Elle ne nous a pas convaincus, mais elle trouve sans doute ses partisans.
Que le spectacle soit en coproduction avec le Volskoper de Vienne et l’Opera Comique amène à espérer que les plus gros travers seront peut-être corrigés. Ou pas…
Visuels : © Klara Beck