Bienvenu.e.s de nouveau dans le marathon de la série The Ring of the Nibelung et la fantaisie interprétative du réalisateur Valentin Schwarz (scénographie d’Andrea Cozzi et costumes d’Andy Besuch). Alors que la série inaugurée en 2022 est donnée pour la quatrième et dernière fois, Schwarz souligne, dans les 4 parties de ce Ring de Wagner, la « justice générationnelle » et les conflits intergénérationnels.
Par Barbara Röder
Avec Schwarz, il est nécessaire de resituer les événements. Dans cette pièce maîtresse qu’est Siegfried, Wotan retrouve l’espoir. Mime a élevé Siegfried dans le sous-sol de l’ancienne Villa Valhalla, une villa qui a été financée par les deux gangsters, Fafner et Fasolt, grâce à des pots-de-vin. Dans cette conception, « l’anneau » qui promet le pouvoir est la progéniture, les enfants qui sont la matière première pour la manipulation, les combattants, les porteurs de l’idéologie…
Pour sa part, Siegfried veut apprendre la peur. Dans ce Siegfried, la grotte du dragon est une maison de retraite. Il se rend avec Mime chez le puissant Fafner qui terrorise tout le monde mais s’épuise dans une maison de retraite de luxe. Ainsi, alors que la cupidité et l’envie sont inhérentes à tous les membres du clan, Siegfried, lui, va rester insensible, même après tué Fafner. Il n’apprendra jamais la peur. Pas même lorsqu’il va rencontrer Brunnhilde, l’épouser rapidement… puis aller à la chasse avec ses copains – pardon, parents – Hagen et Gunther. Brunnhilde se suicidera après la trahison de Siegfried et sa mort sous les coups de Hagen.Tous les protagonistes de ce Ring souffrent sous le poids de leur destin, sont motivés par le jeu du pouvoir, du désir, de la reconnaissance et par une part considérable de peur de la perte. C’est une histoire dans laquelle l’avenir de chacun d’eux a déserté.
Déjà dans Das Rheingold, les interprètes d’Alberich et Wotan étaient totalement convaincants. Tomasz Konieczny excelle en Wotan dans Das Rheingold et Die Walküre, en Wanderer auto-tourmenté dans Siegfried et Götterdämmerung. Traversant les catastrophes de la découverte de soi, Konieczny chante avec une présence scénique exceptionnelle, même si sa diction n’est pas toujours tout à fait claire. On le croit quand il regarde dans les abysses de ses propres actes.
Olafur Sigurdarson offre une voix rude et rugueuse à Alberich, la brute assoiffée de vengeance qui élabore, en permanence, des embuscades pour ses parents détestés.
Ya-Chung Huang, toujours excellent, domine la scène en Mime tout en ne tombant jamais dans une caricature croassante. Il était déjà convaincant dans Das Rheingold, mais il révèle, dans Siegfried, son caractère malveillant et sournois. Il façonne cette figure rejetée avec dignité. Dans son dialogue avec Wotan, Huang frappe par sa voix de ténor bien soutenue. Son Mime a du caractère, même s’il est vil.
La basse du méchant Fafner, chantée par Tobias Kehrer, est d’une beauté tonale fascinante. Dans Das Rheingold, la force élémentaire de sa voix éblouissait. Dans Siegfried, son Fafner apparaît despotique, déclarant avec seulement quelques tons profondément sombres qui possède l’argent et donc le pouvoir. Et c’est une magnifique performance vocale.
Victoria Randem donne à l’infirmière de Fafner une couleur de soprano sirupeuse, son flirt avec Siegfried suscitant un sourire du public.
Lumineuses, enveloppées d’étincelles astrales, sont les interventions de Brunnhilde à qui Catherine Foster confère une grande crédibilité en tant qu’héroïne. Cette « héroïne la plus noble du monde » et le Siegfried héroïque de Klaus Florian Vogt seront, à la fin de la représentation, célébrés par une tempête d’applaudissements. La voix lyrique mais brillante de Vogt est un instrument unique dans un siècle, plein de sublimité profonde, et laissant toujours transparaître l’essence du personnage. Son Siegfried est un formidable non-héros moderne.
Enfin Igor Schwab prête à Grane, la figure muette inventée et le confident de Brunnhilde, dignité et chaleur. Il symbolise les soins humains, la tendresse et l’empathie dans le monde corrompu et inquiétant de Wotan.
La toile de fond est fantastiquement équilibrée, semblable à une bande sonore, avec son réseau de leitmotivs et de structures, les sons merveilleux de la nature, les tissages de la forêt, les appels d’oiseaux et les grondements infernaux. Simone Young dirige calmement, la tête froide, maîtrisant les connexions et les sonorités, donnant aux acteurs-chanteurs de l’espace pour développer les caractères de leurs personnages dans ce Ring.
L’opus magnum en quatre parties de ce Ring of the Nibelung de Wagner pourra être conservé dans les annales comme un Ring de série Netflix. Sera t’il célébré ? Non. Car il a été accueilli par de nombreuses huées l’année de la première. Ces huées ont désormais disparu comme si ce Ring avait maintenant acquis de la patine.
Depuis que Katharina Wagner est devenue la force motrice et la directrice artistique du Festival de Bayreuth, la progressivité a été à l’ordre du jour de ce festival important tant il prétend capturer et refléter de l’esprit du XXIe siècle. Qui nierait que la fascination des séries jouit d’un fort statut dans notre culture actuelle ? Dans la série marathon de ce Ring le Zeitgeist a été présent, avec des dieux humains et des humains divins. Suivant le credo de Bertolt Brecht , Valentin Schwarz « a fait des propositions ». Mais, nous ne les avons pas tous acceptées.
Au cours de l’année anniversaire 2026, le chef d’orchestre Christian Thielemann se saisira du Ring. L’intelligence artificielle et le réalisme remueront alors le décor. L’atelier de Bayreuth se célébrera avec les 150 ans du Ring sur la colline verte. Nous serons présents. Curieux et ouverts à de nouvelles aventures wagnériennes !
Visuels : © Enrico Nawrath