Ce n’est pas si souvent que l’on ose présenter des airs d’œuvres rares du compositeur. Même si cela avait un côté frustrant pour des opéras dont la richesse vaut par la cohérence de leurs partitions, la soirée a permis de savourer la passion inaltérée de la maîtresse de cérémonie pour son cher Gioacchino.
De temps à autre, sur une scène européenne – rarement française -, resurgit, entre deux Barbier de Séville, une production de l’un des grands opéras « seria » de Rossini. On attendait d’ailleurs, avec impatience, le lendemain de cette soirée salzbourgeoise, la Semiramide rouennaise.
Dans une édition de festival de Pentecôte dont le thème était Venise, il n’y avait pas de difficultés insurmontables à jouer des liens que le compositeur a eus avec la Sérénissime (même si Naples, grande capitale lyrique de l’époque a souvent pris l’ascendant dans sa carrière italienne). C’est ainsi que nous avons eu des extraits de Tancredi et de Semiramide (deux œuvres qui ont ouvert (en 1813) et clôturé (en 1823) les triomphes de Rossini à Venise).
La présence d’extraits d’Otello était un peu plus discutable, car si son action se passe bien à Venise, l’opéra a été créé à Naples en 1816.
Quant à Maometto secondo, aussi écrit pour Naples (1820), son histoire se déroule pendant le siège d’une colonie vénitienne, mais a surtout bénéficié d’un remaniement, lors de sa reprise vénitienne de 1822.
Aux côtés de ces opéras « seria », l’un des opéras « buffa » les plus fous du compositeur trouvait naturellement sa place, à savoir L’Italienne in Algeri (créé en 1813 au San Benedetto de Venise).
Il y avait donc, non seulement une véritable cohérence au concert qui faisait la part belle à la période italienne de Rossini, mais également, le plaisir d’entendre un répertoire porté, sans aucune faute de goût, parmi les meilleurs représentants de l’actuel chant rossinien.
Ce fut, déjà, l’opportunité de profiter de morceaux orchestraux et choraux (les ouvertures de Tancredi de Maometto, II, le chœur « Santo Imen ! » d’Otello et « Ergi omai la fronte altera » de Semiramide) que l’on n’a pas si souvent l’occasion d’écouter et de savourer l’adéquation du chef, Gianluca Capuano, avec ce répertoire.
Forte de son incomparable connaissance et pratique de Rossini, Cecilia Bartoli nous a offert, en première partie, le récitatif et la cavatine de Tancredi (« Oh patria ! » « Di tanti palpiti ») qui démontrait qu’en dépit de sa longue carrière, elle était toujours à même d’offrir une incarnation de ces rôles de mezzo et ce, avec une pratique quasi inaltérée de la vocalisation rossinienne.
Mais, bien sûr, c’est dans l’air de Desdemone « Assisa a pié d’un salice (…) Deh calma, oh Ciel », suivi du duo final avec Otello (Eccomi giunto inosservato (…) Non arrestar il colpo ») qu’elle a pu rappeler son incomparable conjonction de sens dramatique avec l’adéquation stylistique rossinienne.
Mélissa Petit a typiquement une de ses voix de sopranos aigus, virtuoses, qui conviennent dans certains des seconds rôles des opéras rossiniens (et pas seulement de « soubrettes ») et on a pu le constater dans le « Come doce all’alma mia » de Tancredi, comme dans le « Giusto Ciel, in tal periglio » de Maometto II (même s’il nous semble que de cet opéra, elle aurait pu oser tenter le difficile « Sí, ferite, il chieggo, il merto »).
Sergey Romanovsky est un habitué de Rossini (et notamment du festival de Pesaro). Et, force est de constater qu’il a engagé sa partie, de manière imprudente, sans échauffer sa voix – qui – au demeurant, s’est un peu durcie avec le temps – par la difficile cavatine d’Otello (« Ah! sì, per voi già sento »). Ses qualités de « baryténor », son autorité naturelle, et sa parfaite maîtrise de la grammaire rossinienne lui ont ensuite permis d’assurer avec brio le duo final du même opéra, avec Bartoli, ainsi que le très bel air « Ah! sì, per voi già sento » dans lequel il était parfaitement à son aise.
Cela étant, dans les voix masculines, celui qui a brillé (comme il l’a fait le lendemain dans la Semiramide rouennaise), c’est le jeune baryton georgien, Giorgi Manoshvili. C’est un fort bel artiste doté d’une voix magnifique, voix avec laquelle il va falloir compter dans le futur, tant il maîtrise parfaitement la technique belcantiste, sait faire preuve, non seulement de l’autorité indispensable aux rôles de barytons rossiniens tel qu’Assur, que de la vis comica et du phrasé du Mustafà de L’italiana in Algeri et, cerise sur le gâteau, du don perfide et crédible d’interpréter l’air de la calomnie (donné en bis) du Barbier de Séville.
Avec une telle distribution – et un goût pour la farce partagée, il ne manquait plus à notre fine équipe que d’assurer les finales d’actes délirants et burlesques de L’italiana in Algeri et du Barbier de Séville, menés par une Bartoli totalement déchaînée. De surcroit, la maîtresse de cérémonie nous a offert un admirable air de Rosina « Una voce poco fa », une de ses signatures que l’on savourait déjà quelques décennies plus tôt.
Bartoli et Rossini… l’histoire d’amour se poursuit et l’artiste nous a prouvé une fois encore qu’elle continue à choisir des partenaires de choix pour célébrer le compositeur de Pesaro avec passion.
Visuels : © Marco Borrelli