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03.12.2023 → 19.12.2023

Le fabuleux destin du « Conte du tsar Saltan » mis en scène par Dmitri Tcherniakov

par Helene Adam
06.12.2023

Le conte du Tsar Saltan de Rimsky-Korsakov a été ovationnés ce dimanche, au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, pour cette reprise d’une œuvre enchanteresse magnifiquement interprétée dans l’astucieuse et féérique mise en scène de Dmitri Tcherniakov.

Rimski-Korsakov, prince de l’opéra russe

Le conte du Tsar Saltan (et de son fils, le glorieux et puissant héros, le prince Gvidon Saltanovitch et de la très belle princesse cygne) a été composé par Nicolas Rimski-Korsakov en 1900 pour le centième anniversaire de la naissance d’Alexandre Pouchkine, l’auteur du poème éponyme publié en 1831. Le livret a été écrit par un autre poète, Vladimir Bielski, (statisticien au département des chemins de fer de son vrai métier), mélomane, amoureux de l’opéra qu’il considère comme l’art suprême, membre des « fanatiques de la musique russe ». Celui-ci vouait une admiration sans bornes à Rimski-Korsakov et à son fameux opéra Snegorouchka (la Fille de Neige), cet hymne à l’amour, mais aussi à la Russie éternelle et à ses légendes païennes nées d’un climat si rude qu’il faut de belles histoires pour raconter, le soir, à la veillée auprès du feu, ces contes étroitement liés à la nature et aux saisons.

Vladimir Bielski a écrit pour le compositeur un premier opéra, Sadko, l’histoire d’un poète de la ville de Novgorod qui plonge au fond des océans et découvre le royaume magique qui s’y cache.  Il connait très bien le folklore russe tout comme la musique de Rimski-Korsakov ce qui fait dire à ce dernier « L’opéra n’existerait pas sans vous ! »

Le conte du tsar Saltan se déroule également dans un pays imaginaire et sur plusieurs années ; l’action se déplace de la ville de Tmoutarakan à l’île de Bouïane, cette île qui apparaît et disparaît. L’histoire emprunte beaucoup de ses thèmes à d’autres contes, y compris hors de Russie. La vieille babouchka Babarikha est accompagnée de trois sœurs dont les deux aînées sont paresseuses et envieuses et la plus jeune, exploitée, évoque Cendrillon. Elle sera l’élue du tsar, mais aussi la victime du vaste complot qui la jette à la mer dans un tonneau avec son fils, encore bébé.

Créé à Moscou à la fin de l’année 1900, l’opéra, splendeur musicale très moderne sur le plan de l’orchestration, annonce déjà Stravinsky et Prokoviev. Il est régulièrement joué en Russie où il représente la quintessence de cette fusion entre l’histoire folklorique et les talents littéraires et musicaux des Slaves au XIXè siècle. Monté pour la première fois dans des décors dessinés par le peintre Mikhaïl Vroubel, créateur notamment de la splendide parure blanche de la princesse Cygne, l’œuvre n’avait cependant que rarement dépassé les frontières du monde russophone dans les années qui ont suivi.

La rencontre fructueuse entre un metteur en scène et un ténor d’exception

La création par le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, en 2019, de la mise en scène inspirée, intelligente et novatrice de Dmitri Tcherniakov, a fait figure d’événement. Elle a été reprise ensuite à l’Opéra du Rhin avec le même succès, et depuis dimanche, à nouveau à la Monnaie. Et le public lui a réservé une standing ovation. À juste titre ! Tout était exceptionnel dans cette représentation (même la neige qui s’est invitée une demi-heure avant le début du spectacle) : œuvre, interprétation, mise en scène, décors, dynamisme.

Dmitri Tcherniakov raconte que, contrairement à ses habitudes, pour ce conte que tous les enfants russes connaissent, ses idées se sont mises en place très rapidement et qu’il s’est inspiré pour dessiner les contours de son Gvidon, du ténor et prodigieux acteur Bogdan Volkov, qu’il connaît bien. Volkov sait garder cette part de mystère et d’émerveillement qu’il traduit si bien sur la scène. On n’imagine mal d’ailleurs (pour la création et les reprises) un autre interprète, pour le tsarévitch, que Bogdan Volkov, ce lutin lumineux qui lutte contre sa part d’ombre et s’avère être ce Gvidone qui s’éveille de sa prison mentale pour devenir le prince, héros du conte.

Vous l’avez compris, Dmitri Tcherniakov imagine que le tsarévitch est autiste et que son incapacité à communiquer et sa peur de la réalité s’évanouissent dès lors que sa mère, avec laquelle il entretient un rapport fusionnel, lui lit un conte ou une légende  et tout particulièrement celle du Tsar Saltane. Alors l’aventure commence…

L’univers mystérieux des contes de notre enfance

Dmitri Tcherniakov a mis en scène la plupart des grands classiques du très riche répertoire russe et, d’une manière générale, il réussit très bien à évoquer cette atmosphère enchantée au travers des hypothèses qu’il suggère et du cadre qu’il créée, un peu comme une boîte à mystère, assez quelconque voire sinistre à l’extérieur qui révélerait en s’ouvrant toutes les merveilles du rêve et de l’imaginaire.

Juste avant l’introduction musicale du Prologue où l’orchestration de Rimski-Korsakov annonce déjà les multiples thèmes de l’œuvre, devant le rideau pare-feu, moche et sans la moindre décoration, sauf des jouets alignés – un petit écureuil orange, une princesse en miniature et des soldats argentés – apparaissent une femme et son adolescent de fils qui se tient voûté, les bras croisés, la tête penchée dans une posture craintive, typique de l’autisme. Et c’est ainsi que la jeune femme présente son garçon, précisant alors qu’il ne vit que par les contes et qu’elle va lui narrer l’un des plus beaux, celui des aventures du fils du tsar Saltan auquel il pourra s’identifier.

 

Cette sinistre réalité dans ce décor sans âme où les deux personnages principaux, la mère et le fils, sont habillés de manière quelconque, voire négligée, va peu à peu s’animer avec les différentes phases d’apparition du conte. Les personnages sont alors vêtus de costumes coloriés couleurs pastels à gros traits, un peu comme les figurines en papier d’un jeu d’enfant, les décors évoluent exclusivement sous la forme de dessins animés, souvent en noir et blanc, qui se tracent au fusain en rythme avec la musique et qui se colorisent autour du décor de rêve de l’île magique, pour l’apparition de la princesse cygne, ou pour celle de la ville avec ses coupoles dorées. La lumière du plateau est moins vive, plus romantique, plus mystérieuse. Les personnages arrivent depuis la salle sur des passerelles aménagées côté cour et jardin comme si les coulisses étaient inaccessibles le temps du rêve éveillé du Prince. Et l’on ne citera pas toutes les trouvailles picturales illustrées par les vidéos de Gleb Filshtinsky et dont on s’émerveille à chaque instant : l’adolescent autiste qui dort et rêve du bonheur du Prince – qu’il devient alors – durant les interludes musicaux, la scène de l’archer dirigeant finalement sa flèche contre l’aigle qui tombe en devenant un sorcier, le sortilège anéanti qui permet l’apparition de la belle ville de Ledenetz, les gracieux mouvements du jeune garçon dessiné par l’imagination du grand adolescent maladroit et surtout la formidable (et célèbre) scène comprenant le vol du bourdon où l’insecte effectue ses exploits au-dessus de la tablée du tsar et des sœurs,  pour devenir énorme quand il fonce sur l’une d’elles pour la piquer.

L’une des plus belles scènes de l’opéra de Rimski-Korsakov est celle où le cygne, épargné par le jeune garçon, lui révèle : « c’est la vie d’une jeune fille que tu as sauvée ». Musicalement, nous avons ce début des bois en notes scandées tandis que les altos et la harpe arpègent ensemble ; un solo cor et violon annonce l’un des plus beaux airs de la princesse cygne, installée dans son écrin magique par le truchement de la vidéo.

Des chanteurs excellents

Le théâtre de la Monnaie sait s’entourer d’interprètes de grande valeur stylistique, en lien étroit avec le répertoire proposé. Le plateau est dominé par la performance fabuleuse de Bogdan Volkov, en tsarévitch Gvidon et en adolescent autiste, qui rêve qu’il est un prince héroïque. Capable tout à la fois de se replier sur lui-même et de chanter d’une voix plaintive et mal assurée, il se redresse soudain et sa voix s’amplifie, se modifie comme son apparence, il devient grand, beau, fort. La partition n’est pas facile, mais, tout en modulant et en changeant sans cesse de style, il n’en fait qu’une bouchée, très à l’aise au milieu de cette orchestration luxuriante que son beau ténor domine sans peine, contre-notes à pleine voix comprises.

Et comme la princesse-cygne est la belle soprano Olga Kulchynska, dont le timbre est tout à la fois corsé et souple, et qu’elle assure toutes les colorature de la partition tout en lui donnant cet accent puissant, leurs duos sont divins et notamment celui de l’acte 4, « Chudo ne maloe », distillent l’émotion pure.

La tsarine Militrissa de Svetlana Aksenova, n’est pas en reste. La soprano, fabuleuse actrice elle aussi, en mère de l’adolescent autiste comme en reine déchue et condamnée à une mort atroce, nous offre une belle incarnation d’une voix tout à la fois juvénile et assurée, aux belles lignes de chant, particulièrement émouvante dans la scène où elle apprend quel sera son triste sort et où elle s’en remet à la mer pour la sauver, elle et son fils : la vision du tonneau ballotté par les flots où elle se protège tandis qu’il grandit, accompagne un chant déchirant sans pathos excessif, mais traduisant très bien cette douleur et cette volonté qui les sauvera.

La basse Ante Jerkunica donne au tsar, au-delà de sa naïveté et de sa coupable négligence à l’égard de sa femme et de son fils, une dimension humaine. Mais il campe aussi avec beaucoup de justesse, ce père en costume cravate, dans la triste réalité, manifestement plus fêtard que sérieux, qui ne parvient pas à renouer avec son fils, surtout quand il tente de « faire semblant » sans être capable de redevenir ce personnage de conte dont le fils rêvait de conquérir le cœur. La voix est comme toujours souveraine, puissante, subtile, très bien projetée.

On a également beaucoup aimé, tant pour le jeu que pour le chant, celles par qui le malheur arrive, la vieille parente Babarikha de la contralto Carole Wilson dont la profondeur et la puissance du bas médium et des graves impressionne, et les deux sœurs perfides, la grande Tkatchikha de Stine Marie Fischer et la petite Povarikha de Bernarda Bobro, toutes deux très bien assorties et bien chantantes.

L’ensemble des rôles secondaires est également très bien tenu.

On saluera tout particulièrement la très belle performance des chœurs qui adoptent une disposition spatiale impressionnante sur le plan de l’acoustique, avec des chants qui viennent des niveaux les plus élevés du théâtre et d’autres des deux loges situées de chaque côté de la scène, dans un effet de spatialisation acoustique impressionnant.

L’orchestre de la Monnaie étincèle de toutes ses cordes, cuivres, bois et percussions (célesta et harpe compris…) sous la direction de Timur Zangiev. Le jeune chef d’orchestre russe est un fin connaisseur de la musique de Rimski-Korsakov mais aussi des contes de Pouchkine dont il qualifie le style narratif « d’ingénieuse simplicité » ; autrement dit, ces récits « sont faciles à comprendre même pour de jeunes enfants », mais sont aussi « d’une profondeur et d’une concision incroyable » permettant ainsi « la découverte de nouveaux détails et de nouvelles couches de sens ».

Et c’est au service de cette riche illustration musicale de Rimski-Korsakov, que le chef du Stanislavski Opera, régulièrement invité au Bolchoï comme au Mariinsky, dirige l’orchestre de la Monnaie avec talent et conviction.

Une très belle reprise, à la hauteur de la magnificence de l’œuvre musicale qui permet une découverte idéale de la magie des contes et de la beauté de l’opéra russe.

Le conte du Tsar Saltane, de Rimski-KorsakovThéâtre de la Monnaie, Bruxelles, du 3 au 19 décembre.

Réservation et tickets ici.

https://www.lamonnaiedemunt.be/fr/program/2657-le-conte-du-tsar-saltane

 

Visuels : © Forster