Les représentations actuelles de la Vestale de Spontini à l’Opéra de Paris dans la mise en scène de Lydia Steier, sont l’occasion de revenir sur l’enregistrement de référence qu’a réalisé le Palazzetto Bru Zane, avec les Talens Lyriques sous la direction de Christophe Rousset.
À l’instar de l’Armide de Lully (1686) actuellement à l’Opéra-Comique, la Vestale de Spontini (1807) est une tragédie lyrique, terme correspondant à un genre typiquement français par opposition au dramma per musica italien illustré actuellement à Paris, au théâtre des Champs-Élysées, par L’Olimpiade de Vivaldi (1734).
Composée à l’aube du dix-neuvième siècle par Gaspare Spontini sur un livret d’Étienne de Jouy, l’œuvre préfigure les grandes évolutions lyriques d’un siècle qui verra bientôt la domination du grand opéra français, et se situe à la charnière de deux conceptions bien différentes.
Spontini en effet, recherchait un grand sujet historique en référence à la grandeur impériale de Rome, alors qu’il s’était installé à Paris au moment des débuts de l’empire napoléonien, lui-même tentative de synthèse entre des régimes politiques différents. Son succès d’alors tient beaucoup au fait que la réalisation répondait à cette envie de croire à l’avenir de ce système à mi-chemin entre la révolution et la royauté. Un peu oubliée malgré une relance au début du vingtième siècle à la suite d’une traduction en italien, puis dans les années 50 avec l’incontournable incarnation de Maria Callas, la Vestale a connu peu d’enregistrements inoubliables.
C’est le théâtre des Champs-Élysées qui en 2013 puis à nouveau en juin 2023, a ressuscité cette Vestale tombée dans l’oubli, en proposant une version concert autour de laquelle a été enregistré un album luxueux et très richement documenté, du label Palazzetto Bru Zane.
Nous revenons sur l’intérêt de cette véritable référence discographique sortie il y a un an alors que c’est au tour de l’Opéra de Paris de proposer une version scénique de cette Vestale ces jours-ci.
Cette foison de représentations de fin de saison à Paris, permettra au spectateur curieux de l’histoire de l’opéra de se livrer aux comparaisons entre ces œuvres, voire de mieux comprendre la genèse des formes lyriques et instrumentales dans ces pays d’Europe alors dominants dans le genre, que sont l’Italie et la France.
Et pour ce qui concerne le CD, cet intérêt sera notamment nourri par le choix du label PBZ de faire appel à Christophe Rousset et ses talens lyriques, autrement dit -comme pour l’actuelle Armide de Lully- à des instruments de l’époque aux sonorités moins clinquantes et moins sèches que ceux d’aujourd’hui qui rendent à l’orchestration ses sonorités brillantes. Et choisir la version française d’origine redonne également à l’œuvre son authenticité.
Mais d’abord et avant tout, nous retiendrons une direction vive et dynamique qui donne à une œuvre parfois fastidieuse, un élan bienvenu qui rend son écoute intéressante sans atteindre toutefois les sommets de l’art lyrique. Rousset s’appuie en effet davantage sur les références de la tragédie lyrique que sur le Grand Opéra français à venir, des Meyerbeer et Halévy. Et si l’on peut évoquer le futur Berlioz en écoutant Spontini, on doit quand même ajouter qu’on en est encore assez loin et que le déséquilibre d’une œuvre où de lourds récitatifs alourdissent la trame dramatique et où il manque d’évident grands airs galvanisants, n’est pas facile à combler.
Jusqu’à présent seul l’enregistrement pirate de Maria Callas à la Scala donnait un aperçu de l’intérêt de l’œuvre, essentiellement du fait d’une interprète exceptionnelle dont tout le monde connait le sens de la tragédie. Les albums suivants, y compris celui dirigé par Riccardo Muti ne parvenaient pas vraiment à sortir l’œuvre de l’oubli.
En retournant aux origines, Christophe Rousset donne davantage d’éléments passionnants d’analyse de cette œuvre.
Sa formation instrumentale est idéale pour interpréter l’ensemble des parties instrumentales à commencer par l’imposante et solennelle ouverture sans lui conférer un style par trop pompier hors sujet mais en respectant au contraire une certaine légèreté mozartienne aux mélodies au travers desquelles on perçoit certains accents plus tragiques annonçant le drame. Ralentissement et accélération des belles orchestrations sont maitrisées et l’accompagnement des nombreux chœurs et des airs complexes réservés aux solistes sonnent juste sans jamais couvrir la partie vocale.
Le choix d’une distribution de qualité, notamment pour le rôle-titre, est l’autre atout de cet enregistrement de référence.
C’est la soprano Marina Rebeka qui incarne Julia, la jeune Vestale et, si son français est sans doute moins idiomatique que celui de ses partenaires francophones, son respect scrupuleux du texte force l’admiration. Ses qualités vocales dans le bel canto dramatique ne sont plus à démontrer notamment dans Bellini et Donizetti où elle s’est illustrée dans les rôles les plus difficiles du répertoire. Elle domine également sans difficulté les longs arias qu’elle doit affronter et dès « sur cet autel sacré » à l’acte 2, elle marque avec force la complexité des sentiments contraires de son personnages au travers des changements de couleur, de rythme et de nuances de son chant tout en respectant scrupuleusement le legato, les ornementations, les élans élégants vers les aigus comme les descentes vers le médium qu’elle a solide et charnu. Le tout est extrêmement vivace et éblouissant de virtuosité. Et l’on se pâme sans hésiter devant la beauté des modulations de « Ô des infortunés, déesse tutélaire » tout en douceur, en belles liaisons émouvantes avec ce « je veux mourir » murmuré tandis que l’orchestre reprend la main avec autorité sur l’air suivant.
En Licinius, Stanislas de Barbeyrac dont le répertoire ne cesse d’évoluer tout comme son timbre qui s’assombrit régulièrement, nous offre une belle prestation à la diction impeccable, ouvrant le bal avec un « la nuit achève sa carrière » très convaincant tout comme le désespéré « non, non, je vis encore » de l’acte 3 où le ténor se montre particulièrement brillant dans le tragique du propos.
Et la ressemblance de timbre entre le ténor et l’interprète de Cinna, le baryton Tassis Christoyannis, le premier à la tonalité sombre, le deuxième plutôt clair, est assez troublante mais offre un contraste d’autant plus important avec la voix de basse (hélas un peu vibrionnante et instable) de Nicolas Courjal qui chante le Souverain Pontife avec toute la cruauté attendue.
Aude Extrémo, en Grande Vestale, possède la tessiture requise de mezzo-soprano dotée de graves solides, et capables d’envolées vers les aigus assurés d’une belle voix qui ne craint pas les écarts de notes. Notons son admirable « L’amour est un monstre barbare ».
Plutôt spécialiste du répertoire baroque, le baryton David Witczak se montre également très à l’aise dans les rôles du consul et du Chef des Aruspices.
Les chœurs du Flemish Radio Choir s’illustrent à de nombreuses reprises, assurant brillamment leur partie, offrant une prestation animée à la diction impeccable et aux voix chaleureuses.
Et ajoutons que l’on doit à ces artistes exceptionnels et à la direction musicale particulièrement inspirée de Christophe Rousset, des duos et trios impeccables qui ponctuent l’œuvre et sont tout à la fois harmonieux et rythmés.
Le retour aux sources d’une œuvre que pratique régulièrement le label PBZ trouve avec cet enregistrement, une vraie raison d’être qui permet de re-découvrir une œuvre parfois malmenée ou trahie à laquelle il fallait re-donner ses lettres de noblesse.
Palazzetto Bru Zane, La Vestale
Visuel : © PBZ