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La Monnaie : « Révolution » et « Nostalgie », une épopée lyrique que Verdi n’aurait pas reniée !

par Helene Adam
01.04.2024

En composant un nouvel opéra en deux parties, Rivoluzione e Nostalgia, le théâtre de la Monnaie à Bruxelles propose une expérience musicale et théâtrale inédite : la musique vient des seize premiers opéras de Giuseppe Verdi et illustre avec richesse et talent, l’histoire de quelques jeunes soixante-huitards qui se retrouveront loin de leurs illusions des dizaines d’années plus tard. Mais guérit-on des utopies de la jeunesse ?

La (re)découverte fascinante du jeune Verdi

Le « pasticcio » est un plat grec italianisé mais c’est aussi un « genre » à l’opéra, très prisé à l’époque baroque et tombé en disgrâce (relative) depuis lors.

À l’époque, il s’agissait juste de recycler les dizaines d’opéras, qui tombaient souvent dans l’oubli après leur création sur les scènes italiennes, en recomposant une nouvelle œuvre à partir d’extraits de ceux-ci.

 

Après « Bastarda » en 2023, œuvre originale qui retraçait la vie d’Élisabeth I d’Angleterre à partir d’un remix d’extraits des quatre opéras « Tudor » de Donizetti, le théâtre de la Monnaie de Bruxelles se lance dans un projet encore plus audacieux. Il s’agit cette fois de construire un nouvel opéra complet en deux parties, en langue italienne. Si l’histoire racontée est nouvelle et originale, la musique est exclusivement composée d’extraits vocaux et instrumentaux des opéras du jeune Giuseppe Verdi.

Et à l’issue de la deuxième partie, on est totalement conquis par le concept et par sa brillante interprétation, encore tout étonné et charmé d’avoir entendu autant de Verdi à la fois, expérience inédite et qui donne un relief tout particulier au talent du maitre de l’opéra italien de la deuxième moitié du XIXe siècle.

L’idée de Peter de Caluwe, initiateur du projet et directeur du théâtre, était de faire connaître certaines partitions du génie italien, aujourd’hui peu jouées, souvent difficiles à monter, et qui représentent pour le jeune Giuseppe Verdi ses « anni di galera », quand, entre 1839 et 1850, il devait produire à tout prix et le plus rapidement possible.

 

Pourtant l’ossature du drame, selon Verdi, est déjà présente avec ses spécificités dans ces œuvres injustement oubliées : la force des parties instrumentales, le rôle des chœurs comme personnages à part entière, la construction dramatique vocale basée sur la succession « scéna-aria-cabalette », le fameux triangle amoureux soprano-ténor-baryton. La dynamique de cet enchainement donne un élan fulgurant et continu vers l’explosion finale à la première partie « Révolutionne », tandis que la deuxième, « Nostalgia », propose déjà une vision plus moderne où la réflexion s’enroule sur elle-même comme le font les souvenirs du passé sans trouver d’issue aux regrets de ce qui est définitivement achevé.

Une collaboration fructueuse

Ce remarquable travail de construction d’une œuvre nouvelle est le résultat d’une collaboration entre le réalisateur Krystian Lada et le chef d’orchestre Carlo Goldstein, l’un se chargeant du texte, du scénario et de la mise en scène, l’autre du choix des fragments musicaux.

De l’ouverture de Nabucco au célèbre « Va Pensiero », se déroule sur plus de quarante ans, l’histoire de cinq amis qui avaient 20 ans en l’an 1968, quand le fond de l’air était rouge et qu’il était « interdit d’interdire ». Et il faut absolument voir les deux parties tant le puzzle bien plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord, ne prend tout son sens qu’en fin de deuxième épisode. Ce qui pouvait ressembler à un scénario un peu faiblard à l’issue du foisonnant Rivoluzione gagne soudain en profondeur psychologique et dramatique avec les circonvolutions de la mémoire à l’œuvre dans Nostalgia. Et si ?

Car le propos garde intact ce souvenir des plus belles années d’une jeunesse fourmillant d’idées, jeunesse qui a cru avec opiniâtreté à ces simples mots : « soyons réaliste, demandons l’impossible ».

Que reste-t-il de notre histoire ?

La jeune étudiante en cinéma, Cristina, dialogue avec le beau Giuseppe, futur ingénieur encore à l’École, qu’elle interviewe pour son projet de fin d’études sur le thème : « À ton avis, dans quelques années, de quoi se souviendra-t-on ? Que restera-t-il de notre époque ? ».

La mémoire construite et reconstruite du passé est donc conviée dès le début tout comme d’ailleurs, une succession d’images vidéo projetées à un rythme très rapide, sur la succession des thèmes de l’ouverture de Nabucco, d’abord solennelle, puis plus légère, rythmée suivi du magnifique chœur de Macbeth « Patria oppressa ». Société de consommation, bonheur facile et futile, jeunesse insouciante, autant de clichés qui sont soudain remplacés par la vision de la guerre, la bombe atomique, puis les bombardements du Vietnam. Les raisons de la révolte de la jeunesse refusant un monde tout à la fois injuste et dangereux, sont clairement exposées.

 

Les protagonistes sont les archétypes de cette multitude en révolte dans le monde entier mais leurs personnalités de jeunes italiens artistes, fantasques, fougueux, sont décryptées avec minutie, base même des amours mais aussi des drames qui se nouent, restant ainsi fidèle à l’élan et au rythme de la musique verdienne.

Laura est violoniste, fille de flic, « bourgeoise » mais sincèrement révolutionnaire, pacifiste d’abord puis prônant la lutte armée face à l’impuissance de leurs barricades, amoureuse du séduisant ouvrier des chantiers naval, Carlo. Mais c’est l’époque du « jouissez sans entrave » et comme « il est interdit d’interdire » et que « le privé est politique »,  Carlo profite de son intronisation dans le groupe politique où dominent les étudiants pour tomber amoureux de Laura bien sûr, mais aussi de Cristina. Carlo est un jouisseur plus faible que son côté matador, boxeur à ses heures, et très italianissimo, ne le laisse entendre. Il trahira la révolution après une longue séquence où il est tabassé par la police, acceptant de quitter Laura contre une somme d’argent, deal passé par le chef de la police, père de Laura, dans une Diane garée au milieu de nulle part, scène qui deviendra le symbole des renonciations.

Giuseppe, le frère de Laura, trahira aussi ses idéaux révolutionnaires en endossant l’uniforme de policier de son père, tandis que Lorenzo, l’impétueux pianiste musicien, le petit ami de Laura au début du récit, celui qui prône l’action violente face à la répression policière, deviendra un musicien célèbre.

 

Et c’est en retrouvant Giuseppe, Carlo et Lorenzo, une quarantaine d’années plus tard, alors qu’ils sont invités par Donatella au vernissage de l’œuvre révolutionnaire du plasticien Icilio, intitulée « la barricade de 68 », que l’on comprend les drames intimes qui se sont noués quand finit Rivoluzione. Et comme dans les meilleurs mélos dont Verdi faisait son miel, nous avons bien sûr des révélations de filiation et des vérités cachées qui émergent de la fumée des lacrymogènes tandis que la révolution semble finalement prendre le dessus sur les lâchetés individuelles avec ce final grandiose où le fantôme de Laura joue un air de violon suivi par la conclusion de Nostalgia et ce chœur sublime de Nabucco que chacun a alors envie d’entonner avec les membres du chœur disposés dans les loges de côté.

Il y a bien quelques incohérences, des paroles de Macbeth ou des Lombardi qui ne collent pas vraiment avec le récit, mais cela ne retire rien à ce sentiment d’unité d’une œuvre nouvelle qui n’est pas un patchwork mais une autre histoire que celles racontées par les multiples œuvres de Verdi tout en demeurant fidèle à son légendaire sens du drame.

L’inventivité de la mise en scène

La mise en scène est foisonnante : toujours en lien avec le génie verdien dont on connait l’imagination souvent au bord de l’invraisemblance, Krystian Lada utilise à foison la vidéo sous toutes ses formes : écran situé au-dessus de la scène d’abord, avec slogans soixante-huitards en lettres rouges, images ou films d’archives d’une très grande richesse iconographiques, où l’on reconnait d’ailleurs de nombreuses illustrations des manifestations parisiennes, notamment de la nuit des barricades en mai 68, mais aussi – et c’est l’une des grandes richesses de la réalisation – véritable film tourné avec les chanteurs-acteurs des deux parties, qui donne un sens à l’ensemble avec des flash-back réguliers sur la réalité des faits, un très astucieux vieillissement des protagonistes au début de la deuxième partie, et un aller et retour régulier entre les scènes filmées et la scène directe.

Le procédé est non seulement très astucieux mais il est très efficace pour « suivre » cette histoire qui se déroule sans temps morts mais révèle ses pans cachés dans le désordre. Le choix de chanteurs qui sont tous des acteurs exceptionnels sachant « dire » les textes parlés fort nombreux, et dont les personnages âgés ressemblent à ce qu’ils étaient jeunes, les ravages du temps en sus, donne un « plus » incontestable au procédé qu’on a rarement vu aussi soigné et aussi réussi.

 

À sa grande maitrise des parties cinématographiques, Lada ajoute une théâtralité admirable sur scène, sa direction d’acteurs est irréprochable et comme si cette complexité fort bien articulée ne lui suffisait pas, il engage également des petits génies de la danse urbaine, hip-hop, kromp et autres styles, qui, sur une chorégraphie de Michiel Vandevelde, vont donner régulièrement une dynamique supplémentaire, rappelant que la révolution a été aussi une source de joie, a eu son aspect festif et enthousiaste, à tel point que beaucoup, ensuite, ont eu du mal à franchir le pas du retour à l’ordinaire. La rencontre entre ces formes modernes et expressives de danse et les chœurs de Verdi sur fond de manifestations représentent un choc visuel et sonore profondément touchant, notamment dans le final de l’acte 1.

La scénographie elle-même évolue radicalement entre les deux parties : pour Rivoluzione, c’est l’animation permanente de la scène à dominante rouge qui domine, avec peu d’accessoires. Ceux-ci se retrouveront tous sur la fameuse barricade du final (que l’on découvre sur un plateau tournant au début de l’acte 3 tandis que l’orchestre joue le prélude de Il Corsaro), quand chacun est prêt à se séparer de son bien pour construire un autre « futur ». À l’opposé, c’est le calme policé de la bonne société qui a tout envahi quarante ans après avec  ses teintes blanches ou sépia pour Nostalgia, quand vieillis et rangés, nos trois « héros » contemplent la même barricade devenue sculpture qui garde pourtant toute sa portée profondément subversive.

Il faut sans doute voir plusieurs fois l’œuvre pour en saisir tous les aspects et l’on peut regretter certaines longueurs comme la scène des « rêves » de Laura où défilent les représentants de différentes générations de références révolutionnaires, de Robespierre au Che, qui suscite plus de rires que d’émotion, mais globalement, la magnifique musique de Verdi aidant, on est captivé puis conquis.

Viva Verdi

Le choix des extraits musicaux est l’œuvre de celui qui dirige l’orchestre de la Monnaie pour ces représentations, Carlo Goldstein. Le maestro prend un évident plaisir à conduire ces heures de musique dont l’assemblage est totalement inédit et qui permet de voir se succéder par exemple, un chœur de Macbeth (« Patria oppressa »), la scène (« E ancor silenzio ! ») et l’aria (« Ma quando un suon terribile ») de Pagano à l’acte 2  de I Lombardi alla prima crociata puis les scènes, arias, cabalettes et duos principaux de l’acte 1 de Luisa Miller.

Et si l’on reconnait avec plaisir les morceaux des opéras connus de cette époque tels Macbeth, Ernani, Luisa Miller, Nabucco, c’est surtout la richesse de l’enchainement qui séduit.

Et l’on a aussi droit à des extraits intéressants d’œuvres plus rares, telles Un giorno di regno (1839), avec le récitatif, la scène et le duo de l’acte 1 (« Un giorno di regno »), le chœur emblématique « Viva Italia » de La battaglia di Legnano (1849), de nombreux passages de Stiffelio (1850), d’Oberto (1841) ou encore l’Ouverture d’Alzira (1845).

 

D’une manière générale, le choix est équilibré et brasse tous les styles musicaux chers à Verdi, ne ménageant ni les solistes qui ont de très difficiles airs à exécuter, ni les chœurs très sollicités, ni l’orchestre et ses solistes instrumentaux, telle la violoniste Satenik Khourdoïan jouant seule au sommet de sa barricade, ou l’organiste Tohar Gil dont le solo d’orgue à l’harmonium, « Preghiera », extrait de l’acte III de Stiffelio, accompagnent les silencieuses retrouvailles entre le vieux Carlo et sa fille Virginia dans Nostalgia.

Et pour donner une vision complète de l’art de Verdi, les chœurs, sous la direction de Emmanuel Trenque, ont la part belle, tout comme les « ensembles » vocaux, duos, trios, quatuor et leurs excitants élans lyrique phénoménaux.

Chanteurs et acteurs

Côté chanteurs, on se félicite d’abord sans réserve et même au-delà de leur formidable performance d’acteurs et de leur étroite adéquation aux rôles.

Le jeune Carlo est idéalement incarné par le ténor italien Enea Scala, toujours très expressif sur scène et qui a l’art du théâtre chevillé au corps (qu’il a fort séduisant par ailleurs, quelques scènes torse nu le mettant en valeur). Son Carlo vit totalement au travers de son interprétation, de son physique et même de son chant. Pourtant, spécialiste du bel canto donizettien et rossinien, il n’a pas tout à fait le style vocal requis pour Verdi, manquant parfois de stabilité dans les héroïques montées vers les aigus « forte » ou de précision dans les écarts de notes dont le compositeur ornait ses « arias », et qui doivent s’exécuter en mode legato, sans décrochage pour renforcer le caractère dramatique. Mais on ne lui en tient pas rigueur, trouvant même dans ces imperfections, matière à illustrer le beau garçon entraîné dans une aventure révolutionnaire dont il sortira profondément meurtri, et qui ne sait pas toujours manier le verbe, le petit livre rouge ou le mégaphone écarlate avec l’aisance de ses petits camarades intellectuels. Une chose est sûre, il remporte un énorme succès parfaitement mérité du fait de son incroyable investissement, de son charisme exceptionnel et d’une voix au service de l’émotion qu’il distille parfaitement tant il vit son rôle. Ainsi en est-il par exemple de la succession de la scène d’Arrigo « O magnanima e prima » et de l’émouvante cavatine « La pia materna mano » extraits de l’acte 1 de La battaglia di Legnano, ce moment de l’acte 2 de Rivoluzione où Carlo raconte son périple dramatique en prison. Et son « Quando le sere al placido » (Rodolfo, acte 2 de Luisa Miller) est suffisamment poignant, avec ses phrases musicales tout en nuances, ses silences, ses accélérations, pour déclencher une ovation du public.

 

Le Giuseppe du baryton italien Vittorio Prato a aussi prestance et présence scénique incontestable et s’acquitte très bien de quelques airs assez difficiles tels que l’enchainement des arias (et duos avec Lorenzo) de Un giorno di regno à l’acte 1. Il manque sans doute, lui aussi, un peu du fameux legato verdien et de l’art de colorer qui fait la richesse des chanteurs dans ce style, mais dans l’ensemble, sa prestation est honnête et généreuse.

 

On sera plus circonspect sur celle de Justin Hopkins en Lorenzo, la basse ne semblant pas vraiment taillée pour des rôles tels que le héros éponyme d’Attila ou ce « E ancor silenzio » déjà cité. Si le chant est expressif et ne manque ni de nuances, ni de couleurs, le vibrato persistant lui fait souvent perdre justesse et précision.

Nino Machaidze est Laura, la passionaria, l’égérie de la petite bande, qu’elle symbolise physiquement à merveille, cigarette aux lèvres, longs cheveux dénoués et chaleur de la parole quand elle harangue les foules étudiantes. Mais, si celle qui ira au bout de ses convictions, qui ne trichera jamais jusque dans la mort, vit au travers du jeu fabuleux de la soprano, sa prestation vocale pour émouvante qu’elle soit, n’est pas parfaite elle non plus. Joli timbre, souvent un peu trop gracile pour les airs de Verdi, elle ornemente son chant de quelques vocalises parfois un peu précautionneuses, mais manque trop souvent de l’épaisseur de voix et de la richesse d’harmoniques nécessaires.

 

On lui préférera, la très belle prestation de la plus verdienne du plateau, la jeune soprano polonaise Gabriela Legun, encore inconnue mais qui ne le restera pas longtemps, qui incarne les rôles trop courts de Cristina dans Revoluzione puis de sa fille Virginia dans Nostalgia et qui nous éblouit par son assurance vocale royale. Elle ouvre en particulier l’acte 2 par un « Tu al cui sguardo onnipossente » (aria de Lucrezia dans I due Foscari) d’une maitrise stupéfiante, trilles, ornementations, aigus aériens et souverains, vocalises, ligne musicale superbe, longues notes tenues, rien ne manque. Et l’on se réjouit d’ailleurs de la retrouver dans la deuxième partie, malgré la trop grande brièveté de sa présence.

 

Dans cette seconde partie, le plateau vocal est d’ailleurs plus uniformément conforme au style requis. Saluons tout particulièrement la prestation d’Helena Dix, magnifique interprète de la malicieuse et astucieuse Donatella aussi douée dans le jeu scénique des textes parlés que dans les airs verdiens parmi lesquels, le célèbre « Una macchia è qui tuttora ! » de Macbeth fort bien maitrisé.

Carlo n’est plus ténor mais baryton et c’est Scott Hendricks qui incarne le séducteur assagi (quoique…) les images récurrentes de sa jeunesse (avec Enea Scala) venant régulièrement s’incruster dans le tourbillon de la mémoire. Son chant est beau, soutenu et il incarne avec beaucoup de justesse l’âge mûr d’un révolutionnaire impétueux que sa trahison obsède. Il en est de même avec la basse Giovanni Battista Perodi (Giuseppe) qui se remémore les réalités de la mort de Laura lors d’un dernier acte particulièrement éprouvant.

 

Et si la jeune Cristina de Gabriela Legun, avec sa superbe projection claire et harmonieuse, dominait les ensembles de Rivoluzione, sa Virginia trouve son partenaire idéal avec la belle voix claire du jeune ténor Paride Cataldo, encore un nom à suivre de près. Leur duo est une merveille beaucoup trop courte !

En présentant une double œuvre inédite et ambitieuse, dans le désir proclamé de faire bouger les lignes et de renouveler l’intérêt pour l’opéra en gagnant le cœur d’un public rajeuni, La Monnaie confirme son rôle innovateur et dynamique.

 

On peut revoir les deux opéras sur Operavision et la captation est de grande qualité même si cela ne vaut jamais le direct dans la salle elle-même !

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Visuels : © Karl Forster