Créée en 2007 à Londres, la production de La Fille du régiment, imaginée par Laurent Pelly, a depuis fait le tour du monde, arrivant à Paris en 2012. Julie Fuchs et Lawrence Brownlee portent, avec tout leur brio, cet ouvrage délicieux, qui moque en une fantaisie volontiers gaillarde les préjugés sociaux entre aristocrates et militaires.
Par Florent Coudeyrat
Il faut courir découvrir ou redécouvrir cette production de l’un des plus parfaits bijoux comiques de Donizetti, et ce d’autant plus que l’Opéra de Paris propose des tarifs bradés sur les premières représentations. Non pas que le spectacle soit parfait : on s’étonne ainsi d’une transposition finalement assez sage au temps de la Première Guerre mondiale, qui permet surtout à Laurent Pelly d’offrir un écrin visuel épuré, admirablement magnifié par les éclairages. Les savoureux clins d’œil à la Troisième république (notamment les cartes géographiques revisitées sous plusieurs formes) rappellent combien la volonté d’éducation des masses populaires représentait alors un enjeu décisif pour lutter contre l’illettrisme. De quoi donner à la scène des difficultés de lecture ou de la leçon de chant de Marie, une saveur autrement plus contextualisée qu’à l’habitude.
Le principal changement revient toutefois aux dialogues modernisés par Agathe Mélinand, qui apportent autant des gags plus contemporains (comme la référence aux Jeux olympiques, dont l’attribution venait alors d’être faite en faveur de Londres), qu’une tonalité se distançant de la glorification militaire longtemps incarnée par cet ouvrage. On regrette malheureusement que ces changements au niveau des dialogues s’éloignent par trop de la langue originale des airs et ensembles, non modifiée.
Un autre motif de regret vient de la battue certes élégante d’Evelino Pido, mais qui fait entendre un Orchestre de l’Opéra de Paris aux sonorités trop transparentes pour valoriser tous les contrastes, particulièrement les aspects humoristiques en grande partie dévolus aux militaires, souvent accompagnés d’une l’orchestration cuivrée et plus chargée. Les mêmes observations peuvent être faites vis-à-vis des chœurs, trop lisses pour incarner la gaillardise attendue. Les parties plus lyriques permettent heureusement aux tourtereaux de s’épanouir dans un luxe sonore bienvenu, sans ralentissements excessifs.
Julie Fuchs se saisit ainsi du rôle de Marie avec un bel aplomb, en faisant valoir un timbre velouté et une émission aérienne, notamment dans la souplesse des vocalises. Il faudrait toutefois davantage de couleurs et de variations dans les phrasés pour nous emporter plus avant, tout autant qu’une attention soutenue à la diction, au service du sens.
C’est précisément en ce domaine que Lawrence Brownlee impressionne tout du long, en donnant une leçon de ligne vocale, admirablement conduite sur toute la tessiture. L’éclat et le brillant font de ce maitre du belcanto un interprète toujours aussi saisissant dans ce répertoire. On aime aussi le Sulpice de Lionel Lhote, qui ne surcharge jamais sa balourdise comique, tandis que Susan Graham fait l’étalage de sa classe vocale, au verbe haut et agile, dans un rôle qui lui va comme un gant. Sa rivalité enfantine avec la Duchesse, incarnée par la toujours pimpante Felicity Lott, reste un des plaisirs les plus délicieusement régressifs, de ceux que l’on ne se refuserait sous aucun prétexte.
Ce spectacle nous rappelle immanquablement la version de concert de La Fille du régiment donnée en début d’année au Théâtre des Champs-Élysées, où une autre artiste illuminait de sa générosité rayonnante le même rôle de Marie, la regrettée Jodie Devos. Nos pensées émues se tournent une nouvelle fois vers elle et ses proches.
Visuels : © Elisa Haberer