« La fanciulla del West » à Hambourg : une grande Minnie est née !

Le passage américain de Puccini et son « opéra western »

Alors que Madame Butterfly (1904) avait fini par connaître un triomphe après des débuts difficiles, Puccini est à la recherche d’un nouveau livret.
Les auteurs et les titres défilent (dont « La Tragédie florentine » d’Oscar Wilde, Dante, Gorki, Pierre Louÿs, et même une « Marie-Antoinette »). Finalement, c’est aux États-Unis (où il doit parrainer une « saison » puccinienne au Metropolitan) que le compositeur trouve l’occasion, au Belasco de New York, avec la pièce de théâtre « The Girl of the Golden West ».

L’adaptation est alors confiée à l’écrivain Carlo Zangarini et le livret est finalisé à l’été 1908. La création, dirigée, en alternance, par Giulio Gatti-Casazza et Arturo Toscanini, avec Emmy Destinn, Pasquale Amato, et un certain… Enrico Caruso, a lieu le 10 décembre 1910 au Metropolitan Opera et est, à la fois, un événement et un triomphe.
L’œuvre continuera ensuite son parcours, de Chicago à Boston, du Covent Garden (en 1911) au Teatro Costanzi de Rome (avec Toscanini au pupitre) ou à Florence en 1954 (avec Dimitri Mitropoulos).
Avec le temps, les distributions les plus prestigieuses ont réuni les plus grands artistes : Eleanor Steber, Renata Tebaldi, Brigit Nilsson, Deborah Voigt, Eva-Maria Westbroek, Nina Stemme dernièrement, Jussi Björling, Franco Corelli, Mario del Monaco, Placido Domingo, José Cura, Jonas Kaufmann…

De par son sujet et sa musique emplie de couleur locale américaine, La fanciulla del West est un opéra atypique.
Le sujet n’est pas loin de ressembler à ce que sera le grand western de Nicholas Ray, « Johnny Guitare » (1954) avec Joan Crawford dans le rôle d’une tenancière de saloon.
En ces années de création, et après trois triomphes consécutifs, Puccini est alors en pleine période d’innovation (le prochain opéra sera La rondine).
Mais, force est de constater que, malgré les évidentes qualités de l’œuvre (langage harmonique, structures rythmiques, écriture vocale ambitieuse pour le rôle de Minnie), Puccini peine à donner une identité forte à l’opéra et qu’il est difficile de se rappeler d’un quelconque air de cette fanciulla. Quoi qu’il en soit, la condition pour l’apprécier est qu’il soit bien servi, particulièrement pour le rôle féminin. Et c’était le cas ce soir, à Hambourg, de manière éclatante.

Pirozzi, Sgura, Kunde, un trio de choix

Dès la lecture du chapitre de la Bible (« Lavami, e sarò bianco ») et le badinage avec Rance (« Laggiù nel Soledad »), Pirozzi démontre son adéquation au rôle et sa capacité à se fondre dans la prosodie puccinienne. Les phrases longues sont assumées avec ampleur et lumière, ce qui se confirme ensuite brillamment dans le premier duo avec Dick Johnson (« Mister Johnson» (…) « Oh, lo fareste anche voi! »).

En raison des épanchements dramatiques de l’acte II, le rôle a souvent été accaparé par des « wagnériennes ». Mais l’on apprécie l’incomparable atout que représente ici une véritable soprano dramatique italienne pour véritablement savourer la parution du compositeur qui, pour avoir tenter de nouvelles expériences de l’autre côté du Monde, n’en a pas moins gardé sa coloration unique.
Si le long duo de l’acte II avec Dick Johnson (« Perdonate… » (…) « O, se sapeste ») est déjà magnifique et montre la musicalité de l’interprète avec sa voix ample, l’on passe à une autre dimension après la révélation de la véritable identité de l’étranger, une dimension que Pirozzi peut assurer avec aisance, d’abord lorsqu’elle le renvoie avec violence.
Elle est ensuite absolument impressionnante lorsque, pistolet la main, elle doit affronter Rance qui est à la recherche du fugitif, puis lors de l’étonnante et éprouvante partie de cartes qui termine l’acte II en apothéose ; et ce, d’autant plus que les deux interprètes sont alors magnifiquement escortés par l’orchestre.
Elle n’aura, ensuite, plus qu’à faire une bouchée de la scène finale, après une arrivée en un long souffle digne d’une Walkyrie, où la ligne de chant élégante peut se déployer pour sauver Dick en rappelant aux mineurs ce que chacun lui doit (« Non vi fu mai chi disse »).

Claudio Sgura qui pratique le rôle de Jack Rance depuis longtemps (c’était déjà lui dans la production parisienne en 2014 avec Nina Stemme) reste une référence qu’il affirme dès son air de l’acte I (« Minnie, dalla mia casa son partito »).
Son timbre sombre est un vecteur approprié pour ce personnage qui combine ses fonctions de shérif et son attirance pour Minnie. Son grand moment est, bien évidemment, l’affrontement avec Minnie (« Sei fiera! L’ami! ») dans lequel lui, comme la soprano, se révèlent au même niveau d’excellence.

À 71 ans, dans le rôle de Dick Johnson, Gregory Kunde montre qu’il a encore largement les ressources et que, même si la ligne de chant n’est pas toujours très stable, la qualité est encore de mise, notamment à l’acte II, lorsqu’il clame son innocence face à Minnie (« Una parola sola»).
La fatigue se fera, néanmoins, plus nettement sentir, dans le dernier acte, avec l’air « Ch’ella mi creda libero» dans lequel, malgré des aigus exceptionnels, la voix accuse, de plus en plus de vibrato. Ces inévitables usures du temps n’auront, néanmoins, pas empêché Kunde de montrer là, son exceptionnelle longévité.

Le nombre de personnages est particulièrement important dans La fanciulla et chacun trouve son utilité dans le début de l’acte, et, surtout dans l’acte III où la foule piaille à l’idée de pendre Johnson / Ramerrez.
Chaque membre de cette distribution, globalement bonne, peut ainsi parfaitement donner corps à la musique et à l’histoire de l’excellent Nick d’Andrew Dickinson, de la superbe voix de ténor de Mziwamadoda Sipho Nodlayiya aux membres de l’Opernstudio (William Desbiens, Grzegorz Pelutis. Aebh Kelly, Keith Klein), ainsi que Han Kim, Tigran Martirossian, Paul Kaufmann, Nicholas Mogg, Charles Rice, Ziad Nehme, Mateusz Ługowski, David Minseok Kang, Youngjun Ahn et Michael Kunze.

Un orchestre et une mise en scène remarquables

Ce que l’on apprécie toujours à l’Opéra de Hambourg, c’est le soin apporté aux productions, et l’on en a eu là, une nouvelle preuve, avec cette fanciulla.
L’un des grands atouts de la représentation était, sans conteste, la direction précise d’Antonino Flogliani et l’excellence de l’orchestre de l’Opéra qui ont fait ressortir les beautés de la partition, servie par l’excellente acoustique qu’est celle du Staatsoper de Hambourg.
Le fait d’avoir des interprètes en capacité d’assumer les redoutables tessitures a ainsi pu permettre à l’orchestre de ne jamais baisser l’exigence musicale, ici nécessaire.

Enfin, la mise en scène de Vincent Boussard s’est avérée extrêmement juste dans une lecture qu’il est difficile de ne pas faire au premier degré pour cet opéra singulier.
Le décor du bar « la polka » est élégant et offre un beau cadre à l’agitation des mineurs, mais, c’est surtout la maison bancale de Minnie au deuxième acte, sorte de cube où entre la neige et dans lequel les protagonistes sont enfermés et les éléments de décor s’envolent volontiers, qui montre avec justesse les dimensions intimes de leurs relations.
La simplicité du dernier acte n’enlève rien à la qualité de la production dans laquelle la direction d’acteurs est, également, particulièrement soignée.

On entend bien peu souvent La fanciulla del West sur les scènes (et l’on comprend en partie pourquoi étant donné l’attrait modéré qu’implique cette musique et la difficulté des rôles).
Cette production hambourgeoise, avec Anna Pirozzi en soprano dramatique idéale, donne l’occasion de la savourer pleinement cette œuvre et de compléter la galerie des opéras de Puccini en s’écartant (quelle bonne idée !) des Bohème, Tosca et Butterfly si souvent rabâchées, et, finalement, pas toujours si bien servies … quantité n’étant pas forcément synonyme de qualité !