Opéra

« La chauve-souris » en mode crépusculaire à Vienne

par La redaction
27.11.2025

Le 25 novembre de cette année, Johann Strauss fils aurait eu deux cents ans. C’est l’occasion de réexaminer, de remettre en scène et de transposer dans le présent La chauve-souris, cette opérette millénaire, ce trésor national autrichien.

Par Barbara Röder (traduction de l’anglais)

Le metteur en scène et hôte du MusikTheater an der Wien, Stefan Herheim, a relevé le défi. Et le résultat est une chauve-souris ébouriffée qui non seulement se concentre sur l’Empire avec son culte de Sissi, mais aussi sur la Première de l’opéra Fidelio de Beethoven (1805), sur la comédie musicale Elisabeth (1992), et évoque également le début du règne nazi en Autriche. C’est, finalement, un assemblage surchargé de gadgets de mise en scène sans charme et grotesquement excessifs.

Meilhac, Halévy, Offenbach, Bizet… et Strauss

L’idée de La Chauve-Souris trouve son origine dans le vaudeville Le Réveillon du duo d’auteurs français Henri Meilhac et Ludovic Halévy, dont les parodies d’opéra, farces et satires – de La Belle Hélène à La Périchole toutes mises en musique par Jacques Offenbach -, divertissaient le public du Paris du Second Empire.

Le livret de Carmen de Bizet (1875) est également de Meilhac et Halévy. Cependant, Carmen, créée presque simultanément à La Chauve-Souris, ne connut un succès mondial que bien après sa désastreuse création. En revanche, La Chauve-Souris, la troisième opérette de Johann Strauss fils – il en composa quinze au total – fut un succès immédiat après sa création en avril 1874 au Theater an der Wien et devint un phénomène international après son triomphe à Berlin en 1875.

Une chauve-souris grinçante

Lorsque le rideau se lève, nous découvrons une prison. L’ouverture de Fidelio de Beethoven retentit. Comme chacun sait, Fidelio se déroule également en prison…

Pour cette nouvelle production de l’opérette, un sosie de « L’empereur » François-Joseph (Alexander Strobele) est le nouveau geôlier de La Chauve-Souris. Ce personnage est un virtuose du désespoir, éternellement dépassé, qui incarne tous les clichés de la monarchie danubienne. Et cet « Empereur » est là interprété par Stefan Herheim lui-même. La scène mondaine et divertissante de La Chauve-Souris se déroule à la veille de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne hitlérienne en 1938. Les jours de l’empereur sont comptés. Même ses rêves des jours heureux avec Sissi – mais était-elle vraiment si heureuse ? – ne peuvent rien y faire.

Pendant ce temps, le prince Orlofsky – un peu pâle sous les traits de Jana Kurucová – absorbé dans ses pensées avec le docteur Falke, se penche d’un air ennuyé par-dessus la balustrade du balcon. Tous deux évoquent Statler et Waldorf du légendaire Muppet Show. Sauf que ces derniers étaient hilarants ! Des rats straussiens jubilatoires, violonistes aux pieds, vêtus de cuir verni et arborant des moustaches hitlériennes, exécutent des chorégraphies sur le parquet pour égayer le palais fastueux d’Orlofsky. La musique est tumultueuse, à l’image de l’époque où Herheim l’a transposée. Nous ne sommes néanmoins pas certains que le « Schani », (surnom donné à Strauss le roi de la valse du Danube) et son brillant co-auteur Genée s’en seraient amusés.

La joyeuse prison de Fidelio se métamorphose, au premier acte, en la demeure cossue des Eisenstein, reconnaissable à ses origines juives : un candélabre à sept branches attire le regard.

Lors du bal chez Orlofsky, le décorateur Herheim fait écho aux loges de l’ancien Theater an der Wien : splendeur rouge et or, ambiance champagne et atmosphère mondaine luxueuse. Au terme de ce joyeux désordre à la Fledermaus, comme toujours, c’est le champagne – ou la « slivovitz » dont s’abreuve l’Empereur – qui est le coupable. Le slogan du spectacle est : « Valsons une dernière fois avant que le krach boursier ne nous ruine, que la guerre ne soit déclarée ou que l’annexion au Troisième Reich ne devienne inévitable. »

Pourtant, le « For eternity, always like today! » (citation de La Chauve-Souris) résonne encore dans le cœur de nombreux auditeurs attentifs. Mais avoir une culture du souvenir sérieuse et digne, empreinte de profondeur et de respect, est toute autre chose. « Pas toujours comme aujourd’hui ! » pourrait être la devise du spectacle, car, finalement, le pot-pourri de champagne de cette Chauve-Souris d’Herheim est fade, offensant et tombe dans les clichés. Son adaptation est une production sans âme ni intelligence.

Le chef d’orchestre Petr Popelka parcourt la partition avec une agitation fébrile. Il ne laisse guère de répit à la pièce ni à La Chauve-Souris. Le résultat est un peu rude et nerveux ; l’Orchestre symphonique de Vienne joue avec entrain et efficacité en parfaite harmonie avec la mise en scène.

Thomas Blondelle, dans le rôle d’Eisenstein, déploie une voix de ténor flamboyante et pleine de vie. Il semble adorer ce rôle à la fois téméraire et bon vivant. Hulkar Sabirova (Rosalinde) n’est pas toujours d’une clarté limpide. Elle dialogue avec David Fischer (Alfred) dans un brillant pot-pourri lyrique, parsemé de citations de Butterfly, Andrea Chénier, Aida, La Traviata et Tristan et Isolde. La voix de soprano colorature d’Alina Wunderlin dans le rôle d’Adèle, à la fois vive, agréablement résonnante et d’une douceur pétillante, est remarquable. Leon Košavić, avec sa voix de baryton solide, est convaincant dans le rôle du Dr Falke ainsi que dans celui d’un imitateur d’Hitler. Il joue dans une pièce dans la pièce, à la fois macabre et perverse, ce qui, en 1938, était tout sauf cela. L’ensemble vocal bien coordonné, avec Krešimir Stražanac (Frank, directeur de prison), Alexander Kaimbcher (Dr. Blind), Ines Hengl-Pirker (Ida) et le chœur Arnold Schoenberg, chantant et jouant avec esprit, complètent le tableau.