Jusqu’au 28 janvier, le metteur en scène Milo Rau met en scène un deuxième opéra au Grand Théâtre de Genève. C’est une création, composée par le Catalan Hèctor Parra, avec un livret en français de l’écrivain congolais Fiston Mwanza Mujila. Justice part d’un terrible accident pour poser la question de la « colonisation postcoloniale ».
Justice commence – comme souvent chez Milo Rau – par une information terrible. En 2019, un camion rempli d’acide sulfurique se renverse dans le petit village de Kabwe, sur la route de Kolwezi, au Congo. L’accident fait 20 morts dans des conditions horribles. Alors qu’on sait dès le début que la justice ne sera pas rendue, les protagonistes de cet accident – mère endeuillée (puissante Axelle Fanyo), conducteur ivre (excellente Katarina Bradić), avocate désemparée et couple menant une ONG pour créer une école (Peter Tantsits et Idunnu Münch) – donnent chacun leur perspective sur cette tragédie.
La grande force de cet opéra est de donner une place sur scène à des artistes qui ont été proches de l’accident : le contre-ténor Serge Kakudji est né à Kolwezi en République démocratique du Congo et c’est le librettiste, Fiston Mwanza Mujila, qui joue le narrateur de cette histoire désespérée.
Justice commence comme une pièce de théâtre : Fiston Mwanza Mujila nous parle et le guitariste rock Kojack est sur scène pour donner le « la » de ce que nous allons entendre. Dirigé par Titus Engel, l’Orchestre de la Suisse Romande fait vivre la musique incroyablement vivante de Hèctor Parra, notamment ses cuivres à la fois suaves, pléthoriques et, à temps, menaçants. Le chœur du Grand Théâtre de Genève a un peu de mal à trouver sa place sur scène, mais son grand air est impressionnant et pousse Justice vers le genre « Oratorio ». En effet, alors que la mise en scène de Milo Rau est toujours très maîtrisée, avec la carcasse du camion qui laisse imaginer le pire et l’écran qui fait le lien entre Kabwe et le Grand Théâtre, le livret, lui, permet à chacun des personnages d’exprimer sa lamentation. Tout est joué dès le début, il n’y a pas d’intrigue, il y a des lamentations.
Sous les auspices impitoyables des routes qui viennent chercher des richesses (ici, le cobalt) qui ne valent rien au Congo et des fortunes à l’étranger, on tue des enfants et ce n’est la faute de personne. Comme dans une œuvre religieuse, le destin est partout dans Justice. Et plus précisément, le Destin du Congo, terre maudite. Le sacré sans humanisme fait donc son grand retour au cœur d’une œuvre aussi politique. Ainsi, au moment même où l’Opéra parle au présent de la question post-coloniale, le symbolisme semble diluer la réflexion et l’urgence à travers les mots très usés et parfois grandiloquents que le livret prête aux personnages. Mais le plus important est probablement que cette œuvre existe, ouvre la porte à d’autres propositions lyriques. En témoigne l’auteur-narrateur qui, lui, lorsqu’il partage lui-même ses propres mots, atteint la racine de la poésie pour dire l’insupportable de la situation.
Justice, livret de Fiston Mwanza Mujila, Direction musicale: Titus Engel, Mise en scène : Milo Rau, avec Kojack, Peter Tantsits, Willard White, Serge Kakudji Axelle Fanyo et Katarina Bradić.1h50.
Visuels © Carole Parodi