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Jessica Pratt dans le délire du bel Canto

par Helene Adam
05.11.2023

Jessica Pratt a choisi les scènes de folie de Donizetti et Bellini pour composer un nouvel album « Delirio », pyrotechnique et explosif, dans lequel le talent d’interprétation de la soprano est à son sommet.

La reine du Bel Canto

Depuis quelques années, Jessica Pratt s’impose sur le difficile territoire du bel canto, tout spécialement dans les drames écrits par Donizetti et Bellini, des drames dans lesquels les héroïnes malmenées tombent dans la folie la plus spectaculaire ce qui donne lieu à ces airs inoubliables que l’on trouve dans I Puritani comme dans Lucia di Lammermoor… ces fameuses scènes de folie.

Le modèle absolu pour ces héritières d’une époque révolue où ce répertoire était le plus prisé, est, bien sûr, Joan Sutherland, colorature dramatique qui possédait la virtuosité d’une voix très agile, tout autant que la profondeur et la richesse en harmoniques nécessaires pour exprimer le tragique.

Comme Sutherland, surnommée la « Stupenda » du fait de son époustouflante technique lyrique, Jessica Pratt est originaire d’Australie et vient récemment d’y présenter une prestigieuse soirée, composée sur le plan vocal, des « mad scenes ». C’était en août dernier à l’Opéra de Sydney qui fêtait son cinquantenaire.

L’enregistrement des airs du programme alors présenté vient de sortir le 20 octobre dernier sous le titre « Delirio », chez Tancredi Records, avec l’Orchestre et le Chœur du Maggio Musicale Fiorentino, sous la direction de Riccardo Frizza.

La tournée « Delirio »

La tournée intitulée Delirio a commencé à Palerme, au Teatro Massimo, en novembre 2021. Elle présentait l’originalité de proposer une suite de scénettes chantées et jouées dans lesquelles la soprano était, pour chaque air, vêtue de superbes costumes différents, dessinés par Giuseppe Palella. La soirée offrait ainsi une véritable incarnation personnalisée de chacun des personnages, pris de folie, par l’une des meilleures belcantistes actuelles. C’est dans ce cadre que Jessica Pratt s’est également produite à Sydney l’été dernier.

 

 

Le choix de Jessica Pratt d’évoquer la représentation des maladies mentales de ce répertoire de la première moitié du 19ème siècle va donc bien au-delà de la démonstration de son exceptionnel talent vocal.

En effet, célèbres d’abord par les démonstrations virtuoses de leurs interprètes, ces « scènes de folie » sont également l’occasion d’incarner la psychologie de ces femmes, rendues folles par le destin dont elles sont les victimes impuissantes, et de pénétrer assez profondément dans l’intimité de leur conscience. Il s’agit de ne pas en rester aux appellations trop superficielles qualifiant toute manifestation féminine d’hystérique, mais d’approfondir les ressorts psychologiques qui mènent aux perturbations ainsi illustrées.

Lucia

Jessica Pratt revêt d’abord le costume ensanglanté de Lucia di Lammermoor. Alors qu’elle vient de tuer le mari que lui a imposé son frère vindicatif et à l’âme d’un patriarche autoritaire, elle se livre, à nu, au désespoir, croyant avoir été abandonnée par son véritable amour. Au « Oh giusto cielo… Il dolce suono » (O juste ciel, le doux son) succèdent le «Ardon gli incensi » (Brûle l’encens) puis « S’avanza Enrico » (Enrico s’avance) et enfin, le « Spargi d’amaro pianto il mio terrestre velo » (Éparpille mon voile terrestre de larmes amères) final, superbement négociés par la meilleure interprète actuelle de Lucia. Elle est accompagnée par le fameux glass harmonica ; cet instrument céleste tout en verre (qui a été par la suite remplacé par une flûte) qui donne une impression aérienne et surnaturelle à ces airs qui composent la scène de la folie, airs donnés en fa majeur dans la tonalité d’origine, et introduisent l’enregistrement d’exception réalisé par la soprano.

Emilia

Parmi ces fameuses scènes de « Delirio » dont Jessica Pratt a fait le thème de son album, celle de Lucia est, sans aucun doute, la plus célèbre. Les trois airs qui suivent, extraits d’un opéra beaucoup plus rare de Donizetti, Emilia di Liverpool, seront une découverte pour beaucoup d’auditeurs. Cette œuvre de jeunesse de Donizetti (qui date de 1824) n’est pas tombée dans l’oubli tout à fait par hasard. Elle présente beaucoup moins d’intérêt musical que Lucia, mais Jessica Pratt a eu à cœur d’offrir une logique et une cohérence à son programme en rendant, en quelque sorte, hommage à ces héroïnes pour lesquelles il reste un prénom, un nom de ville ou de manoir et une fin tragique dans la folie. Et l’on salue la beauté sauvage de cette partie de l’air virtuose avec cabalette, « Non vi è pace per me… dovunque inoltro/ ovunque io volgo il passo/la squallid’ombra di mia madre irata sempre » (Il n’y a pas de paix pour moi… Partout où je vais/partout où je me tourne/l’ombre sordide de ma mère en colère/toujours) où chaque vocalise, trille, ornementation séduit l’oreille. La légèreté de la voix est associée à la profondeur de l’émotion distillée, notamment par les aigus sublimes longuement tenus, les notes piquées en montée de gamme, puis la descente toute en notes liées… du très grand art.

Linda, Elvira, Amina

Avec leurs sœurs de destin que sont Linda di Chamounix et son superbe et rare « Nel silenzio della sera », (dans le silence du soir), Elvira des Puritani et Amina de la Sonnambula, ce sont, selon les déclarations de la soprano « des femmes toutes très différentes, mais qui partagent la même détermination à suivre leur cœur et à contrôler leur vie. Ce sont des femmes indépendantes et fortes que j’admire. Il est essentiel de les prendre au sérieux et de les considérer à travers le prisme du féminisme ».

L’omniprésence de ces scènes dans les œuvres de l’époque, rend compte d’un rapport étroit des compositeurs au monde de la psychiatrie et à celui des femmes poussées dans leurs derniers retranchements mentaux, basculant soudainement dans un ailleurs d’où il est difficile de revenir.

Et Jessica

Et ce chaos intérieur, Jessica Pratt l’incarne de manière magistrale et souveraine. Elle exprime cette force de détermination féminine qui devient soudain fragilité et se brise, comme la vitre étoilée, sur la pochette du CD, derrière laquelle le visage ravagé de la soprano apparait.

La voix se fait douce, éthérée, sans jamais détimbrer, pour exprimer le désarroi, la vulnérabilité de l’être profondément blessé ; puis le timbre se colore, les envolées de virtuosité nous étourdissent, tandis que s’exprime la colère, les angoisses, les refus, le déni, la véhémence même, tout ce qui mène à l’altération progressive de la santé mentale.

 

Et avec beaucoup d’intelligence musicale, Jessica Pratt commence par les scènes des œuvres de Donizetti (lui-même interné à une époque de sa vie) pour aborder, en seconde partie, celle de Vincenzo Bellini. Elle débute par le sublime « Qui la voce sua soave », suivi de « Vien diletto in ciel » (Voici sa douce voix… le bien-aimé arrive au paradis), le premier, lent et mélancolique, déchirant, empli de larmes silencieuses avec ses phrases d’espoir insensé, dans lequel Elvira est en pleine crise de délire et le deuxième, presque enjoué, mais où toutes les fêlures de la malheureuse transparaissent, à l’instar de la belle couverture de l’album, et le festival de vocalises descendantes, montantes, sur des aigus veloutés, avec de délicats diminuendo, est enivrant, tant le timbre superbe valorise une technique superlative.

 

Jessica Pratt est également, à la scène, l’une des plus belles et envoûtantes Adina, somnambule fragile, presque éperdue avec son superbe « Ah! non credea mirarti » (Je ne croyais pas vous revoir), qui vous arrache des larmes d’émotion, de compassion et d’empathie.

 

Saluons aussi l’orchestre, sous la direction de Riccardo Frizza, pour son bel accompagnement, les chœurs et leur subtilité, les partenaires masculins – Adriano Gramigni, Jungmin Kim et Dave Monaco – ou féminins – Anna Victoria Pitts – pour leurs quelques répliques, celles qui permettent de ne pas donner seulement des « arias » coupées de leur contexte, mais des scènes longues et dont la logique dramatique est respectée.

 

On ne peut que s’incliner devant cette superbe réalisation qui réunit toutes les qualités exigées d’un enregistrement d’exception : la technique d’une soprano colorature dramatique au service des plus beaux airs du bel canto, le choix musical des airs emblématiques de la folie dans les œuvres du début du 19ème siècle, l’interprétation variée, colorée, expressive, changeante, qui donne corps et âmes à ces héroïnes broyées par les règles rigides d’une société réactionnaire et misogyne.

 

Jessica Pratt, qui annonce une prochaine prise de rôle en Norma, et n’hésite jamais à chanter dans des opéras rares, tels ce Francesca da Rimini de Saverio Mercadante, qu’elle a superbement incarné la saison dernière à Francfort, est l’une des artistes les plus passionnantes de l’heure. Un CD à se procurer d’urgence !

Delirio

Scènes de Folie, extraits des opéras de Donizetti, Lucia di Lammermoor, Emilia di Liverpool, Linda di Chamounix et de Bellini, I Puritani et La Sonnambula.

Jessica Pratt, Soprano ; avec la participation de Adriano Gramigni, Jungmin Kim, Dave Monaco et Anna Victoria Pitts – Orchestre et Choeurs du Maggio Musicale Fiorentino.

CD Tancredi records, octobre 2023

Visuels : © Franco Lannino, © Marco Borrelli