Même pour les Français, Jacques Offenbach a gardé une part de mystère ou a été réduit à quelques clichés. Nous avons retrouvé le grand spécialiste du compositeur au Café de la Paix pour en apprendre un peu plus sur le « Mozart des Champs-Élysées »…
De méconnaissances aussi…
J’avais 13 ans. Ce fut d’une façon assez particulière : à la télévision, je suis tombé sur la fameuse série qui s’appelait « Les Folies Offenbach » avec Michel Serrault.
Mais oui ! Dernièrement, j’ai entendu la diffusion d’un colloque dans lequel les intervenants descendaient cette série en flamme et affirmaient : « Tout est faux ». Les pauvres, ils n’ont vraiment rien compris ! Bien sûr que tout est faux, (ou presque !), mais dans le cas présent, ce n’est pas le plus important ! À dire vrai, tout n’est pas faux, mais c’est, bien évidemment, romancé. J’ai correspondu avec ces gens-là en leur disant : « Vous savez, s’il n’y avait pas eu « Les folies Offenbach », nos contemporains n’auraient pas eu accès aux Fées du Rhin, à Fantasio, car, à part moi, qui se serait intéressé à cela ? Quand j’ai commencé à m’intéresser à Offenbach, personne n’y prêtait attention. J’étais même traité avec mépris ! Aujourd’hui, tout le monde veut de l’Offenbach…
C’est à 7 ans que j’ai commencé mes études musicales. À l’époque, mon approche d’Offenbach reste de l’ordre de l’amateurisme et je n’envisage pas d’en faire ma carrière. À vrai dire, je ne sais pas alors, si je veux être chanteur ou chef de chant ; ou si je veux me diriger vers la direction d’orchestre.
Puis, le chemin s’est tracé tout seul, lorsque j’ai fait mes études au Conservatoire. Ma professeure de chant, Madame Christiane Eda-Pierre, m’appelle alors déjà « Monsieur Offenbach…, c’est dire si j’étais déjà bien imprégné (rires). Dans les écoles où je suis passé, à Marseille, à Aix, j’avais déjà cette étiquette « Offenbach ».
Il eut juste une petite période, pendant environ un an, durant laquelle je l’ai un peu délaissé, en me rapprochant de Gabriel Fauré. Puis, de fil en aiguille, finalement, j’ai créé l’association Offenbach et j’ai mis le métier de chef d’orchestre, de chanteur ainsi que la musicologie, bien sûr, au service de ma passion.
En 1991, alors que je ne me destinais pas du tout à cela, j’ai réalisé une édition ; j’avais plutôt envie d’interpréter les œuvres. Je me trouvais alors chez un éditeur qui, un jour, m’a dit : « L’opéra de Lyon veut faire une version authentique de La Vie parisienne en 5 actes, mais ils ne savent pas comment s’y prendre, car il n’y a pas les partitions ».
Je suis donc allé regarder dans leurs archives et, à force de recherche, j’ai trouvé la possibilité de réaliser cette édition. Pour ce faire, j’ai passé un été, à y travailler nuit et jour. Et donc, en 1991, il y a cette création dans la mise en scène d’Alain Françon.
J’ai alors pu constater à quel point il peut être pénible d’être musicologue quand un metteur en scène détruit votre travail. Pour moi, il fallait que l’œuvre soit jouée telle qu’Offenbach l’avait écrite. Je crois que c’est la première fois que nous avions un dramaturge en France, un concept qui venait d’Allemagne et nous avons été dans une démarche de « déconstruction ». Les numéros ont été montés dans le désordre, mais finalement, cela ne fonctionnait pas ! Finalement, nous sommes revenus à l’édition telle que je l’avais initialement réalisée (rires).
Quant à la production, elle se faisait avec des comédiens-chanteurs, ce qui n’était pas saugrenu puisque Offenbach le faisait ainsi, en son temps. Le problème, c’est qu’au XIXe siècle les comédiens savaient chanter ! Pour cette Vie parisienne, le résultat n’était pas particulièrement probant. À l’issue de cette première expérience, je me suis dit que je ne ferai plus jamais d’édition !
Mais… quelques années plus tard, Boosey & Hawkes m’a demandé d’être le responsable de l’édition « monumentale », une proposition qui ne se refuse pas ! (rires)
Je précise tout de même que, pendant tout ce temps, je continuais ma carrière d’interprète, car je ne pouvais pas vivre sans faire de la musique.
Jean-Christophe Keck
Les sources peuvent venir de bien des endroits. Il y a effectivement des bibliothèques. C’est ce qu’il y a de plus facile. Quoique… car, dans des pays que je ne citerai pas, certaines bibliothèques possèdent des fonds dans des caves, mais après avoir été acquis 30 ans auparavant, ils ne sont toujours pas répertoriés. Il peut, par exemple, s’agir de fonds de théâtre acquis, mais toujours pas catalogués. Dans ce cas, le mieux est de connaître une bibliothécaire en capacité de me dire qu’il y a des ballots qui dorment dans la cave et que l’on m’y donne accès.
Cela étant, ce qui est le plus difficile, ce sont les collections privées ! Certains propriétaires n’en connaissent même pas leur importance. Certains ne veulent pas les montrer ! J’ai connu un collectionneur qui avait ce « vice » : il acquérait des documents… pour ne pas les montrer !
Finalement, il a contracté une maladie et lorsqu‘il a su qu’il était condamné, il a eu une sorte d’illumination et il a, alors, donné toute sa collection à la Julliard School de New York ! Et il y avait des trésors là-dedans ! Du Wagner, de l’Offenbach. On peut, heureusement, désormais, consulter tout cela sur Internet.
Il faut réaliser que l’envers du décor est tout de même assez terrible ! Le monde de l’édition, le monde des collectionneurs, ce sont d’abord des mondes d’argent ! Bien évidemment, je considère qu’il est tout à fait normal de gagner de l’argent avec une édition. Offenbach, lui-même, avait un porte-bonheur qui s’appelait Orphée aux enfers qui lui rapportait de l’argent. D’ailleurs, en ce qui nous concerne, nous avons eu la chance pour notre édition, de commencer par Orphée, ce qui a financé le reste de l’édition. En France, Orphée est rarement joué, mais, en Allemagne, il est donné constamment… et partout.
Quasiment pas en effet. Ce qui est fou, pourtant, c’est qu’il y a existé ! Offenbach été publié en Italie par Sonzogno. Il était régulièrement joué à Milan. Mais depuis Mussolini, le genre opérette est fui en Italie. La période fasciste a un peu été une période bénie pour l’opérette en Italie et donc, à la fin du fascisme, il a été considéré qu’on ne voulait plus entendre cette musique trop assimilée à cette période de l’histoire. Je pense qu’Offenbach a été jeté avec l’eau du bain…
Cela étant, l’an dernier, le Teatro Regio de Turin a monté Un Mari à la porte ; j’ai aussi le souvenir d’une Grande-Duchesse à Martina Franca. Mais ce sont tout de même des évènements très ponctuels ! Il n’y a ni un dégoût d’Offenbach, ni désintérêt, ni folie.
Et ce, en raison de la judéité d’Offenbach, vous avez raison ! En ce qui concerne les autres pays où Offenbach est monté, il y a un peu l’Angleterre, mais je pense qu’aujourd’hui, le grand pays offenbachien, c’est d’abord l’Allemagne… puis l’Autriche. Leur tradition d’opérette est aussi alimentée par leurs propres compositeurs. Et ils ont aussi trois fois plus de théâtres que nous ! Plus d’orchestres, plus de théâtres, plus de tradition musicale…
En Espagne, il y eut un énorme engouement à l’époque d’Offenbach ; mais ils ont la zarzuela. Il existait d’ailleurs aussi des zarzuelas d’après Offenbach… Des gens se battent aujourd’hui pour qu’il soit remis au goût du jour, mais ce n’est pas la tradition principale.
Il y a quelques années, dans les pays de l’Est, la Hongrie, la Tchéquie donnaient beaucoup d’Offenbach. Il y a aussi des traductions russes. Rappelons-nous que, de son vivant, Offenbach – c’est la raison pour lequel il était très jalousé – était une « star internationale ». Il était joué partout ! Même aux USA !
Énormément ! On ne peut même pas l’imaginer aujourd’hui. Ça l’a complètement renfloué.
À cette époque, au Brésil, il y avait aussi un imprésario qui adorait la musique d’Offenbach ; lorsque les œuvres sortaient à Paris, elles étaient ensuite jouées au Brésil, en portugais. Elles ont également été jouées au Pérou !
… qui à l’origine était, de surcroît, un Mexicain ! Mais la nationalité a été censurée, car ça « la foutait mal » avec la guerre du Mexique (rires). Il est donc devenu Brésilien.
En France, il existe tout de même un petit festival, celui de Bruniquel, dans le Tarn-et-Garonne, qui, chaque année, donne un Offenbach. Certes, ce n’est pas réalisé avec des grands moyens, mais avec orchestre, chœur, mise en scène, etc. Il y a aussi eu le festival d’Étretat, mais je crois qu’il ne se consacre plus exclusivement à la musique d’Offenbach.
À l’étranger, il y avait un festival à Bad Ems (un endroit où Offenbach allait en villégiature), mais je crois qu’il ne se porte pas très bien non plus. Tout cela me navre !
Mais, je vais vous dire quelque chose ! Notre entretien se déroule actuellement au Café de la Paix. Offenbach habitait là, dans le bâtiment qui est en face de nous, au deuxième étage et c’est même là qu’il est mort !
Je trouve qu’il est absolument incroyable qu’à Paris même, l’on ne puisse pas trouver un théâtre qui puisse produire un festival, voire même un musée, quelque chose de moderne avec une scène où l’on pourrait venir écouter du Offenbach ! Paris est une grande ville touristique. Est-ce que cela ne vaudrait pas le coup, l’été, de monter un festival Offenbach ? Les touristes, à Paris, en plein été, musicalement, qu’ont-ils à se mettre sous la dent ?
Oui, je me dis que tout le monde devrait faire vivre ce genre de projet, mais, hélas !… Ce n’est pas le cas.
J’ai cru comprendre qu’Olivier Py ne compte pas aller dans cette direction-là…
À la base, une erreur fondamentale a été la destruction du théâtre de la Gaieté ! Cette histoire-là est vraiment sombre ! Il y avait des projets de créer un théâtre faisant du répertoire léger. Il s’agissait de la plus belle salle de Paris ; elle était plus grande que le Châtelet ! L’ouverture du plateau était presque équivalente à celle de Garnier.
Dans les années 80, le théâtre a d’abord été vendu pour en faire une attraction pour enfants, appelée alors « la planète magique ». Pour ce faire, tout a été entièrement détruit, à l’exception de la façade et du foyer qui ont été sauvés la veille de la destruction, car ils ont été classés au patrimoine. Je crois que la planète magique a vécu une semaine ou 10 jours. Et ensuite, le lieu est resté abandonné durant des années ; c’est aujourd’hui « un temple du numérique »…
Ce répertoire est assez mourant tout de même !
En fait, Les Contes ne sont pas si singuliers dans la carrière d’Offenbach. Offenbach est un personnage très complexe, mais on cherche, en général, à le mettre dans des cases. Tout d’abord, on veut en faire l’« amuseur » du Second-Empire, le bouffon d’un régime particulier.
De tout temps, si l’on regarde du début de sa carrière jusqu’à la fin, il a navigué entre plusieurs styles. Par exemple, on a longtemps ignoré Les Fées du Rhin, grand opéra romantique de 1864. Les Contes d’Hoffmann ne sont pas du tout sa seule œuvre sérieuse.
Je viens de travailler sur une édition des Bergers. Pour cette œuvre, Offenbach a écrit un premier acte dans le style de l’opéra séria, un deuxième dans le style du siècle des Lumières et un troisième acte dans celui de l’opéra bouffe… Trois langages différents qui illustrent une histoire de réincarnation de bergers qui réapparaissent à différentes époques. Évidemment, l’œuvre n’a pas été très bien reçue à l’époque, car j’imagine que le public a été complètement déboussolé… ce pauvre public des Bouffes-Parisiens qui était arrivé dans la salle pour s’amuser !
Le public d’Offenbach n’est d’ailleurs pas forcément celui que l’on croit. On le représente souvent comme un public très populaire. Le peuple, à cette époque-là, ne va pas spécialement au théâtre ! Il bosse ! Le public, en fait, est plutôt bourgeois.
À cette époque-là, ils n’y sont plus, remplacés par le Théâtre Marigny. Ils sont passés dans le passage Choiseul, où ils sont encore d’ailleurs.
Pour revenir à l’image que l’on a aujourd’hui d’Offenbach, je défie quiconque de ne pas trouver dans ses œuvres un peu de tendresse, un peu de sentimentalité. Et c’est d’ailleurs ce qui fait son génie, par rapport à un Hervé que l’on ne joue plus beaucoup, qui était, lui, plutôt dans la farce.
Que cela soit pour La Belle Hélène, Orphée, La Périchole, la Grande-Duchesse, il existe toujours des passages de grande facture, à côté de passages complètement fous. Regardez Fantasio que j’ai revu le 21 décembre dernier, à l’Opéra-Comique (c’est d’ailleurs mon édition) : qui, au XIXe siècle en France, est capable de construire un final comme le fait Offenbach, une espèce de crescendo qui monte littéralement vers une explosion.
Évidemment ! C’était un peu son maître d’ailleurs. J’ai d’ailleurs retrouvé des liens très proches entre Rossini et Offenbach. Ils étaient vraiment amis ; Offenbach a assisté à des salons chez Rossini ; il a créé des œuvres chez Rossini. Ce sont des choses que l’on découvre maintenant.
C’est amusant, car Rossini a écrit à Offenbach : « Vous êtes le Mozart des Champs Élysées ». Et non pas « le petit Mozart », comme des journalistes et quelques biographes mal renseignés l’ont écrit.
J’ai trouvé, l’autre jour, une lettre qui était en vente à Drouot : Rossini écrit à son éditeur, Escudier et termine le courrier avec « Mes salutations à Offenbach, le Mozart des Champs Élysées ». Ce n’était donc pas du tout une appellation humoristique, mais au contraire admirative.
Il n’y avait, à cette époque, plus de compositeur bouffe à Paris, hormis Offenbach ! Il existait une grande admiration réciproque entre les deux hommes. Du reste, Rossini a aidé Offenbach, dans ses premiers temps aux Bouffes parisiens en lui confiant un opéra de sa jeunesse, Il Signor Bruschino. Il lui a donné les droits et Offenbach a adapté la pièce comme il voulait. C’est grâce à lui que cet opéra a été créé en France.
Offenbach, mais aussi ses librettistes. On a désormais tendance à un peu tout, mélanger. C’est l’opérette grand spectacle de Châtelet qui a abouti à tout mettre dans un moule « opérette ». Pour Offenbach, une « opérette » c’est un petit ouvrage en un acte ; un opéra miniature, avec très peu de personnages, pas de chœur. Il en a composé une cinquantaine environ.
Ensuite, il y a l’« opéra bouffe » qui n’est pas de l’opéra-comique. L’opéra-bouffe c’est de la bouffonnerie. Il y a les « opéras-comiques » avec une alternance de scènes parlées et de scènes chantées.
Et ensuite, il y a toutes les variations : chinoiseries en un acte, anthropophagie musicale. Il y a aussi une opérette fantastique, un petit ouvrage, Les Trois baisers du Diable. C’est une parodie de Faust, un peu grinçante. Et, bien sûr, Les Contes d’Hoffmann qui seront qualifiés d’« opéra-fantastique ».
Au contraire, ces deux mondes se rejoignent très souvent. Par exemple, Meyerbeer est un grand admirateur d’Offenbach.
Oui ! Mais Meyerbeer adorait qu’on se moquât de lui ! C’est la grande différence avec Wagner qui ne supportait pas cela et qui, pour cette raison, a été fâché avec Offenbach toute sa vie. Offenbach s’est moqué de lui, en 1861, en écrivant une sorte de parodie de Tannhäuser. Le maître de Bayreuth a très mal pris cela, car il avait un ego, disons, un peu « surdimensionné ».
Alors que pour Meyerbeer c’était le contraire ! Il existait même un petit rituel : à chaque création d’une œuvre d’Offenbach, Meyerbeer avait sa loge. Offenbach venait le chercher à l’entrée du théâtre, le conduisait jusqu’à sa loge, et, l’on dit que Meyerbeer était plié de rire quand Offenbach se moquait de lui. Il possédait un grand sens de l’autodérision.
Certes, mais dès le début, dans Les deux aveugles, une création aux bouffes parisiens, il y a une parodie de Robert le diable. Et juste après, avec Ba-Ta-Clan, une parodie des Huguenots.
Précisons que c’était le répertoire qui était le plus joué à cette époque donc, si l’on voulait toucher le public, il fallait faire rire avec ce que l’on entendait à côté.
Il y avait surtout les privilèges ! Tout était catégorisé de façon administrative pour, en fait, protéger les répertoires. L’opéra ne pouvait être joué qu’à l’Opéra. Trois théâtres – l’Opéra, le théâtre des Italiens et l’Opéra-comique – pouvaient faire peu ou prou ce qu’ils voulaient.
En revanche, les autres n’avaient pas le droit de faire grand-chose. C’était le cas des Bouffes-Parisiens qui, au début, n’avaient le droit de présenter que deux personnages en scène.
Oui, en effet, on a l’impression qu’il grignote petit à petit.
À trois ! Il va donc aller jusqu’à créer des personnages muets, des personnages qui aboient, des personnages qui portent des pancartes. Il est ainsi parvenu à cinq personnages. Puis, à force de se moquer de tout cela, il a fini par lasser l’administration. C’est à lui, en grande partie, que l’on doit la liberté des théâtres.
En 1858, le Ministère de l’Intérieur dit « Stop, on ouvre les portes » et, à partir de là, l’on va pouvoir faire ce que l’on veut.
Offenbach va alors décider de briguer la place de « Quatrième théâtre lyrique français ». Cela ne s’est finalement pas passé comme ça, car il y avait énormément de jalousie de la part de tous les autres… Surtout d’un dénommé Berlioz.
Berlioz et Offenbach, c’est là, une affaire terrible ! Offenbach avait une grande admiration pour le musicien ; quand il avait besoin de gagner sa vie, il avait fait des critiques musicales, et avait fait une sorte de panégyrique de Berlioz en disant de lui que c’était « le génie de son temps ».
Or, en 1860, Berlioz – qui a eu peur qu’Offenbach prenne trop de place – le descend en flamme, dans sa critique de Barkouf à l’Opéra-Comique (Barkouf fut le premier opéra-comique d’Offenbach joué dans la Salle Favart) et Offenbach en sera meurtri. Ce dernier, va ensuite un peu « se venger », dans Il Signor Fagotto où il fait une parodie des Troyens, dans le livret et dans la musique.
Une dictature festive, comme on dit ! (rires)
Ce qui est très ambigu, c’est qu’Offenbach est proche de la famille impériale par le duc de Morny, le ministre de l’Intérieur, demi-frère de Napoléon III. L’empereur, en effet, vient systématiquement voir les spectacles d’Offenbach, alors que, pour sa part, l’Impératrice n’aime pas Offenbach.
C’est donc grâce à Morny qu’Offenbach peut se permettre un certain nombre de choses. Certes, ses œuvres passent systématiquement à la censure, parce que tout est censuré. Mais on peut véritablement se demander comment les censeurs ne voient pas les attaques qu’il mène sur les institutions, le gouvernement… Ça me fait penser aux « Guignols de l’Info ». C’est comme si les personnages politiques avaient leurs marionnettes ; et, quelque part, la marionnette est toujours plus sympathique que le personnage réel.
Si bien sûr ! Et plusieurs fois même ! Jupiter dans Orphée aux enfers, c’est clairement Napoléon III. Il ne faut pas oublier qu’il y a des librettistes. Mais comme il est aussi le Directeur du théâtre, c’est lui qui accepte ou refuse les livrets. Il est donc, clairement, à l’origine de ces attaques.
Cela étant, n’oublions pas que plutôt que d’attaquer frontalement des personnages, il attaque surtout des institutions, tels le clergé, l’armée ; pour le clergé, par exemple, il en fait un personnage vil dans La Belle Hélène avec le grand augure Calchas ; dans La Grande-Duchesse, le Général Boum, lui, est un crétin total…
Labiche est contemporain d’Offenbach ; Feydeau, ce sera un peu après. Il y a eu à la fois des collaborations et des frictions : lorsque Offenbach écrivit La Vie parisienne en 1866, Labiche était au sommet de sa gloire ; il était le roi du Palais Royal. Et manque de chance ! La Vie parisienne va rester à l’affiche durant des mois, des années, et Labiche s’est alors demandé quand il pourrait jouer à nouveau dans ce théâtre. II y a eu là un peu de tension (rires) !
Mais il est vrai que c’est un peu le même monde. Il faut compter avec les livrets, le génie de Meilhac et Halévy, deux très grands librettistes. D’autres sont également géniaux, comme Nuitter et Tréfeu, comme Chivot et Duru, dont on parle moins, peut-être parce que les livrets de Meilhac et Halévy ont une puissance satirique et parodique que n’ont peut-être pas les autres.
Oui, ça a beaucoup vieilli ; sauf, je trouve, Claude Terrasse qui est vraiment dans la continuité d’Offenbach. Il y a une pièce de lui Les Travaux d’Hercule ; c’est une parodie de l’Antiquité à mourir de rire. Il y a, certes, un côté un peu graveleux… alors que chez Offenbach, c’était tout de même beaucoup plus dissimulé.
Au début du XXe siècle, on aime bien le salace. Donc, je le répète, je trouve que les pièces Offenbach sont intemporelles. La Vie parisienne, La Belle Hélène, ça ne vieillira jamais.
C’est compliqué de définir pourquoi la musique d’Offenbach est géniale. Quand j’ai revu Fantasio, je me suis dit : personne ne pouvait faire ça, à part lui. Rappelons-nous qu’il avait une immense culture musicale ; ce qui est assez logique, car dès qu’il est enfant, il va dans la fosse d’orchestre, il découvre des compositeurs comme Donizetti, qui le fascine.
Je dirais que les racines sont européennes, très vastes. D’abord, il y a Mozart. Et même Weber. En fait, il y a une espèce de « digestion » de beaucoup de choses. Le côté germanique avec Weber, le côté français avec Halévy, Meyerbeer. Par exemple, pour les grands ensembles d’Offenbach, on pense à Halévy et à Meyerbeer. Il y a Rossini évidemment !
Au début du XXe siècle, un journaliste parlait du triangle d’or : Mozart, Rossini, Offenbach. C’est vrai que ces trois personnages sont reliés d’abord par l’opéra bouffe et aussi, par une spiritualité. Nietzsche résume bien tout cela en disant qu’Offenbach est le comble de la spiritualité alors qu’il lâche Wagner et tout son pathos. C’est une époque où l’on défendait la légèreté.
C’est vrai ! Mais Rossini aussi est malmené. On donne L’Italienne à Alger, Le Barbier de Séville, La Cenerentola et guère plus que ça… De toute façon, en France, on n’estime guère les gens qui amusent. On préfère le sérieux, le pathos…
De surcroît, pour Offenbach, cela peut aussi s’expliquer par une gestion déplorable de son patrimoine après sa disparition, tant du côté des éditeurs que de la famille. Il existe un je-m’en-foutisme total. Comme on veut faire de l’argent, on est prêt à toutes les concessions.
Prenons, comme exemple, le french-cancan. Ce pauvre Offenbach ne l’a heureusement jamais connu. Il est mort 20 ans avant sa création, mais on a fait cette distraction, cette attraction touristique, en utilisant sa musique et en la chargeant de tout ce que l’on sait de trivial.
Alors certes, cela lui a fait rencontrer la gloire, car, grâce à ce french-cancan et à la barcarolle des Contes d’Hoffmann, Offenbach est connu du monde entier ! Cette musique est universelle ! Mais, pour le coup, c’est l’arbre qui cache la forêt.
Régulièrement, il y a des sursauts. Il y a eu la grande période avec les mises en scène de Laurent Pelly au Châtelet dans les années 2000.
120-130 œuvres lyriques et en tout, 670 ? J’avais commencé à réaliser un catalogue, mais c’est très compliqué.
Aujourd’hui, on commence vraiment à toucher au bout. Les Bergers, je pense que cela va être une belle découverte. Je travaille aussi sur une œuvre qui s’appelle Le Corsaire noir (Der Schwarze Corsar) qui a été créé à Vienne.
Terrible sujet !
Franchement, je suis très malheureux, car on pourrait jouer aujourd’hui Les Contes d’Hoffmann, exactement tels qu’Offenbach le voulait ! De la première note du prologue jusqu’à la dernière note de Giulietta, nous possédons toute la musique ; certes à l’état chant-piano puisqu’il n’a pas eu le temps de l’orchestrer.
C’est vrai il est mort avant l’épilogue. Mais on a tout de même des esquisses. Les librettistes lui ont envoyé cinq livrets différents ; il était malade, l’épilogue lui posait, à coup sûr un problème. Donc, si on veut on peut !
Mais là j’ai un problème personnel majeur avec mon éditeur. Car toute mon édition est publiée chez Boosey and Hawkes sauf Les Contes d’Hoffmann qui sont publiés chez Schott, parce qu’il s’agit d’une co-édition Kaye-Keck. J’avais une partie de droits avec Boosey et Michael Kaye et Schott avaient une autre partie des droits. Je dois préciser que j’ai fait cette coédition à contrecœur, car je ne suis pas d’accord avec un certain nombre d’options qui étaient celles de Michael Kaye qui n’était pas musicologue.
Il attribue, par exemple, à Offenbach des éléments qui sont de Guiraud. Donc il existe des corrections sur l’orchestration qui n’auraient pas dû être. Mais l’éditeur ne fait rien, il traîne des pieds, car Les Contes d’Hoffmann, c’est du pain béni. Ça marche tout seul…
Donc, pour les versions exécutées, on est sur n’importe quoi. Chacun fait sa version ! Et, de plus, chacun raconte n’importe quoi pour justifier sa version en disant qu’Offenbach n’a pas fini son œuvre ! Mais si ! Je suis désolé ! Son premier biographe, Martinet l’a écrit quelques mois après la mort d’Offenbach : il avait fini Les Contes d’Hoffmann jusqu’à la fin de Giulietta !
Oui ! Pour les dernières trouvailles, ce fut d’ailleurs très amusant. C’était en 2016, j’étais à Berlin et je faisais une conférence sur Les Contes d’Hoffmann dans un festival Offenbach, qu’avait organisé Barrie Kosky. Je racontais justement la genèse des Contes et le cheminement des manuscrits. C’était l’époque où je travaillais avec la famille Offenbach.
Dans mon texte de conférence, j’allais dire que nous avions tout sauf les partitions complètes du prologue et de l’acte d’Olympia. À ce moment-là, je reçois un texto avec une petite photo de la famille Offenbach dans lequel ils me disent qu’ils ont retrouvé « ça » dans la buanderie et me demandent si je sais si ça a de la valeur. Je regarde et je vois « La légende de Kleinzach » ! Il y avait là deux volumes. Je leur demande de m’expliquer (en vous le racontant, je suis en train de le revivre !). C’était tellement énorme !
Je me rends compte que l’on venait de retrouver, dans la buanderie de la maison Offenbach, ce qu’il manquait de la partition des Contes d’Hoffmann ! Et que ça allait peut-être partir à la poubelle, car ils étaient en train de déménager la maison.
Donc, j’ai annoncé, le soir même, à la conférence que nous avions désormais toutes les sources nécessaires pour faire une édition complète des Contes d’Hoffmann ! Bien sûr, ce qui avait alors été retrouvé n’avait rien de sensationnel, mais c’était surtout la preuve que c’est Offenbach qui avait tout écrit !
Certains pensaient, par exemple que la gamme par tons qui illustre la phrase d’Hoffmann « Le nom de la première était Olympia » n’était pas d’Offenbach. Grâce à ce que l’on a retrouvé, on a su que c’était bien de lui ! La seule petite « nouveauté » que j’ai pu trouver réside dans le chœur des étudiants. Donc, je le répète, c’est bien Offenbach qui a écrit toute la musique, et Guiraud qui a orchestré. Offenbach a voulu un prologue complètement chanté, par exemple. Autant le reste est « opéra-comique », autant le prologue est chanté de la première à la dernière note.
Finalement, le manuscrit d’« Antonia » est ici à Paris, depuis des années, à la bibliothèque de l’Opéra ! « Giulietta » était dans la famille, mais on y avait déjà accès. Le reste était d’abord à New York puis à Yale…
Aucune ne me satisfait pleinement. Si ! Une me semble satisfaisante, celle du concert à Pleyel avec Minkowski, en 2012. Il y a quasiment tout ; c’est un peu long (rires), car, rappelons-le, Offenbach est mort avant de pouvoir faire ses « petites coupures » comme on disait. Il y a notamment un duo entre Nicklausse et Hoffmann dans l’acte d’Olympia dont on peut supposer qu’Offenbach l’aurait coupé.
Il y a plein de choses que l’on n’avait pas encore trouvées à l’époque. Le final de Giulietta était reconstitué à partir de bribes. On dirait parfois plus du Gounod que de l’Offenbach ! (rires)
C’est normalement une colorature ! C’est Adèle Isaac qui devait tout chanter !
Si l’on prend la partition d’Offenbach, elles ne peuvent pas le chanter ! Prenons Jessye Norman dans la version Oeser dirigée par Sylvain Cambreling. Oeser a, indéniablement, fait avancer les choses, car on partait alors de l’édition Choudens qui a été jouée pendant cent ans, mais ce n’était vraiment plus possible ! Oeser a fait avancer les choses en remettant en jeu la muse, mais il est allé dans des réels excès d’arrangements (c’est une tradition qui avait encore cours en Allemagne). Pour certains passages, il y a plus d’Oeser que d’Offenbach ! Pour l’acte de Giulietta, il est parti des Fées du Rhin et il a réalisé une espèce de salmigondis.
Au niveau tessiture, il n’y a aucun problème puisque c’est sensé une colorature tout du long. Après, c’est surtout une question d’endurance. C’est notamment Giulietta qui pose problème. Si on enregistre le grand air avec toutes les vocalises écrites (tel que Sumi Jo l’a chanté au disque), cet air est vraiment très difficile. Le duo à la fin de l’acte avec Hoffmann, lors de la perte de reflet, avec l’orchestration de Guiraud, est vraiment lourd. Il est vrai que, pour cette partie, Offenbach a écrit une partition chant-piano qui appelle une orchestration très dense. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien si dans la version Choudens, l’orchestration de Guiraud a été allégée par lui-même en enlevant notamment ces violoncelles qui « tricotent » derrière. Donc, vraiment, pour le rôle féminin, il y a un réel problème : il faut tenir jusqu’au bout !
Effectivement, c’est une vraie performance ! C’est l’une des rares à oser l’air de Giulietta ! Et en plus elle ne l’ose pas on version raccourcie. Car il y existe deux versions. La plus courte, c’est celle qu’a enregistrée Cheryl Studer dans la version Jeffrey Tate (et c’est d’ailleurs magnifique !). Une Christiane Eda-Pierre aurait pu chanter les rôles à son époque. Une Edda Moser peut-être. Pour ces 3 rôles, il faut un soprano dramatique colorature ! Ça ne court pas les rues !
Et puis, il y a aussi des problèmes de salle. Quand je vois par exemple cette fosse complètement ouverte à l’Opéra-comique. C’est une catastrophe depuis Lombard qui a voulu l’agrandir. Les voix ne sont pas couvertes, mais c’est trop riche, il y a trop de matière. À l’époque d’Offenbach, il n’y avait pas les mêmes équilibres orchestre / chanteurs. Les chanteurs étaient mieux traités. Le fait de revenir à des instruments anciens peut avoir du bon.
Espérons que…
Cela fait depuis 2012 qu’on le prévoit avec Marc Minkowski. C’est effectivement une bonne idée, car cela pourrait nous sortir de la panade du monde éditorial. Il va bientôt y avoir une coproduction Vienne-Strasbourg-Paris (Opéra-comique), ce serait peut-être le moment de faire cette fameuse édition !
Mais tout de même, c’est la maison de disques qui reste le problème. Il faut trouver une maison de disque qui veuille le faire.
Il y en a toujours ! Des projets éditoriaux en partenariat avec Opera Rara. Voilà un très beau label. Malheureusement, Les Contes d’Hoffmann ne peuvent pas les intéresser, puisqu’ils ne font que des choses rarissimes.
Photos : © JC Keck, © Musée SACEM