Si la mise en scène de Denis Podalydès est très conventionnellement « Comédie Française », le retour du chef-d’œuvre de Gounod dans une version quasi inédite bénéficie d’une distribution idéale et d’une direction de choix grâce à la baguette de Louis Langrée.
On ne saurait résumer les multiples péripéties du Faust de Gounod mieux que ne le fit notre collègue Philippe Manoli lors des récentes représentations lilloises et on laissera le lecteur avide se délecter de cette passionnante mise au point.
Mais, malgré le fait que nous sommes accoutumés à la grande version opéra (qui brille désormais sur la scène de l’Opéra Bastille dans la mise en scène de Tobias Kratzer), ce « retour » de Faust parvient à nous surprendre, notamment en raison du travail exemplaire réalisé par Louis Langrée, le directeur musical de l’Opéra Comique, et son assistant, Sammy El Ghadab. Certes, parfois, pointe la déception fugace d’être frustrés de certains de nos « tubes » habituels (le « Veau d’or », l’air de Valentin « Avant de quitter ces lieux », ou le chœur « Gloire immortelle de nos aïeux »). Mais cette frustration est largement compensée par une constatation féconde, celle de la mise en évidence de l’évolutivité d’un opéra sous une plume aussi géniale que celle de Gounod ; et l’impression d’assister, en 2025, à une véritable re-création. Enfin, on savoure la satisfaction de voir l’une des œuvres les plus emblématiques de la richesse opératique du XIXe siècle retrouver un autre équilibre, une cohérence du livret que l’on ne reconnaissait pas aussi nettement dans nos souvenirs.
Cet ensemble a donné à ces 4 heures de spectacle (mais que n’a-t-il commencé à 19h ou 19h30 plutôt que 20h !?) un parfum de plaisir dans lequel se côtoyait la découverte, l’exercice de la comparaison et le constat que la partition n’est pas forcément réservée qu’à des stars, et qu’une équipe cohérente constituée de grands artistes est à même de servir magnifiquement ce travail musicologique d’une qualité fondamentale.
De Denis Podalydès, on attendait peu de folie. Nous n’avons pas été déçus tant, passé le dispositif d’une tournette facile, le metteur en scène présente une lecture totalement littérale, sans grande fantaisie et que n’émerge (sur un plateau guère éclairé) qu’une fidèle transcription des actions du livret. Certes, la mise en évidence de l’enfant de Marguerite est importante ; certes la « traversée du miroir » qui nous est proposée est intéressante, mais elle l’aurait d’autant plus été si elle avait offert du répondant scénique aux équilibres de la musique de Gounod. Fermons le ban, car là n’était pas le principal mérite de la soirée.
Car, dans la fosse, Louis Langrée s’accorde à faire rayonner cette (nouvelle ?) partition avec toute la flamme et les contrastes exigés. Le directeur musical de l’Opéra Comique rappelle que la musique de Gounod ne brille jamais autant que lorsqu’on sait lui reconnaître toutes ses richesses en n’hésitant pas, si nécessaire, à jouer de l’exhibitionnisme musical du compositeur. Ainsi, ce sont les changements de rythme adapté, en demi-teintes souvent, en pompiérisme parfois même. Et fichtre !, c’est aussi ce manque de sagesse que l’on aime chez Gounod et l’on apprécie que cela s’entende !
Succès immense depuis sa création, Faust est forcément victime de ce succès et, dès que cela est possible, les stars cherchent à s’en emparer (pas toujours avec pertinence d’ailleurs). Sur la scène de l’Opéra Comique, on retrouvait simplement des artistes de grande qualité dont on ne pouvait qu’apprécier la parfaite adéquation avec leurs personnages.
Si l’on souhaitait juste qu’il apprenne un peu à se « déboutonner » en scène, et adopte une attitude moins rigide, le Faust de Julien Dran est un bonheur de tous les instants avec sa voix élégante, son élocution châtiée, ses aigus faciles. Son « Salut ! demeure chaste et pure » est un modèle du genre tant l’air est abordé et géré en plénitude, sans recours à la voix de tête, mais avec un diminuendo parfaitement placé. Il n’y a là nulle tentation d’esbroufe, mais du talent pur qu’il complète avec une cabalette (« Et toi, malheureux Faust ») inhabituelle pour laquelle il possède l’insolente santé vocale.
À ses côtés, on savoure le Méphisto retors et totalement pris dans une conception opéra-comique, de Jérôme Boutillier qui, certes, n’affiche pas les graves que certains peuvent mettre dans le rôle, mais donne corps, à tout moment, à son personnage, virevoltant tant dans l’attitude que par la souplesse de sa voix. Il y a dans ce diable-là, une dimension théâtrale qu’il est jouissif de voir et d’entendre.
Troisième pilier de Faust, la Marguerite de Vannina Santoni apporte, elle aussi, une certaine originalité permettant de sortir des sentiers battus. Quoique souple (mais il est vrai un peu avare en variations dans l’air de bijoux), la voix est idéalement placée dans le médium entraînant l’héroïne sur le terrain de la femme plus que sur celui de la jeune fille. Les aigus sont clairs et beaux, mais c’est bien sûr dans les scènes finales que l’on mesure la pertinence d’une grande Marguerite. Et celle-là est bien une grande tant elle a les moyens vocaux (et n’hésite pas à les pousser à ses limites quand nécessaire) pour faire surgir, à partir de la scène de l’église, l’émotion de cette femme abusée et perdue.
S’il est peu sacrifié par la version, le Valentin de Lionel Lhote ne rate pas pour autant les occasions de faire briller son personnage, sans exagération, de sa voix solide, notamment au moment de la mort.
Si l’on rajoute à cela le Siebel appréciablement frais de Juliette Mey, la Dame Marthe aussi mûre que théâtrale de Marie Lenormand et le Wagner d’Anas Séguin (qui a enfin quelque chose à chanter et le fait fort bien), on réalise à quel point la distribution a été composée avec soin et adéquation avec la version choisie.
Cette alchimie quasi parfaite ne peut que nous faire conseiller d’aller, sans délai, voir ce Faust à la sauce « comique » (et espérer qu’il sera repris vite avec cette distribution et cette direction).
Visuels : Stefan Brion