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Ewa Podles, l’albatros du chant lyrique

par Philippe Manoli
20.01.2024

On a appris samedi 20 janvier au matin la disparition, survenue la veille au soir, d’Ewa Podles. La contralto polonaise a connu une phénoménale carrière de contralto d’agilité, en marge des grandes maisons lyriques et des grands labels discographiques, des années 1980 au début des années 2010. Notre hommage :

Horne et Podles, deux carrières parallèles qui ne se recoupent pas

 

En 1935, après un récital de la contralto américaine Marian Anderson à Salzbourg, Arturo Toscanini vient lui dire dans sa loge : « Une voix comme la vôtre ne se rencontre qu’une fois par siècle ». Et l’on peut dire que seule Kathleen Ferrier a pu apporter un bémol à cette affirmation au cours du XXe siècle. Ces deux grandes artistes ont sans doute été les plus extraordinaires dans le domaine de la mélodie au cours du siècle passé, mais elles ont peu abordé les rôles d’opéra.

Dans ce domaine, en revanche, deux autres monstres sacrés ont régné, l’une d’entre elles vient d’ailleurs de fêter ses quatre-vingt-dix ans et reste sans doute une des toutes dernières gloires vivantes de cette époque (avec Leontyne Price, de six ans son aînée) : c’est Marilyn Horne. La contralto polonaise Ewa Podles était de la même trempe, seconde représentante du rarissime contralto d’agilita. Elle vient de nous quitter vendredi 19 janvier, à 71 ans.

Non seulement c’est une grande perte pour le monde de l’opéra, mais on ne peut s’empêcher de penser que ce monde a été assez ingrat avec elle, lui accordant beaucoup moins de gloire qu’à sa consœur américaine. Horne a eu une longue carrière au Metropolitan Opera de New-York, et les avantages d’un juteux contrat Decca. Podles, après des débuts brillants dans Rinaldo de Haendel en 1984, aura dû attendre vingt-quatre ans pour chanter à nouveau dans le temple américain de l’opéra. Et si sa discographie n’est pas du tout négligeable, elle a dû négocier avec les labels moins prestigieux comme Forlane, Naxos, Delos, Hyperion, Dux, Archiv. Son très fort tempérament a, sans doute, dû jouer en sa défaveur dans le monde des agents et des directeurs, certains n’hésitant pas à parler de « dragon » à son égard.

Le développement d’une carrière est souvent lié à la capacité ou à la volonté d’exécuter ce que Rostand appelait dans son Cyrano de Bergerac « des tours de souplesse dorsale ». Il est probable que Podles n’y ait jamais cédé. Elle l’a payé assez cher. Albatros du chant lyrique, elle a mené sa carrière avec beaucoup d’exigence et peut-être d’intransigeance. Quand on lui proposait Azucena du Trovatore de Verdi, elle répétait sans cesse : « Dans trente ans, peut-être ».

 

On chipote ou on ne chipote pas

Au sujet d’un disque Decca de Marylin Horne, on peut lire au détour d’un commentaire du Dictionnaire Les Indispensables du disque compact classique édité chez Fayard en 1994, sous la plume de Jean-Charles Hoffelé (ou de Piotr Kaminski)  : « Voilà la plus ébouriffante des rossiniennes dans ses années de gloire, mais alors de gloire absolue. Tout y est, sauf peut-être l’ultime chaleur d’un timbre méditerranéen – mais ne chipotons pas ! » On ne chipotait pas avec Horne. Sans doute plus avec Podles.

Pourtant, à la même époque justement, au milieu des années 1990, Ewa Podles ajoutait à cette virtuosité folle des rôles rossiniens, un timbre d’une richesse et d’une couleur sombre des plus rares : Rosina du Barbiere di Siviglia, Malcolm de La Donna del Lago, Isabella de L’Italiana in Algeri, Arsace de Semiramide, Calbo de Maometto II, Tancredi dans l’opéra éponyme, plus tard Ciro de Ciro in Babilonia ; chacun de ses personnages trouvait, avec Ewa Podles, une incarnation époustouflante, grâce à un contralto égal sur plus de trois octaves, d’une souplesse, d’une vélocité et d’une puissance phénoménales sur tout l’ambitus, rompu aux codes techniques belcantistes comme à la coloration des affetti. Grâces soient rendues à Alberto Zedda, le grand maître rossinien, qui a su accompagner l’une après l’autre les deux divas, et offrir à la Polonaise un enregistrement de Tancredi produit en France par Naxos en 1994, qui permet d’imaginer pourquoi les contemporains de la création, comme Stendhal,  étaient littéralement envoûtés par cette aria :

 

 

C’est dans ce même Tancredi qu’elle a connu un triomphe dans une de ses rares productions scéniques en France, à Toulon en 2005. Mais elle n’aura finalement vécu que quelques succès à Pesaro, la patrie de Rossini, où elle a été peu invitée, mis à part ce dernier run de 2012 où elle révélait le rarissime Ciro in Babilonia. L’albatros… même au pays du cygne, décidément…

 

Du « caro Sassone », elle a incarné une poignante Cornelia ainsi qu’un fuminant Giulio dans Giulio Cesare in Egitto, un sensationnel Polinesso dans Ariodante, un superbe Orlando, un Bertarido de haut vol dans Rodelinda, mais surtout un phénoménal Rinaldo. En 1984, on l’a dit, elle fait ses débuts au MET dans le rôle, repris plus tard au Châtelet en 1985, puis au Théâtre des Champs-Élysées en 1995. Le « Cara sposa » douloureux, qui avait fait la gloire de Horne, n’est pas moins beau et délicatement orné chez la diva polonaise, au timbre plus sensuel, aux graves incroyablement caverneux.

 

Hors bel canto

 

On ne peut pas dire que Marilyn Horne ait limité ses talents à la sphère belcantiste ; elle a chanté Berg, Mahler, Berlioz, Bizet, Roussel, Strauss ou Thomas. Mais Ewa Podles a aussi excellé, hors bel canto, dans le répertoire italien, comme dans le répertoire russe d’opéra et de mélodies, ainsi que dans le répertoire français d’opéra et d’opéra-comique.

 

Hors de l’orbe belcantiste, la diva polonaise a brillé dans le répertoire d’autres compositeurs italiens comme Puccini (elle a été à San Francisco une incroyable Zia Principessa de Suor Angelica), Ponchielli (la Cieca dans La Gioconda), et quelques Verdi (Ulrica dans Un Ballo in maschera, Azucena du Trovatore et Eboli de Don Carlo) et même quelques rôles du répertoire  allemand comme Erda dans Siegfried et L’Or du Rhin de Wagner, Clytemnestre dans Elektra de Strauss.

 

Ewa Podles n’a pas autant chanté l’opéra russe qu’elle l’aurait, sans doute, pu : le MET lui a toujours préféré une Borodina, et on reste ébahi qu’elle n’ait pu, par exemple, défendre le rôle de Marfa dans Khovanchtchina de Moussorgski, un rôle idéalement taillé pour elle. Mais elle a tout de même été une somptueuse Kontchakovna dans Le Prince Igor de Borodine, et une impressionnante Comtesse de La Dame de Pique de Tchaikovski à Monte-Carlo et Barcelone.

 

Les mélodies russes comme second acmé

 

À l’égale mesure de son investissement à l’opéra, elle a été une fabuleuse interprète de mélodies, russes et polonaises surtout. Polonaise de naissance, formée à Varsovie, où elle a débuté en 1975, elle ne pouvait manquer de défendre les mélodies de Chopin. Elle a aussi admirablement servi Prokofiev et Chostakovitch. Mais c’est, pour nous Occidentaux, dans les mélodies de Moussorgski, Tchaïkovski, Rachmaninov qu’elle s’est révélée particulièrement passionnante. Son disque Mélodies russes de 1993 publié chez Forlane contient des merveilles. Accompagnée par Graham Johnson, elle offre bien sûr des Chants et danses de la mort sauvages et subtils, et de délicates Enfantines, mais surtout elle illumine l’Op. 14 No. 9 de Rachmaninov (« Elle est belle comme le jour ») d’une douceur et d’une lumière ineffables, comme peut-être aucune interprète russe ne l’a fait, et l’Op.47  No.7 de Tchaïkovski (« Si j’étais une petite herbe) est du même niveau. Rien d’étonnant, quand on sait qu’en 1979, lorsqu’elle passait le concours Tchaikovski à Moscou, l’une des plus célèbres mezzos russes du XXème siècle, Irinia Arkhipova, emmenait ses élèves du Conservatoire de Moscou voir la jeune Polonaise pour qu’ils comprennent comment on peut chanter idéalement les mélodies russes…

 

La « french touch »

 

Enfin le répertoire français a été, tardivement pour Ewa Podles,  un terrain d’élection. On peut oublier une Carmen obligée, mais peu pertinente. Peut-être est-elle venue à ce répertoire par des chemins de traverse : un  contralto comme elle a l’occasion de s’essayer à l’Orfeo de Gluck en version italienne (qu’elle a enregistré sur un disque Arts en 1999), et puis l’attraction de la version Berlioz aidant, la version française s’impose forcément à un moment ou à un autre. Et quand le public découvre, en 1993, l’enregistrement Forlane, c’est un choc : la voix de Podles y est somptueusement captée, mais surtout, cet Orphée-là exprime idéalement les sentiments du poète confronté aux rives des Enfers, et c’est peut-être, plus encore que dans la virtuosité d’« Amour, viens rendre à mon âme », dans l’expression extasiée de « Quel nouveau ciel pare ces lieux » que la contralto fascine totalement.

Si la France et, singulièrement l’Opéra de Paris, ne lui offrent qu’une Dalila en 1991, c’est Marc Minkowski qui lui a permis de passer du baroque à l’opéra bouffe. Il lui a fait chanter une singulière Haine dans Armida de Gluck (enregistré en 1999), puis une impayable Opinion publique d’Orphée aux enfers d’Offenbach (enregistré par EMI en 1997). Suivent des marquises de Berkenfield de La Fille du régiment et enfin d’épatantes Madame de la Haltière de Cendrillon de Massenet, un rôle avec lequel elle a fait une dernière apparition en 2015 à l’Opéra-Comique comme invitée surprise pour le gala « Le romantique opéra français » de Marc Minkowski. Des problèmes de santé l’ont alors amenée à se retirer après une ultime marquise de Berkenfield à Barcelone, après quoi elle a continué à enseigner, aux côtés de son mari le pianiste Jerzy Marchwiński (décédé en novembre 2023).

 

Dans l’Histoire

 

Il est bien heureux qu’une telle personnalité vocale ait pu bénéficier de son vivant d’une biographie, Ewa Podles contralto assoluto, écrite par Brigitte Cormier aux éditions Symétrie en 2013.

Si Yves Bonnefoy a consacré un poème explicitement « À la voix de Kathleen Ferrier » (in Hier régnant désert, 1958), on peut entrevoir les éléments saillants de la voix d’Ewa Podles, en mémoire des Kolybel’naya (berceuses) qu’elle chantait si bien, quelques raucités graves entourées de lumière et pétries de douceur, dans ces vers de « Moesta et errabunda » de Charles Baudelaire (in Les Fleurs du mal, 1857) :

 

« Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse

Qu’accompagne l’immense orgue des vents grondeurs,

De cette fonction sublime de berceuse ? »

Visuel : © Andrzej Świetlik