Les représentations aixoises de Madame Butterfly bénéficient de la performance et de la présence exceptionnelle de la soprano. Malheureusement, les autres interprètes ne se hissent pas au même niveau, la direction de Daniele Rustioni est tendue, mais inégale, et la mise en scène, sobre, élégante, voire raffinée, s’avère assez lassante sur la longueur.
Car, lorsqu’Ermonela Jaho paraît, une fois encore, l’on se dit que cette Cio-Cio San va nous envoûter. L’artiste domine le rôle qu’elle a chanté des dizaines de fois à la perfection, et cette appropriation est telle, que l’interprétation est d’un naturel évident, comme si Jaho transfigurait le rôle.
La voix de la jeune fille qui entre en scène est pleine des nuances nécessaires, à la fois solides et chargée d’harmoniques, avec des piani parfaitement maîtrisés. Ce qui frappe immédiatement, avec son timbre et ses aigus soulignés d’un léger vibrato, c’est la façon avec laquelle elle sait véhiculer, avec puissance, vérité et émotion.
Dans le duo du premier acte, la voix est stable, le médium particulièrement harmonieux. Par moments, la voix se fait plus mordante et l’on réalise que tout dans cette incarnation porte déjà l‘empreinte de la fatale conclusion.
Le début de l’acte II est un véritable festival de notes filées, de mots ciselés. L’aveuglement avec lequel la jeune fille court à sa perte paraît déjà inscrit sans que, jamais, l’exagération ne soit au rendez-vous.
Le « Un bel di, vedremo » qu’elle livre allongée, au début, est d’une sobriété émouvante et l’envolée finale est sublime.
Puis, lorsqu’elle réalise que Pinkerton ne va peut-être pas revenir, c’est un déchirant cri de souffrance qu’elle livre alors, face au consul, dans une scène admirable où son « Gioa » (« Joie ») se charge alors de couleurs lugubres.
Il faudra, ensuite, l’art d’une telle artiste comédienne pour se tenir longuement face au public durant la longue scène où, en attendant le retour de Pinkerton, escortée par des lampions, elle patiente, accompagnée d’oiseaux-marionnettes.
Lorsqu’arrive la scène finale, ce sera dans la continuité dans la persistance de ce qui précède, un moment de véritable émotion, un sommet bouleversant !
En Pinkerton, Adam Smith est un partenaire vaillant, toutefois, moins séduisant, en raison d’une voix, extrêmement tendue et métallique, ce qui se ressent surtout au début.
Les aigus ne sont pas des plus harmonieux et le ténor frise même, parfois, la rupture.
Son « Addio, fiorito asil » du troisième acte est énergique, mais le registre supérieur est encore bien tendu et l’air ne brille pas particulièrement par les nuances.
Mihoko Fujimura, quant à elle, est une Suzuki à la voix très sombre qui évolue dans l’ombre de sa maîtresse. Au dernier acte, sa principale scène, alors qu’elle cherche à protéger Butterfly, est tout en retenue et en noblesse.
Pour sa part, Lionel Lhote campe le Consul avec une certaine sobriété, mais qui, cependant, pêche un peu par une personnalité plus affirmée, d’où devrait émaner les conflits intérieurs de cet homme pris dans les insouciances coupables de Pinkerton.
La direction de Daniele Rustioni est très claire et, à tout moment, d’une grande ampleur.
Le reproche récurrent que l’on peut faire au chef, c’est que, dans sa logique de mener son orchestre de l’Opéra de Lyon à un train soutenu, dans une cohérence de gestuelle nerveuse, il peine finalement à marquer une véritable différentiation, de ton et de rythme, entre les compositeurs italiens qu’il pratique, de Rossini à Verdi et à Puccini.
Ainsi, par instants, des passages sont exagérément rapides, cette tension le contraignant ensuite à des ralentissements soudains… d’autant que le Chef, use, parfois sans compter, des percussions de manière immodérée. À l’inverse, d’autres moments, tel celui où officie le chœur à bouches fermées, ont un tempo bienfaisant idéal.
Enfin, avec ces réserves, il sera aussi légitime de comprendre que cette direction de Rustioni, souvent portée sur le spectaculaire, plaise au public, et c’est l’essentiel !
Partie incontournable du drame, le chœur dirigé par Benedict Kearne, est précis et ses interventions sont marquées d’une très grande sobriété et d’une belle unité.
La mise en scène d’Andrea Breth est d’un grand dépouillement. La scène est réduite à son strict minimum, un tapis roulant fait défiler les figurants, souvent masqués.
Les illustrations sont littérales, poétiques avec, parfois, ces très beaux oiseaux animés, ces fleurs et ce petit bateau qui figure le Abraham Lincoln ; le décor, petit espace dans lequel elle se débat, traduit l’intimité de Butterfly ; les lumières jouant de clair-obscur sont enveloppantes ; les gestes, assez convenus, sont en phase avec cette économie. In fine, le résultat est plaisant, tableau par tableau, mais il faut reconnaître qu’avec le temps, la mise en scène se retrouve par trop enfermée dans ce décor étriqué, trop décoratif, trop uniforme ; elle peine aussi à donner suffisamment de contraste aux moments de tension.
Pour son premier passage sur la scène du festival d’Aix-en-Provence, la direction a misé sur la soprano qui éblouit, depuis longtemps maintenant, dans le rôle de Butterfly, un rôle dans lequel elle confirme qu’aujourd’hui, elle n’a pas (ou bien peu) de rivales. L’on s’est alors souvenu que l’opéra de Puccini repose essentiellement sur son interprète principale. À n’en pas douter, une fois de plus, Ermonela Jaho a porté sa « Madame Papillon » au sommet de son art et de l’art lyrique.
Visuels : © Ruth Walz