Distribution royale au Festival d’Aix-en-Provence pour « La Clémence de Titus »

Une version de concert sublimée par la scène

Nous sommes en 79 à Rome. Titus a usurpé le pouvoir et Vitellia, la fille du roi déchu, décide de se venger en ordonnant à Sextus d’assassiner l’Empereur. C’est de cet argument, inspiré de Suétone et de Metastasio que Caterino Mazzolà a tiré le livret de l’opéra. Vengeance, trahison, amour passionnel, fidélité aux puissants ou à son cœur… tous les ingrédients sont présents pour faire naître des airs sublimes.

L’œuvre est connue pour contenir de nombreux et longs récitatifs. On comprend donc que la version de concert puisse être difficile. La mise en espace de Romain Gilbert et la mise en lumière de Cécile Giovansili Vissière permettent une lecture dramaturgique très claire. Titus lorsqu’il est tout puissant siège, par exemple, en fond de scène en hauteur, au milieu du chœur (le peuple de Rome). Ce sera également la place de Sextus s’apprêtant à être condamné au regard de tous. Jouant des poursuites, pour isoler tel ou tel rôle, la création lumière permet de mieux percevoir l’immense solitude des personnages. Car c’est de cela dont il est question. Les passions isolent (l’amour non payé de retour, la vengeance) tout comme le pouvoir et ses responsabilités.

Distribution royale

Raphaël Pichon et son ensemble Pygmalion, cet orchestre jouant sur instrument d’époque, sont des habitués du Festival d’Aix. Le chef avait dirigé une inoubliable Flûte enchantée dans une mise en scène de Simon McBurney (2018) et, pour cette édition, donne vie au Samson de Rameau. Pour cette version de concert il s’est entouré d’un casting non seulement brillant individuellement mais dont l’ensemble lui-même marque par son homogénéité. Dans le rôle titre, Pene Pati émeut particulièrement dans son « Se all’impero, amici Dei » du deuxième acte. Dans cet air, l’Empereur s’interroge sur le fait de pardonner ou non Sextus. Le ténor samoan ne joue en rien de sa puissance vocale mais intériorise son questionnement.

Si toute la distribution est tout à fait formidable, on se doit de reconnaître que c’est Marianne Crebassa qui émeut le plus. Elle était déjà remarquable l’an passé dans Résurrection de Malher mis en scène par Castellucci. Elle incarne ici Sextus, celui en somme par qui tout arrive. Dans plusieurs des airs qu’offre le rôle du traître, elle joue d’une rare théâtralité dans une version de concert. Elle semble parfois fredonner un air, bouche presque fermée, avant que son timbre si délicat n’envahisse la salle (et les coeurs). Ce faisant, elle donne à entendre toute la dimension tragique de ce personnage déchiré entre son amour pour Vitellia et son respect de Titus. Dans « Parto, parto, ma tu, ben mio » (un des airs dits de départ les plus célèbres du compositeur), elle dialogue avec la clarinette baroque de Fiona Mitchell. On atteint là, sans doute, le plus beau moment du concert. Et on entend ci et là quelques demandes de bis dans la salle.

Lea Desandre (Annio), Emily Pogorelc (Servilia), Nahuel Di Pierro (Publio) et Karine Deshayes (Vitellia) tendent à parfaire cette soirée, unique à tout point de vue.