Joyeuses Noces de Figaro sous la direction de Giovanni Antonini au Théâtre des Champs-Élysées, avec une belle équipe de chanteurs et de musiciens, qui incarnent avec talent les piquants personnage du chef d’œuvre de Mozart. Une belle soirée !
Le théâtre des Champs-Élysées nous avait proposé les Noces de Mozart en version mise en scène en 2019, dans une production qui n’avait pas fait l’unanimité.
Avec cette version concertante mise en espace nous disposons à l’inverse, paradoxalement, d’une véritable scénographie, vivante, et parfaitement en phase avec le déroulé rocambolesque de l’œuvre de Mozart qui permet de suivre chacun des détails de cette formidable aventure où il est manifeste que chanteurs et instrumentistes, tous installés sur le plateau, se sont beaucoup amusés.
Les Noces, premier ouvrage de la trilogie composée par Mozart avec le librettiste Da Ponte, est un véritable petit bijou de tous les points de vue : inventivité musicale quand après l’ouverture célébrissime et fort enlevée, se succèdent tous les genres vocaux dont Mozart maitrisait si bien l’art, du récitatif avec continuo, à l’aria, du duo en dialogue ou en juxtaposé (avec souvent un mélange des deux), à l’impressionnant ensemble à neuf final, en passant par les trios, quatuors, septuors, tutti avec chœurs, Mozart nous a tout offert avec ce talent unique qui ravit toujours l’auditeur. Quant au livret de Da Ponte, même si, censure oblige, il édulcore un peu les écrits de Beaumarchais, auteur de la pièce dont ces Noces sont directement inspirées, il rédige un texte d’une grande finesse où se succèdent des échanges vifs et remplis d’humour, des déclarations politico-sociales d’une grande actualité, quelques belles scènes comiques et des canzonetta lyriques émouvantes. Et finalement la sévère, mais subtile dénonciation des privilèges de la noblesse – le droit de cuissage – demeure l’un des thèmes principaux de l’ouvrage et lui confère une étonnante éternelle jeunesse.
Ses personnages sont désormais connus de tous et les voix masculines essentiellement en clé de fa, répondent aux trois rôles féminins principaux, toutes de grande importance et disposant d’une très belle partition, comme ce sera également le cas pour les deux autres ouvrages de la trilogie, Don Giovanni et Cosi Fan tutte. La technique musicale fait appel aux canons du bel canto, avec ornementations, trilles, reprises avec variations, langage syllabique en accéléré, et offre de magnifiques envolées enivrantes.
Giovanni Antonini réalise, avec le Kammerorchester Basel, une tournée de ces Noces, qui a débuté au Stadtcasino de Bâle pour se poursuivre au Grand Auditorium du Luxembourg, à Paris puis à l’Elbphilharmonie de Hambourg.
C’est du vrai travail d’équipe comme le public l’apprécie à juste titre et les artistes saluent tous ensemble sous les chaleureux applaudissements après quatre actes menés à un rythme joyeux et efficace
Car il faut d’abord saluer la direction rapide, mais précise de Giovanni Antonini, sans cesse attentif aux chanteurs – malgré leur disposition variable y compris au milieu des instrumentistes – et à l’équilibre entre les pupitres qui s’en donnent à cœur joie. Chaque groupe d’instrument est tour à tour valorisé, pour une lecture inventive de Mozart et l’on découvre souvent des orchestrations innovantes grâce à l’harmonie entre les instruments d’époque et le savoir-faire de l’orchestre. Le continuo – piano forte, basse, violoncelle – n’est pas en reste et sa tâche est importante, les récitatifs étant particulièrement développés dans la conception mozartienne d’alors.
Et finalement l’orchestre fait un peu tout dans cet accompagnement très imagé, y compris le fracas des objets que Cherubino fait tomber depuis sa cachette ou le bruit des gifles généreusement distribuées par Suzanna à Figaro. Cuivres, bois, cordes, percussions, excellents dans cette lecture du chef-d’œuvre de Mozart contribuant à une sorte de redécouverte bien agréable.
Si scéniquement, l’ensemble des artistes jusqu’au plus petit rôle, joue avec une crédibilité impressionnante l’ensemble des péripéties souvent vaudevillesques de ce Figaro, vocalement, nous serons un peu plus réservés sur les voix masculines.
Le rôle-titre est tenu par le baryton basse Robert Gleadow, habitué du rôle comme de celui de Leporello, possède incontestablement une énergie redoutable et une faconde adéquate pour incarner un Figaro sincèrement amoureux, mais aussi colérique, décidé, retors et malin, qui force l’empathie et n’arrête jamais de donner élan et vivacité à la représentation, conduisant manifestement l’ensemble de la distribution à cette mise en espace bienvenue. La voix est belle dans les graves et le medium, le rythme des récitatifs bien maitrisé, mais l’on sent les aigus difficiles, peu projetés, un peu écrêtés, même si l’artiste, très expérimenté, ne nous laisse pas forcément le temps de nous attarder sur ces petites imperfections tant le reste du chant n’appelle que des éloges.
Le comte du baryton-basse Florian Boesch est lui aussi une magnifique illustration de ce que « incarner un rôle » veut dire. Le baryton possède un style aristocratique et cynique tout à la fois, et si la voix parfois parait un peu raide, évitant les vocalises trop complexes, dans l’ensemble la prestation convainc et arrache même une ovation sur son récitatif « Hai gia vinto la causa » suivi d’une aria particulièrement brillante « Vedrò, mentr’io sospiro » assénés avec autorité et panache.
Mais les plus belles voix se trouvent du côté du trio formé par la comtesse (Anett Fritsch), Suzanna (Nikola Hillebrand) et Cherubino (Anna Lucia Richter).
Dans les Noces, Anett Fritsch a tout chanté au cours des quinze dernières années : Cherubino, Suzanna et la comtesse, dans de multiples lieux et productions, toujours avec beaucoup de classe et de distinction. Plus récemment, nous l’avons également entendue en Freia dans les premiers volets du Ring à Berlin comme à Bruxelles, puis en Gutrune dans le Crépuscule des dieux, à nouveau remarquée pour la beauté de son timbre, l’élégance de sa prestation et la justesse de son jeu de scène.
Hier soir sur la scène des Champs-Élysées, dès son apparition, nous sommes charmés, voire séduits. Le timbre est magnifique, le legato souverain, les ornementations délicates et elle triomphe dans toutes ses prestations. Son « Dove sono i bei momenti » est un grand moment de chant et de grâce.
La Suzanna de Nikola Hillebrand est plus prosaïque comme il se doit, et sa Suzanna est particulièrement bien interprétée sans vulgarité, mais avec un rien de volontairement moins aristocratique, de moins distante des réalités, forçant en tous points l’empathie. Belle soprano, Nikola Hillebrand domine également sa partition et l’on a beaucoup apprécié ses multiples interventions dès son arrivée dans le fameux duo introductif avec Figaro.
Jolie surprise que le délicieux Cherubino de la pétulante et espiègle jeune mezzo-soprano Anna Lucia Richter. Elle possède l’art de la vocalise et nous offre, outre un très joli portrait très juvénile du page, un magnifique « Voi che sapete ».
Il faut d’ailleurs souligner la jeunesse de nombreux interprètes dont Cherubino et Suzanna (un peu plus de la trentaine), mais aussi des rôles de personnage plus âgés comme Marcellina !
L’ensemble des rôles est tout à fait satisfaisant, voire souvent enthousiasmant. On citera le Bartolo de Riccardo Novaro et la Marcellina d’Anna-Doris Capitelli, en regrettant que cette dernière dont la superbe prestation méritait mieux, ait vu comme souvent, son fameux aria « Il capro e la capretta » supprimé alors que Riccardo Novaro peut déployer son talent dans une brillante « Vendetta » irréprochable.
La soprano Shinyoung Kim campe une charmante Barbarina et le ténor Joshua Spink réussit parfaitement ses courtes apparitions en Basilio et Don Curzio.
Les choristes de l’ensemble Basler Madrigalisten, nous offrent, eux aussi, de charmantes apparitions, les bras couverts de fleurs pour des ensembles très bien maitrisés et qui donnent beaucoup de vie à cette représentation musicalement et théâtralement très agréable et qui a été accueillie triomphalement par un public sous le charme d’un Mozart tout aussi poétique que grinçant dans ce véritable chef-d’œuvre que l’on revoit toujours avec plaisir.
Visuel : Giovanni Antonini © Marco Borggreve