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Dentelle musicale italienne et polyphonie braroquement sacrée, Da Palestrina à Vivaldi

par Theo Guigui-Servouze
12.12.2024
a Maîtrise de Radio France © Christophe Abramowitz/Radio France

Ce mardi 10 décembre à l’Auditorium de Radio France, riche d’une programmation forte et intemporelle, s’est jouée une fresque musicale italienne sous la direction de Sofi Jeannin et la Maîtrise de Radio France aux côtés de la violoncelliste Ophélie Gaillard et de son ensemble Pulcinella. Léonor De Recondo, en qualité d’auteure, non pas pour son talent de violoniste, a ponctué la soirée par des récitations extraites de son dernier roman.

Ferveur et Maîtrise – Totales

Ce qui peut sembler être un pari risqué : allier technique polyphonique sacrée de la Renaissance, histoire orpheline du XVIIIe siècle et virtuosité toute baroque d’un Vivaldi (1678 – 1741), qui demeure la référence italienne et le trublion, pour certaines ou certains, de ce courant musical déterminant de l’histoire du classique. Pourtant, bien qu’assez consensuellement orchestré et présenté, le pari a réussi.

 

« Elle connaît la douleur, la souffrance éprouvée – elle attend une fille, elle le pressent »

 

Le « Magnificat Quarti Toni » commence, mobilisant l’ensemble des invités de marque et, ce qui saisit instantanément, c’est la Maîtrise. Le chœur, comptant pas moins de 59 jeunes filles et jeunes hommes, fiers, formant un arc de cercle, parfaitement disposé – harmonie contrapuntique oblige – cueille son audience par la perfection millimétrée qu’il maintient, sans faiblir à aucun moment, dirigée par Sofi Jeannin.

 

Cette soirée unique est l’occasion de faire se croiser des destins. C’est donc également une fresque temporelle et historique : Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525 – 1594), Laura Sirmen Lombardini (1745 – 1818), qui passa quatorze années au renommé « Ospedale della Pietà », orphelinat pour jeunes filles invitées à emprunter un chemin de vie sacerdotale, mais hautement éduquées, notamment en termes de musique, de pratique du violon et du chant. Da Palestrina, qui officia en tant que maître de chapelle à la Basilique Saint-Pierre. Vivaldi enseigna « la Pietà », nombres de ses créations lui ont été inspirées, ont été destinées aux habiles mystérieuses orphelines que seul leurs maîtres pouvaient apercevoir. Elles se produisaient en public, dissimulée derrière des grilles. Protection ou invisibilation patriarcale ( ?) – Léonor De Reconto au micro de France Culture a déclare : « mon roman parle avant tout de la a condition des femmes au XVIIIe siècle. Vivaldi n’est qu’un personnage secondaire, qui permet d’ancrer le lieu et la temporalité du roman, mais tout le reste est fiction sauf la Pietà qui a existé. »

 

« Grand Feu », (Ed. Grasset) de Léonor de Recondo, violoniste renommée, primée pour ses talents musicaux et littéraires, relate justement le parcours d’une enfant, Ilaria, qui, du fait d’un vœu maternel, se voit confiée à cette institution dans le Venise du XVIIIe siècle. Elle y découvre : « la rigueur – le respect », insiste l’auteure, mais surtout son objet émancipateur : le violon.

De Rome à Venise

Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525-1594), compositeur italien de la fin de la Renaissance, a travaillé et porté à son apogée la technique de la musique polyphonique classique, entièrement dévoué à la foi catholique. La sonorité quelque peu barbare du terme « contrapuntique », fait référence à procédé technique de création qui consiste en l’élaboration, l’équilibration parfaite de lignes mélodiques superposées, mêlant parties musicales et voix aux tessitures et rythmiques différées, s’harmonisant totalement.

 

En somme, il s’agit de composer à partir de mélodies, de voix récitant (du texte liturgique-messes) en canon et d’ensembles instrumentaux, d’atteindre la clarté – à partir justement d’éléments multiples susceptibles à la moindre dissonance, sinon parfaitement entrelacés, ajustés… Illuminés par les vitraux d’un compositeur aguerri et transcendant les difficultés multiples de cette architecture sonore, riche et contraignante, telle l’édification d’une cathédrale.

 

L’exercice est ce soir-là parfaitement exécuté. On perçoit les tessitures multiples du chœur qui se déposent comme un voile léger et entêtant, en symbiose avec le collège de solistes Pulcinella, auquel Ophélie Gaillard donne le la au violoncelle.

 

Ce sont les lectures de Léonor de Recondo qui, tout en récitant la vie et les découvertes, presque sensuelles parfois : « le violon, couleur miel (…) je n’osais même pas le toucher », permettent à la narration de se glisser entre les morceaux, les chapitres musicaux. Le Gloria en ré majeur, RV 589 (1716), succède au « Kyrie » et précède d’un « Credo », qui laissent s’exalter encore plus de couleurs dans le chœur, encore plus de mouvements superposés et d’incursions vocales, tout en faisant la part belle à l’orchestre. Voix et hautbois en solo se répondent avec « Domine Deus, Rex caelestis », ainsi qu’un solo d’une jeune soprano de la Maîtrise.

 

La réverbération enveloppante de la salle, parée tout de bois, donne une dimension intimiste, quand bien même ce sont des louanges à Dieu qui sont ainsi soufflées.

 

C’est touchant de voir de jeunes personnes mises en lumière, de se laisser porter par leur cantate, sans qu’aucun ne laisse transparaître le très dur travail de répétition. Au-delà de l’apprentissage des paroles en latin, cela a dû se dérouler de longues heures durant.

Bel canto et dernier tournoiement

Comme répondant aux trois concertos, vibrants, finement rodés, où tout le caractère instinctif et curieux d’Ophélie Gaillard ressort et qu’elle insuffle à son ensemble, le final, engageant l’ensemble des artistes, voix et instruments, dans une fugue polyphonique enlevée, « Cum Sancto Spiritu », termine la démonstration avec un contrepoint purement vivaldien, baroque et impertinent.

 

Enfin, l’assemblée peut elle aussi souffler, se lever et applaudir, la Maîtrise et toutes les jeunes âmes qui y sont engagées. La direction attentionnée, voire maternelle à certains moments, de Sofi Jeannin combinée à la très expressive Ophélie Gaillard, qui donne corps à son audace musicale sur un violoncelle de Francesco Goffriller datant de 1737, achèvent une soirée à la fois réjouissante et convenue.

Avec : Ophélie Gaillard à la direction musicale

Auteur.e : Léonor de Récondo

Direction de chœur Maîtrise de Radio France : Sofi Jeannin

Orchestre : Ensemble Pulcinella

France, création 2024

Captation video par Arte : ici