Saviez-vous que Goethe a écrit une suite à la Flûte enchantée de Mozart ? 12 pages de fragments qui ne demandaient qu’à éclore ! Jean-Luc Choplin, le directeur du Lido2Paris, transformé en écrin à comédie musicale, a commandé à Damon Albarn de Blur et Gorillaz un opéra électro, qui est la suite des aventures de Tamino, Pamina, Papageno et la Reine de la Nuit… Et le résultat est une bombe de beauté et d’harmonie assez inclassable. Standing ovation pour la première hier et il ne reste plus que deux dates et très peu de places : foncez !
Jean-Luc Choplin est donc tombé sur ce projet assez fou de Goethe : donner une suite au dernier opéra de Mozart. S’il fallait être suédois pour filmer la flûte, il fallait probablement être anglais pour composer la suite et c’est à Damon Albarn (avec qui il avait fait notamment Monkey Journey to the West au Châtelet, il y a 20 ans) que le directeur du Lido2Paris a passé la commande. Au livret, l’on trouve le dramaturge britannique Jeremy Sams, fidèle à Goethe, donc. Et l’on est réellement heureux de retrouver les personnages de la Flûte : la Reine de la nuit (incarnée par le contre-ténor Christopher Robson, haut perché sur ses chaussures de star) maudit à nouveau sa fille (décidément, elle lui en veut !), Pamina (Elizabeth Karani), et son mari Tamino (superbe timbre d’Alfred Mitchell) et les condamne à être séparé.es de leur enfants. La malédiction rythme donc ce sequel, tandis que Zarastro (Richard Burkhard) continue à souffler une sagesse ancestrale et un peu sombre, tandis que Papageno (Hugo Herman-Wilson) et Papagena (Anna Gregg) en ont assez de manger, dormir, faire l’amour et être heureux : ils préfèrent donner naissance à une batterie de petits-enfants…
Dès l’entrée le long couloir du Lido, l’ambiance est électrique et on pourrait même dire branchée. Une projection nous fait passer du rouge au noir et les basses sont fortes. On a beau s’asseoir au Lido2Paris dans des fauteuils cossus avec un drink, on oublie vite le contexte plutôt cabaret pour nous plonger dans cette fable électro, un peu mystique et plus du tout maçonnique. L’harmonie remplace le symbole dans la vision que Damon Albarn déploie de cette suite de la Flûte enchantée où les forces telluriques se complètent sous les yeux d’un chœur qui représente les lucides générations futures. C’est sombre, mais sublime, dans une mis en espace d’Olivier Fredj qui joue sur les lignes et met en valeur les costumes grandioses de Missy Albarn. Il y a du futurisme des années 1970 et un brin de Cinquième élément années 1990 dans cette scénographie qui devient atemporelle. Elle s’intègre parfaitement avec la musique, véritable ovni, à la fois linéaire et brutale, inventive et complétement hors temps et hors sol. Et surtout complétement au service des voix qui n’en finissent pas de nous séduire et de nous emmener au cœur de la légende.
La salle comble du Lido2Paris s’est levée pour saluer comme il se doit l’équipe de cette Magic Flute II, ce soir de première, avec l’impression d’avoir assisté à la naissance d’un chef d’oeuvre. Derrière son masque blanc de Janus, Damon Albarn avait l’air lui aussi de jubiler.
visuel (c) Julien Benhamou