Dix finalistes s’affrontaient hier soir dans le cadre de la Finale du concours Voix Nouvelles, dans la salle de l’Opéra-comique. C’est la jeune soprano Lauranne Oliva qui, en remportant le premier prix et celui des Opéras Suisses, a été la grande triomphatrice de la soirée. Livia Louis-Joseph-Dogué, originaire de la Martinique a remporté le prix du public. Retour sur une belle soirée.
Il aura fallu près d’une heure au jury composé d’une quarantaine de professionnels du spectacle (chefs d’orchestre, directeurs de maisons d’opéra prestigieuses) pour établir le palmarès du concours Voix Nouvelles, organisé par Génération Opéra et présenté en salle par Agnès Jaoui, leur marraine. Arriver finaliste d’un concours où 396 candidats ont été entendus par 7.000 spectateurs, est déjà le signe de l’excellence. Il n’est donc pas toujours facile de départager autant de talents. Les trois premiers prix sont généreusement dotés (10.000, 7.000 et 4.000 euros) grâce aux deux fondations soutien du concours, celle d’Orange, créatrice de la première édition en 1988 et celle de la Caisse des Dépôts. Cette année-là, Natalie Dessay avait remporté le concours alors organisé par le Centre français de promotion lyrique. Les conditions de participation sont simples : avoir moins de 32 ans, être originaire ou scolarisé dans l’un des pays francophones participants au concours.
Entre la sympathique présentation des artistes par Aliette de Laleu, attentive à nous livrer quelques « secrets » de la personnalité de chacune et chacun, la beauté de la direction précise et chaleureuse de Chloé Dufresne, à la tête de l’orchestre philharmonique de Nice en grande forme, et le talent des artistes qui, malgré l’émotion et le tract, ont su nous livrer de belles prestations, il y avait de quoi être comblé.
Lauranne Oliva, jeune soprano de 23 ans, recevait déjà en septembre dernier, au Théâtre des Champs-Élysées, le Prix du Public et le 1er Prix du Jury du concours Paris Opera Competition. Elle nous offrait hier soir, le premier Verdi de la soirée avec un « Caro Nome » d’une grande délicatesse d’exécution, dénotant une belle technique alliée à une grande sensibilité. Aigus harmonieux et jamais criés, mais amenés avec grâce et séduction, belles vocalises, elle « était » Gilda et devrait exceller dans l’ensemble du rôle. En choisissant ensuite « C’en est donc fait… », l’air de Marie dans La fille du Régiment de Donizetti, déjà chanté par la première concurrente, dans un rythme et un style assez différent, Lauranne Oliva a achevé de nous séduire. Incontestablement elle sait incarner un rôle et lui donner une dimension personnelle profondément touchante, plutôt intériorisée, loin de certaines interprétations parfois caricaturales ou trop expressionnistes du rôle. Comme elle pare son chant de nombreuses couleurs et nuances, et démontre que l’on peut avoir une très belle projection sans jamais forcer sa voix et sa nature, on ne peut que lui prédire un bel avenir.
Malgré sa jeunesse, outre le rôle d’Ellen dans Lakmé à Nice très récemment, elle a déjà l’expérience du groupe I Gemelli d’Emiliano Gonzalez Toro avec lequel elle a successivement chanté Junon et la Fortune dans le Retour d’Ulysse dans sa patrie et Drusilla dans Le Couronnement de Poppée, lors des tournées et des enregistrements de la trilogie de Monteverdi récemment parus.
Livia Louis-Joseph-Dogué, jeune talent des Voix d’outre-mer, puissamment soutenue, dans la salle, par sa famille et ses amis, a séduit le cœur du public qui votait en ligne pendant les prestations. Elle possède, outre une très belle présence scénique, un beau timbre rond et fruité qui séduit tout particulièrement dans le très bel air « Tu che di gel sei cinta », chanté par Liu juste avant son suicide dans Turandot. L’on est d’avantage circonspect concernant sa Micaela dans Carmen, avec un « je dis que rien ne m’épouvante » doté de quelques aigus un peu stridents. Mais l’artiste a 20 ans et tout le temps nécessaire pour améliorer une technique déjà très prometteuse qui devrait la mener loin.
Le deuxième prix est logiquement attribué à l’un des deux seuls chanteurs masculins de la soirée, le ténor Léo Vermot-Desroches, qui fait preuve d’une grande maîtrise de son instrument particulièrement élégant dans le fameux et très bien interprété « Kleinzach » des Contes d’Hofmann d’Offenbach. Son incarnation du pauvre « pastore » de l’Arlesiana de Ciléa, sans démériter, est plus classique pour un air qui touche davantage quand il s’accompagne des nombreuses nuances que certains ténors arrivent à lui insuffler. La carrière de Vermot-Desroches, 31 ans, est déjà importante puisqu’il a déjà à son actif, quelques rôles de premier plan tels Rodolfo ou le Chevalier Des Grieux ou de second plan comme Don Ottavio (Don Giovanni), Jacquino (Fidelio) qui prouvent que son répertoire est d’ores et déjà large et varié. Et on l’écoute toujours avec grand plaisir !
C’est la mezzo-soprano Juliette Mey, 23 ans seulement, qui remporte le troisième prix, là aussi sans surprise.
Chacun des trois aurait d’ailleurs pu être classé premier. Juliette Mey était finaliste du concours Reine Élisabeth en 2023, remportant le sixième prix. Outre un timbre magnifique, elle possède une technique belcantiste redoutable de précisions dans les vocalises, les trilles, les aigus et suraigus et son choix d’opposer le style de la Cendrillon de Massenet aux virtuosités de celle de Rossini dans La Cenerentola avec un « Non piu mesta » époustouflant, était particulièrement séduisant et réussi. Juliette Mey avait déjà été une Angelina tout à la fois brillante et très touchante dans Une Cenerentola, version pour enfants donnés au Théâtre des Champs Élysée en 2022. Une belle artiste qui multiplie les récompenses et qu’on aura plaisir à entendre dans ses futurs rôles.
Les 4e, 5e et 6e prix sont remportés par la soprano Héloïse Poulet, la mezzo Lotte Verstaen et la soprano Emy Gazeilles, cette dernière ayant eu le redoutable privilège d’ouvrir la soirée avec Bellini. On saluera la belle présence sur scène d’Héloïse Poulet qui nous a donné un « Formons les plus brillants concerts » du Platée de Rameau, très jubilatoire et un émouvant air de Juliette « Amour, ranime mon courage » alliant une belle diction à une ligne de chant impeccable. Concernant Lotte Verstaen, on regrettera le choix d’un air de La Pucelle d’Orléans de Tchaïkovski en français ce qui dénature un peu l’œuvre, alors que La Favorite de Donizetti, était proposé en italien là où le français est particulièrement beau (« Ô mon Fernand »).
Ceux qui sont repartis bredouilles, n’ont pas démérité pour autant, notamment Linsey Coppens et Lila Dufy qui se sont fait l’une et l’autre remarquer par l’originalité de leurs choix, Les Huguenots pour l’une et le Coq d’Or pour l’autre. Tout comme l’autre ténor Valentin Thill légèrement mis en difficulté avec le redoutable air « Sur les monts les plus sauvages », extrait de Benvenuto Cellini de Berlioz, et choisissant l’air de Rinuccio dans Gianni Schicchi de Puccini, qui n’est sans doute pas celui qui convient le mieux à cet artiste à la voix déjà large et puissante.
Il faut saluer dans la réussite de la soirée, le rôle de l’orchestre philharmonique de Nice sous la direction attentive et efficace de Chloé Dufresne, assistante de Gustavo Dudamel à la tête de l’orchestre philharmonique de Los Angeles. Car il n’est pas simple d’accompagner les vingt performances de jeunes artistes si différents les uns des autres, dans des répertoires très variés qui vont de Rameau à Rimski-Korsakov, dans des styles et des formats très différents. Il s’agit tout à la fois d’avoir le clavecin pour le continuo des récitatifs dans le répertoire baroque, puis l’orchestre réduit des « arias » de la même époque, et de savoir passer ensuite par les grands orchestres puissants avec cuivres et multiples percussions de la fin du 19e siècle, le tout avec très peu de répétitions. Et l’on sent tout le travail précis de la cheffe ne perdant jamais de vue ses chanteurs, jetant sans cesse un rapide coup d’œil derrière elle pour veiller à chacune de leurs phrases musicales. Ils et elles n’ont pas forcément la même manière de reprendre leur souffle, même pour l’exécution du même air…
De tous les points de vue, l’orchestre a été parfait, ne couvrant jamais les chanteurs, mais ne donnant jamais l’impression non plus de réduire la voilure pour les besoins du genre.
Bonne chance à présent à tous les lauréats qui vont pouvoir participer à une tournée dans les opéras partenaires.
Palmarès du Concours Voix Nouvelles 2023 :
1er prix (et opéras suisses) : Lauranne Oliva
2e prix : Léo Vermot-Desroches
3e prix : Juliette Mey
4e prix : Héloïse Poulet
5e prix : Lotte Verstaen
6e prix : Emy Gazeilles
Prix du public : Livia Louis-Joseph-Dogué