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Champagne et valse pour une merveilleuse « Chauve-Souris » à l’Opéra de Rennes

par Helene Adam
01.02.2024

Voilà un bien agréable spectacle pour tous publics que celui proposé par l’Opéra de Rennes avec la reprise de cette Chauve-Souris (Die Fledermaus) dans la mise en scène très ludique et très élégante de Jean Lacornerie, et sous la direction musicale légère et enivrante de Claude Schnizler. Deux heures quinze de bonheur.

Quelle joie de jouer, chanter, danser !

Cette magnifique Fledermaus – l’une des plus belles vues au cours de ces dernières années –, avait dû retarder sa sortie sur scène avec public, du fait des restrictions COVID encore en cours en mai 2021.

Heureusement, comme précédemment pour La Dame Blanche, l’Opéra de Rennes avait intelligemment su s’adapter pour proposer malgré tout, ce spectacle flamboyant à la traditionnelle retransmission publique à la télévision et sur grand écran. Les artistes chantaient et jouaient alors dans une salle vide et nous pouvions découvrir le charme de ce spectacle conçu pour un large public, un spectacle qui fait mouche.

 

C’est Claude Schnitzler qui officie à la baguette. Ce familier du répertoire, comme de l’orchestre de Bretagne qu’il a largement contribué à élever au niveau remarquable actuel, était manifestement ému de diriger cette belle œuvre à Rennes. Il a été fêté par le public comme par les artistes et nous  a offert l’un des fleurons de l’art autrichien dans toute sa légèreté et sa subtilité loin des interprétations parfois un peu trop « pompier » que l’on peut entendre ici ou là. Et disons-le clairement, on apprécie particulièrement cette magnifique lecture. Les parties les plus dansantes sont rapides et rythmées, mais gardent toujours l’élégance racée de la valse et la nostalgie émouvante de ces périodes révolues.

Jean Lacornerie prend le parti des belles représentations picturales des bals masqués et de l’ambiance luxueuse et mystérieuse de Vienne entre son apogée et son déclin proche. Il nous conduit sur les chemins superficiels de la vie des aristocrates qui ne songeaient alors qu’à s’amuser sans voir les nuages s’amonceler au-dessus de leurs têtes, thème que traitera son homonyme Richard Strauss avec le talent que l’on sait. Pour Johann Strauss, en revanche, tout est prétexte à amusement et la longue plaisanterie qui conduit tous les protagonistes au bal masqué d’un improbable prince russe, Orlofsky, pour un jeu de séduction et d’enivrement au champagne, puis dans la prison où les vérités éclateront au grand jour, n’est jamais prise au sérieux.

Dès l’ouverture, menée de très belle main de maître, les thèmes musicaux, très dansants et souvent familiers, accompagnent la présentation des personnages un peu comme lors d’un générique. C’est en effet par le truchement d’un grand panneau troué de multiples fenêtres encadrées comme autant de tableaux dans une demeure princière que l’on voit apparaître tous les protagonistes et quelques mouvements de mains ou de vêtements qui symbolisent l’action à venir.

Les fenêtres-tableaux multiples, qui s’ouvrent et se ferment, servent de décor à tout l’acte 1 sans pour autant atténuer la vision des scènes d’introduction. Chacun, chacune joue dans sa fenêtre et l’on se rejoint pour les duos, à l’avant de la scène.

Et quand le grand panneau s’ouvre, ménageant d’abord une large fente avant de dévoiler le décor complet du salon d’Orlofsky tendu de rouge avec un grand escalier en son centre. Les marches permettront diverses prestations, celle du Prince lors de son arrivée, et surtout la très belle chanson hongroise de la fausse comtesse, Rosalinde déguisée. Tout est fait pour évoquer la splendeur des soirées de Vienne : les lumières de Kevin Briard, les décors et les costumes élégants – et même de toute beauté -, que l’on doit à Bruno de Lavenère, et l’ensemble de la chorégraphie orchestrée par Raphaël Cottin et Katia Krüger.

Les hommes portent des queues-de-pie et de longues capes évoquant la fameuse Chauve-Souris, les femmes ont des robes de style Dirndl pour soirées chics. Alfred, quant à lui, porte un Lederhosen.

 

Le spectateur pénètre sans difficulté dans ce monde un peu fou où, pour un soir et une nuit, les classes sociales vont joyeusement se mélanger, thème largement évoqué par la présence de jeunes soubrettes puis de danseuses en tutus, au bal du Prince, se mêlant, comme la jeune servante Adèle, au grand monde.

En préférant ne pas ménager d’entracte, la production permet également un continuum bienvenu qui évite de rompre le charme au milieu de la fête. Car ainsi, l’acte de la prison apparaît naturellement comme le prolongement d’une nuit trop arrosée qui s’est terminée par l’hymne au champagne, « Im Feuerstrom der Reben » et l’émouvant « Brüderlein ».

L’irrésistible narration d’Anne Girouard

Alors que les airs conservent la langue allemande de leur création originale, l’une des trouvailles les plus intéressantes de cette représentation se niche dans le choix de dialogues parlés en français saupoudrés d’une sorte de récit explicatif, le tout fort bien écrit avec un style élégant et drôle. Et pour cette narration, c’est Anne Girouard, comédienne de grand talent, qui se livre à un véritable numéro époustouflant et très efficace. L’actrice est connue des amateurs de séries grinçantes et humoristiques puisqu’elle a campé la Reine Guenièvre dans Kaamelott.

Elle est presque en permanence sur scène, éclairant les situations et surtout, exercice surprenant et très réussi, remplaçant les chanteurs dans tous les échanges parlés de l’opérette, modifiant sa voix, son accent, son style et virevoltant pour se rapprocher du protagoniste à qui elle prête sa voix, tandis que celui ou celle-ci mime les gestes correspondants. Elle incarne enfin le fameux Frosch, rôle parlé du gardien de prison (parfois très fastidieux) et son humour est tel qu’elle parvient à plusieurs reprises, lors de cet acte 3, à éclipser tout le reste de l’équipe en dialoguant directement avec le chef qu’elle appelle « Monsieur Claude » ou avec le percussionniste installé dans l’une des loges au- dessus de la scène. Le genre « opérette » autorise dans le cadre des parties non chantées, toute sorte d’improvisations qui sont devenues sources humoristiques de références à l’actualité et l’allusion de Frosch à « Gabriel Attal… non Eisenstein », était de circonstance.

Très beau travail d’équipe des chanteurs

L’ensemble des chanteurs solistes démontre l’efficacité d’un travail d’équipe autour de ce concept. Ils se prêtent volontiers et brillamment aux gestes mimés avant d’entonner leurs airs comme naturellement sans que l’on perçoive de ruptures de style. Et paradoxalement, le changement de langue ne choque pas non plus. Le tout est admirablement exécuté par toutes et tous, y compris le Chœur de chambre Mélisme(s) qui occupe une place de choix avec beaucoup de classe.

Si le Gabriel de Stephan Genz a montré le plus souvent une projection un peu limitée et quelques difficultés vocales, sans doute en légère méforme pour une prestation globalement agréable cependant, la Rosalinde de Eleonore Marguerre a été, à l’inverse, particulièrement brillante. La voix puissante, ronde et souple, au timbre fruité, se prête très bien au rôle de cette femme volontaire, à l’admirable csárdás, cette chanson hongroise traditionnelle, tandis que les « exploits » lyriques d’Alfred, le ténor amoureux, archétype du bellâtre à l’excessive présence vocale, admirablement campé par Miloš Bulajić, voix bien projetée, beau timbre, beaucoup d’humour sur scène notamment dans les choix des airs de l’acte 3. Il est amusant de constater d’ailleurs que Miloš Bulajić joue les « ténors d’opérette » très imbus de leur personne et de leur voix, alors que l’ensemble de l’équipe de cette œuvre démontre à quel point ce genre d’artiste n’a plus cours sur nos scènes, rendant l’art lyrique beaucoup plus adapté aux histoires qu’il raconte. Ainsi en est-il du véritable numéro comique auquel se livre le baryton Horst Lamnek, en irrésistible Franck, directeur de prison, à ce point ivre qu’il déclame dans un mélange de plusieurs langues absolument hilarant.

Quant à l’autre baryton, Thomas Tatzl, il campe un docteur Falke implacable dans sa vengeance, au timbre magnifique qui nous offre d’ailleurs un « Brüderlein » de toute beauté et étonne d’ailleurs par la puissance de sa projection et la tenue de sa ligne de chant. Orlofsky, c’est la mezzo-soprano allemande Stephanie Houtzeel, élégamment grimée en Prince de conte de fées, dont la première scène (« Ich Lade gern mit Gäste ein ») est celle d’un brillant prestidigitateur faisant apparaître et disparaître dans un jeu de bonneteau bluffant, bouteilles et verres avec une prestance confondante. La belle Adèle, la servante qui veut être actrice, est interprétée par la soprano Claire de Sévigné qui allie aisance scénique, jeunesse d’allure et beauté du chant pétillant et alerte, belles vocalises. Et l’on n’oubliera pas le rôle plus modeste, mais à la vis comica assurée, du ténor François Piolino en Blind.

L’opéra, un art populaire

La familiarité du contact avec un public visiblement très amoureux de son théâtre et qui ovationne longuement la représentation, participe d’une vision populaire de l’opéra que l’on ne peut qu’apprécier tant elle permet une vision différente d’un art parfois considéré comme inaccessible.

 

Pour les réservations, c’est ici.

 

Visuels : © Bruno Lavenère