« Cendrillon » à l’Opéra de Paris : un spectacle qui plaît

Cendrillon est une œuvre de maturité de Jules Massenet. Le compositeur a 57 ans et les Manon (1884) et Werther (1892) qui lui assureront la notoriété jusqu’aujourd’hui sont derrière lui. En héritier de Meyerbeer, de Berlioz, Gounod et même Bizet, il porte alors haut les couleurs de l’opéra français qu’il a redéfini avec sa patte propre, son sens de la mélodie, de la richesse orchestrale et du théâtre. Et cette Cendrillon est sa dernière œuvre avant l’entrée dans le tourmenté XXe siècle.

Comme Rossini avant lui, Massenet s’inspire donc du conte de Perrault, mais, avec Henri Cain, son librettiste, il y apporte une part de fantaisie, voire de mystère.  Ainsi, avant d’être Cendrillon, l’héroïne se nomme avant tout Lucette. Le Prince, lui, est paré de couleurs vocales presque adolescentes grâce à l’appropriation par une mezzo-soprano et non par un ténor. La marâtre (Madame de la Haltière) est bien évidemment présente, son mari la subit plus que tout autre et les demi-sœurs ne sont pas les pestes habituelles. Par ailleurs, avec le personnage de la fée, Massenet insère une dimension fantastique bien venue à ce tournant de siècles où la technologie garde sa part de magie. Enfin, au milieu des scènes convenues, Massenet en introduit une plus mystérieuse dans le royaume de la fée.

Le spectacle de l’Opéra de Paris combine quelques handicaps avec de beaux atouts

Tout d’abord, si l’on comprend bien les intentions de Mariame Clément qui préfère placer l’intrigue à l’époque de la création de l’opéra et privilégie un imposant décor « industriel » dans lequel Madame de la Haltière fabrique des Princesses à la chaîne, on y perd aussi en magie et surtout en poésie. Le décor du bal chez le Roi n’a guère imaginatif et « la forêt enchantée » transformée en entrepôt de cuves a définitivement abandonné l’émerveillement qu’elle doit produire.

Par ailleurs, alors que la diction est parfois perfectible, l’on peut s’étonner que l’Opéra de Paris n’ait pas pu trouver plus de chanteurs français pour la distribution de cette Cendrillon alors que la tâche ne paraissait pas insurmontable à réaliser.

Enfin, l’on doit se souvenir que Cendrillon a été composé pour une salle modeste – en l’occurrence l’écrin de l’Opéra-comique. Le produire sur la grande scène de Bastille n’est sûrement pas la meilleure idée qui soit, d’une part en raison de l’intrigue elle-même, d’autre part parce que les voix des chanteurs n’ont pas toujours ni la projection ni la présence nécessaires pour faire face à l’immensité de la salle.

C’est notamment le cas de la Cendrillon de Jeanine De Bique, certes adorable et souvent touchante avec sa jolie voix fruitée, mais dont l’ambitus et la projection sont franchement insuffisants ce soir. Elle nous réservera néanmoins de très beau moment d’émotion.
Pour connaître l’abattage dont elle peut être capable, Daniela Barcellona semble, elle, en retrait par rapport à ce qu’elle pourrait offrir- par exemple par un recours plus appuyé à ses graves – dans le rôle de la marâtre.
Quant au Prince charmant de Paula Murrilhy, il remplit son office sans séduire particulièrement.

Quoiqu’elle aussi pas totalement adaptée à la scène de Bastille, Caroline Wettergreen sait cependant user de toutes ses qualités (pyro)techniques pour le personnage de la fée. Et l’on salue le métier déjà appréciable des deux petites « jeunettes », Marine Chagnon et Emy Gazeilles (toutes deux membres de la troupe de l’Opéra de Paris) dans le rôle (parfois très physique) des sœurs.

De l’autre côté, les « doyens », Laurent Naouri en père très touchant, et Philipe Rouillon, en roi encore très présent et sonore, marque la production de leur appréciable expèrience.

Mais ce qui est finalement le plus important ce soir, c’est la direction affûtée de Keri-Lynn Wilson qui rend, dans toutes les scènes, un magnifique hommage à la richesse mélodique de Massenet.

L’on doit rappeler que pour cette reprise de Cendrillon, l’Opéra de Paris pratique des « prix très doux » et qu’en pleines vacances scolaires, on a pu croiser, pour ce spectacle familial, de nombreux jeunes dans les travées. Et si l’on a pu être un peu grognon sur certaines caractéristiques du spectacle, c’est bien un joyeux enthousiasme qui a prévalu au moment des saluts.