La reprise de l’élégante et classique version de l’opéra de Haendel, Ariodante par Robert Carsen est illuminée par les chanteuses Cecilia Molinari et Sabine Deviehle. 4h40 de musique et de danse baroques à leur apogée et dans leur jus le plus écossais, à l’Opéra Garnier.
Après une première repoussée par les grèves, l’opéra majeur de Haendel Ariodante (1735) a pu être repris dans son élégante mise en scène de Robert Carsen de 2023 avec un casting divin : Cecilia Molinari dans le rôle-titre et Sabine Deviehle qui sublime le rôle de Dalinda. A la direction de son ensemble Pygmalion, Thomas Pychon pousse joliment le baroque vers l’arabesque, tandis que les chorégraphies de Nicolas Paul font à la danse toute la place qu’elle mérite aux côtés des voix.
Ariodante aime la princesse Ginevra (Jacquelyn Stucker) qu’il doit épouser avec la bénédiction du roi et père de sa belle (Luca Tittoto). Mais le machiavelique Polinesso (le contre-ténor Christophe Dumaux) est amoureux de la princesse et abuse des sentiments qu’il inspire à Dalinda pour faire croire à Ariodante que sa douce le trompe…
Inspirée par l’intrigue ténue de l’opéra (qui a d’ailleurs disparu des salles européennes après son succès jusqu’aux années 1920), la mise en scène de Robert Carsen use et abuse des tissus écossais et des kilts, avec un sens de la mode et de la beauté, des verts et des bleutés, qui séduit sans rien révolutionner. Les robes sont toutes magnifiques, les antichambres, chambres et salles du trône se succèdent sans se ressembler et un rideau vert tombe pour isoler des personnages qui jouent leur vie en chantant. Et qui s’habillent et se déshabillent pendant leur très long arie da capo pour se donner un peu plus d’aplomb. Sauf pour le fameux « scherza infida » de onze minutes, où Cecilia Molinari se tient génialement aux murs dans la pénombre pour nous fendre le cœur et nous ravir les oreilles.
On est en Écosse et l’intrigue est mince, mais il y a un brin de Shakespeare dans la psychologie et la truculence que la mise en scène de Carsen sait mettre en avant. Les âmes traditionnelles seront heureuses de retrouver, dans un écrin de beauté, des rapports genrés immuables, même si la génialissime Sabine Deviehle sauve tout juste Dalinda de son rôle de cruche violentée. La présence de cette dernière sublime son second rôle, d’autant plus qu’elle joue aussi bien qu’elle chante (et chacun de ses airs est un enchantement, jusqu’au duo avec Ru Charlesworth « Dite spera, e son contento »). Dans les alcôves précieuses du palais Garnier, tandis que les scènes se suivent avec une précision millimétrée et que la lumière fait tout briller dans un clair-obscur mordoré, la musique, qui est en fait une sublime suite d’airs avec quelques chœurs et des chorégraphies folkloriques un brin modernisés, nous emprisonne de beauté pendant plus de quatre heures.
La musique baroque triomphe, de même que la pureté de l’amour dans une ovation pour les musien.ne.s et les chanteuses et chanteuses qui portent ce spectacle à la fois intime et désespéré, mais également sublime et doux. A voir et à entendre jusqu’au 12 octobre.
(c) Agathe Poupeney / OnP