La trentaine et un style très personnel qui lui vaut un incontestable succès lors de ses apparitions scéniques. Le jeune chanteur vénézuélien Samuel Mariño se revendique soprano et n’hésite pas à incarner toute sorte de rôles, ceux des castrats mais aussi ceux des sopranos. La voix est aigue, aérienne, un rien angélique, et il enregistre son deuxième CD solo, « Lumina », publié chez Decca. Tout n’est pas parfait mais l’ensemble est séduisant.
Dans ses entretiens, Samuel Mariño confie qu’il a été longtemps victime d’insultes homophobes quand il était adolescent, du fait d’une voix à la tessiture aigue qui ne « muait » pas. Jusqu’au jour où il a décidé de s’accepter tel qu’il est, et même d’assumer fièrement ses ambiguïtés de genre. Et c’est, dit-il, en écoutant Cecilia Bartoli qu’il lui est venu l’idée de chanter des airs de… sopranos, tout simplement.
Car Samuel Mariño n’a pas seulement la tessiture de ses consœurs, il en a aussi le style et les couleurs et s’il est souvent engagé dans des rôles écrits pour des castrats à l’instar des contre-ténors sopranistes comme lui, il se pique d’interpréter aussi des airs composés pour des rôles de soprano.
Il témoigne ainsi de ses premières expériences dans un chœur où il rejoignait la troupe des sopranos (enfants pour la plupart) avec l’ensemble Camerata Barroca à Caracas ; ce qui lui a permis de chanter sous la direction du chef emblématique du pays, le fondateur de El Sistema, Gustavo Dudamel. Par la suite, c’est la soprano américaine Barbara Bonney qui lui a servi de professeur et de mentor avant qu’il ne remporte, en 2017, le prix d’interprétation au concours international de chant de l’Opéra de Marseille et le prix du public du concours « Neue Stimmen ».
En 2021, le label du Château de Versailles enregistre plusieurs des prestations où il figure, dont un brillant Stabat Mater de Pergolèse écrit à l’origine pour deux castrats et qui réunit Samuel Mariño, sopraniste, et Filippo Mineccia, contre-ténor et le fameux concert des trois contre-ténors, Valer Sabadus s’ajoutant aux deux précédents.
Il se fait alors remarquer à nouveau dans quelques récitals donnés au Château de Versailles, parmi lesquels on citera le concours de virtuosité des contre-ténors, donné en mars 2023 dans la Galerie des Glaces, suivi d’un très médiatique récital soliste une semaine plus tard, où il donne des airs de Vivaldi, Mozart, Haendel, Porpora. Il récidive l’année suivante, en 2024, cette fois au salon Hercule de Versailles.
Enfin c’est à l’Opéra royal qu’il incarne Oberon dans Alcina de Haendel en mai 2025.
Decca lui propose un premier CD soliste dès 2022. Il publie alors Sopranista, recueil d’arias de Mozart (Cherubino), Gluck (Euridice), Cimarosa et Joseph Bologne, le Chevalier de Saint-Georges, album qui est nommé aux Opus Klassik dans les catégories Jeune talent de l’année.
Mariño n’est donc pas tout à fait un nouveau venu et il mérite un éclairage concernant ce dernier disque à nouveau sorti chez Decca et dont le titre phare, disponible dès juillet, marque incontestablement les esprits. On n’attend pas un contre-ténor sopraniste dans certains « tubes » de l’opéra classique, voire post-classique et pourtant, son incarnation de la « romance à la lune » de Rusalka, l’opéra de Dvorak, est divine. En première écoute aveugle, on se demande quelle est la soprano qui a un timbre aussi exquis, aussi cristallin qui évoquera irrésistiblement la délicieuse incarnation de Renée Fleming. Et quand on se précipite pour regarder qui est l’auteur de cet exploit, on rencontre la signature d’un homme…
Le chant est merveilleusement fluide et évoque parfaitement cette sirène slave amoureuse d’un Prince et qui se perdra en voulant devenir humaine.
Mariño pare son émission de très belles couleurs et la technique lyrique parait solidement acquise avec cette originalité de timbre qui ne le fait ressembler à personne. Cela tombe bien, c’est exactement ce qu’il recherche jusque dans cette volonté physique de cultiver son ambiguïté de genre.
On saluera de la même manière ses incursions dans divers répertoires dont celui, naturel pour cet amateur d’art baroque, de Haendel avec l’incontournable « Lascia ch’io pianga », extrait de Rinaldo, ou le largo de « Ombra mai fu » extrait de Serse qu’il prosodie magnifiquement, en rendant l’infini mystère de ces voix étranges qui sont le sel de l’opéra baroque.
On parlera à son propos d’une voix d’ange tant le cristal du timbre a cette profondeur et cette pureté qu’on imagine céleste. Les trilles sont délicats, les aigus longuement tenus, le legato divin et cet air si souvent chanté, trouve un nouvel interprète de premier ordre.
Toujours dans le répertoire lyrique, même si ce choix ne brille pas par l’originalité, il traite l’Ave Maria de Schubert avec le romantisme exquis qui sied à sa très belle voix tout comme l’Ave Maria de Gounod quelques plages plus loin, sans doute encore plus éthéré que le premier, créant une atmosphère d’une grande pureté et d’une infini légèreté de celles qui accompagnent les moments de recueillement surnaturelle.
Pour l’ensemble de ces airs dont nous saluons la belle facture et l’adéquation du sopraniste au répertoire choisi, Mariño est accompagné par le Covent Garden simphonia sous la direction de Ben Palmer, une formation de chambre qui lui apporte un soutien sans faille. Y compris pour l’étrange et fascinant « Baïlèro » , ce « chant d’Auvergne » composé à partir des musiques populaires du Cantal par Joseph Canteloube alors qu’il contemplait les beautés de Vic-sur-Cère « in situ » en quelque sorte.
L’orchestre de chambre sait d’ailleurs habilement modifier ses approches pour s’adapter au choix de l’artiste et le rythme lent de la mélodie évoque furieusement ces soirs paisibles bercés par le timbre doux de Mariño. Une réussite là encore.
Une série de morceaux sont simplement accompagnés par le piano de l’excellent Jonathan Ware, en particulier la mélodie de Franz Liszt, « Oh quand je dors » composée sur un poème de Victor Hugo, ou dans un autre genre, le célèbre « Amarilli, mia bella » de Giulio Caccini qui date de 1600, à l’aube de la musique lyrique, où l’on admire la beauté du trille final presque extatique.
Et dans la même veine du simple récital piano, l’éclectisme est au rendez-vous avec la chanson de son presque compatriote, Reynaldo Hahn, « A Chloris » (1916), délicieuse partie de son célèbre recueil de 100 mélodies que Mariño sculpte amoureusement.
Encore plus récent mais fort souvent chanté et traditionnel, « The last rose of summer » de Benjamin Britten sur un poème de Thomas Moore (1805) nous accompagne également dans le domaine du rêve aux connotations très irlandaises, Britten ayant valorisé magnifiquement l’essence même du chant gaëlique dans son recueil Moore Irish melodies dont cette dernière rose est extraite.
On sera plus réservé sur trois des titres dont l’exécution nous parait moins aboutie, voire discutable. Le fameux « hymne à l’amour » immortalisé par Edith Piaf n’est pas à la portée d’une voix aussi éthérée que celle de Mariño. Il faut une puissance, une gouaille, un style qu’il ne possède pas, d’autant plus que son français est plus que perfectible. Le jeune sopraniste s’est sans doute fait plaisir et on ne le lui reprochera pas malgré nos réticences face à cette interprétation trop lisse.
De la même manière ce Lied de l’opus 27 de Richard Strauss, « Morgen » n’est pas à proprement parler dans les cordes du sopraniste. Bien des interprétations ont été tentées par diverses voix de sopranos, de ténors, de barytons et bien qu’accompagné par le seul piano de Jonathan Ware, la voix ne « passe » pas avec suffisamment de couleurs et de sonorités pour rendre justice, surtout dans les aigus, à ce magnifique poème.
Enfin les vocalises de Rachmaninoff n’apportent rien à l’ensemble de l’album : elles sont bien chantées mais là aussi, souffrent d’un manque de couleurs du timbre qui les rend un tantinet monotones et presque convenues.
Rien de rédhibitoire dans ces nuances que nous exprimons là, pour un CD que nous recommandons pour la découverte d’un soprano d’un genre original et attachant.
Samuel Mariño – Oeuvres de Handel, Schubert, Dvořák, Liszt, Caccini, Gounod, Hahn, R. Strauss, Rachmaninoff.
Samuel Mariño – Jonathan Ware – Covent Garden Sinfonia – Ben Palmer.
Visuels : © Clichés du site de Decca