Das Rheingold (l’Or du Rhin) ouvre la quatrième édition du Ring mis en scène par Valentin Schwarz. Le Prologue de L’Anneau des Nibelungen n’offre aucune originalité, ni mystère, dans un traitement visuel d’une grande banalité. Musicalement, Simone Young dans la fosse, confirme un talent de narratrice par son traitement analytique de grande qualité du récit tout en aspérités et en surprise de cette introduction au Ring et le plateau vocal comporte quelques belles surprises dont la Erda impressionnante de Anna Kissjudit.
On dit souvent à Bayreuth ou ailleurs, qu’une mise en scène très controversée lors de sa création, finit par représenter un standard apprécié. Hier soir, c’était plutôt la banalité du propos qui apparaissait, et les faiblesses évidentes de toute direction d’acteur. Debout, assis, sur le canapé, le lit, le fauteuil, les chanteurs semblent souvent livrés à eux-mêmes, se concentrant sur ce qu’ils savent faire – interpréter par le chant – sans offrir de réelle dynamique théâtrale. On ne saurait leur en tenir rigueur tant la scénographie ne gêne ni n’aide le déroulé de la soirée.
La volonté affichée par Valentin Schwarz était de traiter le « Ring » comme une série mettant en scène « un drame familial moderne dans lequel le pouvoir, la cupidité et la perte sont racontés à travers des relations interpersonnelles plutôt que des symboles mythologiques ». En soi l’idée n’a rien de très original au sens où le « Ring » de Wagner représente en effet le récit d’une véritable « saga » sur plusieurs périodes, mettant en scène des personnages mythologiques dans certains comportements de leur quotidien de dieux ou de mortels, à l’instar des grandes références de la Grèce antique ou des légendes nordiques.
Mais, au traitement de la série, il faut un peu de fantaisie visuelle pour rendre compte de l’extraordinaire aventure racontée dans la Tétralogie, et l’on accepte difficilement le fait de faire de l’anneau en or tant convoité (et qui causera la perte de tous ceux qui le posséderont) un enfant mal élevé, rebelle et peu sympathique, semant le trouble et la terreur dans un institut de jeunes filles en rose, avant d’être maitrisé par Alberich, Wotan puis par les Géants comme il se doit.
L’idée du rapt n’était pas absurde en soi, mais elle n’est pas réellement traitée par la mise en scène qui n’en fait… rien de spécial sauf nous imposer quelques contresens au regard de ce qui est réellement chanté par les uns et les autres. Le reste de l’histoire est traitée de manière assez banale, voire conventionnelle, la transposition moderne n’ayant rien d’original puisque c’est la dominante actuelle des multiples mises en scène proposées récemment un peu partout, notamment en Allemagne.
Les décors sont également d’une grande banalité : le Rhin est un cours d’eau bordé par un paysage dans les tons ocres ; la montagne d’où Wotan et Fricka vont découvrir l’achèvement du château du Walhalla, construit pour eux par les Géants, est un appartement avec garage et mezzanine ; les profondeurs du Nibelheim où Alberich retient son frère Mime en esclavage, et où Wotan grâce aux ruses de Loge, parviendra à lui arracher l’anneau, est un simple hangar doté d’une sorte de pièce-cage aux murs transparents dans lequel se déchaine l’abominable enfant-anneau.
Tout ceci respire une certaine paresse intellectuelle, rien n’ayant vraiment été tenté pour rendre compte de la magie des différents lieux et le plus souvent, les effets contrastés de l’illustration musicale (orchestrale et vocale) ne correspondent que très lointainement à ce que l’on voit sur scène avec ces personnages figés et sans passion apparente malgré les efforts de chacun pour rendre vivant son rôle.
Il n’est pas certain, donc, que Schwarz et son œuvre, demeurent une référence à Bayreuth, certainement pas comme Chéreau et Castorf le furent (et le restent) malgré les gigantesques controverses qui ont entouré leurs « Premières ».
Très sonore et hypervitaminé, l’orchestre depuis la fosse fermée de Bayreuth, déploie une véritable déferlante musicale qui souligne à chaque mesure, l’importance des leitmotives des situations et des personnages, ces marques de fabrique wagnériennes particulièrement fascinantes dans le Ring. Comme pour un jeu de pistes, l’auditeur est invité à reconnaître chacun de ces thèmes qui se succèdent dans l’ordre ou le désordre, avec quelques variations suggérant le futur, et Simone Young sait à merveille traiter ce récit thématique en lui donnant relief, sens et progression dramatique.
Au début règne l’harmonie, et les Filles du Rhin chantent la beauté des lieux, l’unicité entre nature et être : leurs onomatopées dominées par le son « w » allemand (« v ») évoquent les vagues harmonieuses de l’eau tandis que cordes et cuivres roulent doucement sur les cailloux. C’est le thème d’Albérich, le nain monstrueux, contrefait et brûlant de désir sexuel, qui casse le rythme régulier de la musique pour introduire d’autres sonorités, et surtout des sons heurtés, indiquant le début du malheur et des malédictions diverses. Simone Young ne perd jamais le fil de ces thèmes qui vont alors se succéder tant au travers du chant des solistes étroitement entremêlé aux roulements des instruments très évocateurs, que dans l’exécution particulièrement séduisante des divers interludes qui séparent les différentes scènes.
La satisfaction de ce premier Prologue de l’été viendra également des nouveaux interprètes proposés pour quelques rôles-clé et qui ont à cœur de donner leur maximum et réussissent à rendre crédibles leurs emplois, malgré la banalité de la mise en scène.
Dans l’ordre d’apparition, on citera d’abord les trois belles ondines, gardiennes de l’Or du Rhin.
Autour de la malicieuse, lumineuse et aérienne Woglinde de Katharina Konradi – déjà remarquée sur la Colline (sacrée) en berger dans Tannhäuser -, les Wellgunde de Natalia Skrycka et Floßhilde de Marie Henriette Reinhold, forment une joyeuse équipe dont on perçoit fort bien l’insouciance de « l’avant » et la folle terreur de « l’après » et qui auront malgré tout le dernier mot de ce Prologue (et également beaucoup plus tard de l’ensemble de la Tétralogie).
Et c’est le baryton Islandais Olafur Sigurdarson qui prête son talent au nain Alberich qu’il chante et joue avec beaucoup de réalisme, grinçant, agressif, mais aussi suppliant et tentant de négocier en vain avec l’habile Loge. La voix est belle et bien projetée et le rôle lui va comme un gant.
En saluant la performance parfaite du baryton-basse Nicholas Brownlee dans le petit rôle de Donner, on se prend à regretter qu’il ne soit pas Wotan, rôle central qu’il illumine de son talent à Munich au même moment, pour la reprise de la production de Tobias Kratzer lors du festival d’été. On rappelle qu’il avait d’ailleurs brillamment remplacé dans ce rôle, le chanteur Iain Patterson, défaillant à Paris Bastille en janvier dernier.
Car le Wotan de Tomasz Konieczny, habitué du rôle, montre des signes de fatigue vocale (d’un soir de méforme sans doute) qui rendent sa prestation souvent hachée, voire à la limite d’un sprechgesang (parlé-chanté). Le timbre est souvent disgracieux et le chant inélégant, même si l’engagement demeure sans faille ce qui a conduit le public à le remercier chaleureusement de son courage et de son incontestable présence sur scène.
Côté basses, on est également remarquablement servis par les Fasolt de Patrick Zielke et Fafner de Tobias Kehrer, entendus la veille dans Die Meistersinger, respectivement en Hans Foltz et surtout, pour le deuxième, en remarquable veilleur de nuit. Tobias Kehrer est une basse profonde dont le volume est appréciable rapporté à la beauté d’un timbre très harmonieux.
Côté ténors, on remarque l’excellent Loge de Daniel Behle, qui virevolte, l’esprit manifestement toujours en éveil, apportant toutes les solutions à Wotan, et manipulant tout le monde avec une évidente joie. C’est aussi bien chanté que justement incarné. Dans des rôles moins importants à ce stade de l’histoire, le Mime de Ya-Chung Huang et le Froh de Mirko Roschkowski se montrent à la hauteur de la qualité attendue à Bayreuth.
Les Fricka de Christa Mayer et Freia de Christina Nilsson, sans démériter, se montrent parfois un peu en retrait dans leurs prestations respectives, notamment celle, importante de Fricka, l’épouse de Wotan, peut-être du fait de leur engagement assez long et éprouvant la veille dans Die Meistersinger.
Et c’est la splendide voix de contralto de Anna Kissjudit, qui remplit aisément et de manière impressionnante l’ensemble de la salle, dans un phrasé de rêve pour la seule apparition de Erda, la déesse-mère de la Terre qui prévient Wotan de la fin imminente des dieux.
Die Walküre, premier jour du Ring succèdera dès le lendemain à Das Rheingold, avec le retour de Michael Spyres, Siegmund très attendu après son très beau et très lumineux Walther dans Die Meistersinger.
À Bayreuth durant le festival, personne ne chôme !
Merci à tous les artistes de leur dévouement !
Das Rheingold de Richard Wagner, festival de Bayreuth, séance du 26 juillet 2025.
Visuel : © Enrico Nawrath.