Nous avions déjà pu apprécier la reprise de l’opéra de Puccini lors de la première, le 6 novembre avec Tamara Wilson. Le 22, c’était au tour d’Anna Pirozzi d’assurer le rôle-titre. Elle n’a pas déçu les attentes de ceux qui la suivent et l’apprécient depuis de nombreuses années. À la suite de Marco Armiliato (qui assurait les premières représentations), le jeune et charismatique chef Michele Spotti a enflammé la fosse d’orchestre. La glace de la princesse chinoise et le feu de l’orchestre ont été les fils conducteurs de la représentation du 22 novembre à l’Opéra Bastille.
Parmi les grandes voix actuelles, Anna Pirozzi a apporté toute son expérience de soprano lirico-spinto au rôle-titre en donnant fraîcheur et lumière marbrée à un rôle souvent confié à des sopranos dramatiques. L’émission vocale claire et la grande sonorité sont les qualités du chant de la soprano napolitaine, qualités déjà présentes à partir de la première note du célèbre « In questa reggia » qu’elle a chanté avec une grande force expressive et un phrasé acéré. Voix corsée et de grande projection, Pirozzi a émerveillé la Bastille avec son dialogue entre orchestre et chœur, ne manquant jamais de solidité technique et de volume.
Elle nous a offert une Turandot caractérisée par une autorité imposante et sonore mais scéniquement mesurée, certainement en lien avec la froideur de la princesse chinoise, une interprétation peut-être un peu trop rigide dans le final de l’opéra où un changement de couleur de la voix et des gestes scéniques s’imposent avec l’évolution des sentiments du personnage.
Jeune chef milanais (né en 1993), Michele Spotti peut déjà se vanter de nombreux succès dans des théâtres partout en Europe, des succès dus à des années d’intenses études et d’importantes expériences de formation (le grand chef Alberto Zedda l’invita comme son assistant à l’Opéra de Lyon en 2016). Il vient récemment d’être nommé directeur musical de l’Opéra de Marseille.
Geste élégant et charisme énergique sont les éléments qui caractérisent le style du chef. Sa direction énergique, vitale, pressante, mais pas frénétique, qui révèle une recherche constante du détail, a transformé l’orchestre de l’Opéra National de Paris en feu sacré de cette Turandot. Spotti utilise l’orchestre à son plein potentiel, comme un peintre avec sa palette de couleurs : les timbres des vents sont mélangés dans le complexe jeu des harmonies pucciniennes, les cordes sont à la fois de velours et enflammés, et, surtout, les percussions évoluent dans un rythme pressant mais jamais grossier. Ce fut donc un orchestre vital et puissant mais jamais envahissant, toujours en équilibre avec les solistes et le chœur, soutenu par le phrasé fluide et enchaîné du maestro italien.
À la fin du spectacle, les spectateurs sont sortis de la salle inondés par l’immense beauté et le subtil travail musical offert par les artistes dans l’écrin de la mise en scène magique toute en « ombres chinoises » de Wilson. Un noble hommage à Giacomo Puccini pour le centenaire de sa mort à venir en 2024 !
Visuel : © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris
Vidéo : Teatro Real 2023