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Amsterdam : une « Femme sans ombre » de très belle facture musicale

par Helene Adam
29.04.2025

Le chef d’œuvre féérique de Richard Strauss à l’Opéra d’Amsterdam est magnifiquement servi par un orchestre impressionnant, sous la direction inspirée de Marc Albrecht, et un excellent quintette de chanteurs-acteurs principaux, tandis que la mise en scène de Katie Mitchell qui se perd dans des détails illustratifs souvent parasites ne convainc pas toujours.

La magie d’une œuvre

« La femme sans ombre » – Die Frau ohne Schatten en langue originale allemande, appelée familièrement Frosch par les mélomanes – a un véritable club d’addicts qui courent volontiers d’une salle à l’autre dès que l’œuvre monumentale de Richard Strauss est programmée.

Opéra de la démesure vocale et instrumentale, Frosch est une très curieuse histoire qui manie la magie, le symbolisme et nombre d’images fortes dans un conte poétique écrit par Hugo von Hofmannstahl pour Richard Strauss.

Le poète et le musicien n’ont cessé d’échanger de longues lettres au fur et à mesure de la création de cet étrange objet qui fascine depuis des décennies tous ceux qui l’entendent pour la première fois et n’ont souvent, ensuite, de cesse d’y retourner pour plonger dans ce bain de sensations diverses et harmonieusement entremêlées.

En les relisant, on s’aperçoit d’ailleurs que les relations entre eux deux n’étaient pas toujours au beau fixe, comme si la gestation d’un tel chef-d’œuvre passait forcément par des pics de querelles sur des divergences sérieuses d’appréciation.

 

Une chose est sûre : le produit est fort beau et son succès presque constant au cours des décennies passées.

Ces dernières années, il ne manque pas d’occasions d’aller écouter l’œuvre en salle, y compris en France puisque successivement, l’Opéra de Lyon puis l’Opéra de Toulouse en ont proposé de très belles versions dont Cult a rendu compte avec enthousiasme.

Hofmannstahl avait conscience des complexités de son histoire qu’il a explicitées à plusieurs reprises, notamment à l’occasion de la Première en 1919. Il s’agit de mettre en scène (en paroles et en musique) un double monde – spirituel et réel – en respectant tout à la fois le message d’amour qui sous-tend le récit et les élans dramatiques insufflés par la double malédiction de départ prononcée par le patriarche, Keikobad, le roi du royaume des Esprits, via son messager : « L’impératrice n’a pas d’ombre, l’empereur sera pétrifié ».

Pour éviter le drame, l’impératrice devra à tout prix se trouver une ombre dans les trois jours et surtout aller la chercher elle-même dans le monde des Humains.

Cette ombre c’est sa part d’humanité dont la symbolique signifie la fécondité, qu’elle n’a pas acquise en se métamorphosant en gazelle, puis en femme par amour pour l’empereur. Ce dernier ne pense qu’à la chasse et la voit comme l’un de ses trophées sans la prendre en considération : de là vient la malédiction.

 

Sur terre, le couple du Teinturier Barak et de sa femme souffre d’une relation dominée par la générosité aveugle de Barak qui n’a que peu de considérations pour les désirs de sa femme et leur amour se défait.

C’est cette double métamorphose dans la recherche de l’harmonie des deux couples sans que, finalement, l’un ne se sacrifie pour l’autre, qui permet un final heureux et rédempteur. Les premières idées de Hugo de Hofmannstahl sont toutes reliées à ce chemin initiatique qui permettra les retrouvailles avec un monde d’harmonie permettant à l’amour de se réaliser avec sa prophétie traditionnelle (et ils eurent beaucoup d’enfants…). C’est la quête de deux femmes pour l’accomplissement de leurs désirs, leur « graal » étant symbolisé par l’ombre fécondatrice, celle qui assure un « futur ». Et sa référence est La Flûte enchantée de Mozart.

La musique comme fil conducteur des émotions

Même s’il évolue à plusieurs reprises dans la genèse de l’histoire, Hofmannstahl restera attaché à ce fil conducteur auquel Strauss a apporté sa part fondamentale et décisive en composant cette véritable symphonie pour orchestre, chœurs et voix solistes qui forment un tissu très riche où aucune « voix » ne s’impose durablement aux autres.

La composition d’harmoniques très complexes est étroitement liée au livret dans une osmose où l’art lyrique trouve tout son sens d’art complet. Chaque instrument de la riche instrumentation est traité comme tel et valorisé à tel ou tel moment du déroulé du récit, comme l’une des illustrations « naturelles » des sentiments exprimés, la peur, la menace, l’amour, l’humour même. Les clarinettes peuvent jouer fortissimo dans les aigus puis se voir confier des passages à l’inverse, très doux et presque irréels, tout comme le cor de basset ou les trombones qui vont tour à tour former de longs trémolos de style wagnérien puis jouer en sourdine de manière saisissante.

Dans Frosch, la musique et les paroles ne sont pas artificiellement séparables tant les trouvailles instrumentales et mélodiques de Strauss sont étroitement liées à l’évolution du récit et des sentiments/situations des personnages.

Ils et elles ont également de très fortes personnalités qui exigent de leurs interprètes des performances vocales hors norme, mais aussi d’acteurs exceptionnels.

 

On vient à Amsterdam pour l’acoustique exceptionnelle de l’auditorium, salle en semi-rotonde où la fosse est largement ouverte et où le chef dirige depuis une estrade qui le place quasiment au niveau des chanteurs.

Et il faut bien le dire, surtout quand il s’agit de celui qui a été durant des années le directeur musical de la formation, Marc Albrecht dirigeant tout son petit monde, est un spectacle à lui tout seul. Il passe allègrement, et avec beaucoup d’inspiration et de compréhension musicale de l’art de Strauss, des différents pupitres – qu’il a placés à sa manière, notamment les huit puissantes contrebasses au milieu du tissu de cordes, les cuivres et les bois répartis à cour et à jardin -, aux chœurs astucieusement installés hors scène à gauche et/puis à droite de l’orchestre, et aux chanteurs enfin, qui sont mis à rude épreuve entre un orchestre volontairement très sonore, et une mise en scène complexe qui exige de leur part un jeu théâtral permanent.

 

C’est une expérience unique qu’il faut absolument avoir fait avec ces premiers rangs quasiment partie prenante d’un orchestre qui s’est déployé au maximum et  le chef qui dirige presque au niveau des chanteurs. Le dispositif est, en quelque sorte, un anti-Bayreuth, ce lieu wagnérien où l’orchestre est totalement confiné dans une fosse aveugle.

Et il passe beaucoup de très grandes vibrations très positives lors d’une telle expérience où la musique vous submerge littéralement et peut se déployer et occuper tout le vaste espace sans la moindre contrainte défavorable, même si selon la place que l’on occupe, on ressentira un léger déséquilibre de « balance » entre les chœurs et l’orchestre notamment lors de l’acte 1.

Enfin, soulignons pour s’en féliciter le fait que le DNO fait le choix du respect d’une partition complète sans coupure, avec ses trois heures quinze de musique.

Des artistes lyriques très méritants

Ce dispositif orchestral ne facilite pas la tâche des artistes lyriques puisque, outre la difficulté inhérente à leur partition, ils doivent faire face et surmonter le véritable « mur » sonore placé devant eux. On leur pardonnera sans problème leurs très légères difficultés passagères pour les féliciter chaleureusement de leurs extraordinaires prestations.

Car l’on dit parfois que Frosch est difficile à monter parce qu’il faut au moins cinq chanteurs hors normes possédant l’art lyrique dramatique des wagnériens, notamment l’endurance sur la longueur, et la puissance de la voix pour passer les déferlements orchestraux qui s’entremêlent aux voix dans l’écriture musicale elle-même.

C’est incontestablement l’une des difficultés que les grandes maisons germaniques résolvent aisément tant elles ont, dans des troupes expérimentées, de réserves de tels talents. L’Opéra de Lyon avait été obligé d’adopter une version orchestrale réduite d’un tiers, du fait d’une fosse trop petite pour accueillir l’ensemble des instruments prévu par Strauss, mais avait trouvé des chanteurs de haut niveau dont nous avions salué les prestations, exception faite du ténor dont le rôle est court, mais très exigeant.

 

Amsterdam réussit l’exploit d’un sans-faute de ce point de vue.

En effet le Dutch National Opera (DNO) a réuni astucieusement divers talents, dont certains sont des habitués de leur rôle comme l’inusable, puissante et irrésistible Michaela Schuster qui prête sa voix autoritaire et décidée à la redoutable nourrice qui aide l’impératrice à accomplir son dessein, non sans arrière-pensées. Elle en brosse un portrait magistral et assume brillamment l’ensemble de sa prestation, n’accusant que très épisodiquement quelques très légères faiblesses sans importance. Rompue à la musicalité de Strauss, elle a été si souvent « Die Amme » ces dernières années, de Munich à Berlin, qu’on se réjouit de la retrouver encore fringante dans ce difficile rôle qui met la voix à rude épreuve. Elle domine sans la moindre difficulté l’orchestre même quand il donne le maximum de sa splendeur.

À l’inverse, l’étonnante soprano Aušrinė Stundytė faisait sa prise de rôle en teinturière au DNO. C’est un rôle redoutable à tous points de vue, souvent chanté par des wagnériennes de type Brünnhilde, capable de donner le maximum dans les montées crescendos concomitantes avec l’orchestre. Aušrinė Stundytė, que Cult a interviewée récemment, est inclassable, car elle n’a pas du tout ce profil historique et sa carrière s’est construite autour de rôles très atypiques du répertoire du vingtième siècle, tels que ceux de Lady Macbeth de Mzensk, L’affaire Makropoulos  ou Le joueur . Outre un très grand talent d’actrice, la soprano lituanienne a une voix très bien projetée, d’une grande souplesse, au style très bien adapté à la partie torturée de cette femme qui apparait au départ comme insatisfaite et même acariâtre et évoluera profondément au cours de son voyage initiatique. Aušrinė Stundytė brosse un portrait impressionnant de justesse de la teinturière, un portrait qui force l’empathie du spectateur lequel se réjouit tout naturellement que « les choses s’arrangent » finalement pour les deux femmes. Ses frustrations de femme de petite condition, l’indifférence de son brave teinturier d’époux qui ne comprend pas ses soucis, le bonheur artificiel qu’elle ressent lors des « cadeaux » de la nourrice, et surtout les terribles blessures qui vont les rapprocher elle et son mari, sont autant de traits pour lesquels la soprano sait varier son registre, nous touchant en plein cœur avec un naturel confondant.

 

Ce, d’autant plus facilement, que l’impératrice de son côté, et en parfait contraste, est Daniela Köhler, rêveuse, poétique, douce, mais aussi très décidée quand elle refuse finalement cette « ombre » tant désirée avec ce magistral « ich will nicht » qu’elle assène seule, alors que l’orchestre est suspendu et qu’elle prend l’ascendant sur tout le reste de l’équipe. La soprano fait ainsi des débuts remarqués au DNO et confirme son adéquation au rôle de l’impératrice qu’elle a déjà brillamment incarné à Cologne lors de la saison précédente.

 

Les rôles masculins ne sont pas en reste, puisque nous retrouvons avec plaisir le Barak si humain du baryton Josef Wagner qui nous avait tant émus déjà à Lyon dans le même rôle. D’allure athlétique et juvénile, il campe un Barak très séduisant qui allie la bonhommie de l’homme simple et généreux avec le courage de celui qui fait face aux épreuves pour retrouver sa femme. Belle voix, beau timbre, magnifiques monologues, il a marqué la représentation et profondément ému le public.

L’Empereur a un type d’emploi très différent puisqu’il n’a « que » trois interventions, trois monologues assez éprouvants par leur longueur et la difficulté de leur exécution. Le rôle convient très bien au ténor dramatique (mais très lyrique) AJ Glueckert, membre de l’ensemble de Francfort (même s’il faut noter une certaine fatigue en fin de parcours) que nous avons entendu à plusieurs reprises (et beaucoup apprécié) dans cette maison, dans des rôles tout aussi complexes. Il avait d’ailleurs déjà chanté le rôle à Cologne sous la direction de Marc Albrecht et confirme son interprétation très personnelle, très intériorisée et très séduisante. On aime en particulier son timbre très clair allié à une vaillance impressionnante, qui rend ce pauvre empereur (très malmené par la mise en scène) terriblement touchant dans son impuissance, coupable d’avoir séduit un « esprit » et de n’être pas capable d’honorer en quelque sorte, son contrat d’amant.

Les rôles secondaires sont très bien tenus également, à commencer par les trois frères, Le Borgne, le Manchot et le Bossu, campés avec humour par Michael Wilmering, Joe Chalmers et  Robert Lewis.

 Le Messager est chanté par la voix puissante du baryton-basse Sam Carl qui a la redoutable responsabilité d’ouvrir le bal à l’acte 1 après la merveilleuse ouverture, la voix du faucon de Aitana Sanz, celle d’en haut de Eva Kroon. Saluons aussi l’apparition du « Jungling » de Egor Zhuravskii sans oublier les enfants qu’ils chantent ou jouent.

Comment moderniser l’étrange histoire de la femme sans ombre ?

L’histoire racontée est tout à la fois intemporelle et archaïque. Il faut donc savoir en la modernisant, lui conserver son caractère de « conte », sa poésie et sa magie.

Et l’on ne peut que féliciter que des femmes comme Katie Mitchell – et avant elle, Katharina Thoma à Cologne fin 2023 pour le même opus –  accèdent de plus en plus souvent au poste traditionnellement très masculin de metteur en scène (de théâtre comme d’opéra) et qu’elles expriment clairement le désir de donner une lecture « avertie » en quelque sorte qui poussera chacun à réfléchir à la genèse de notre société dominée par le patriarcat depuis tant de siècles.

 

Katie Mitchell part d’une profonde conviction qu’elle exprime très clairement lors de l’entretien qu’elle a accordé à Cult à propos de ce projet : « On le transpose dans le présent comme on traine un arbre à travers le temps : avec des belles feuilles et branches musicales, mais aussi avec les racines toxiques de la misogynie de l’époque où il a été écrit. Si je ne m’occupe pas de la misogynie dans mon choix de mise en scène, je la cautionne ».

Son fil conducteur est donc celui de la dénonciation du patriarcat ancestral symbolisé par l’invisible Keykobad transformé en omniprésent symbole d’un pouvoir de type mafieux, qui tire toutes les ficelles, mi-animal (à tête de bouc) et mi-homme, une menace bien concrète rappelant avec son armée (à tête de loup ou d’ours) de sbires, la malédiction proférée dès les débuts de l’acte 1 par le faucon du roi (à tête de faucon). Et la réalisation ne manque pas d’intérêt !

Le monde des esprits, dont Keykobad est le roi, est un lieu imaginaire où la métamorphose est reine. Katie Mitchell recrée avec les décors de Naomi Dawson, cet univers étrange et onirique, renforcé par l’astucieuse séparation en deux niveaux de la scène, où l’un des deux plateaux se substitue à l’autre ou s’y juxtapose selon les nécessités du moment. Pour les actes 1 et 2, ceux de la souffrance, de la recherche d’une solution, de l’obsédant désir d’ombre, le « haut » représente un appartement assez cossu quoique très simple, éclairé par des fenêtres donnant sur l’extérieur, la chambre au grand lit étant situé à gauche tandis que la pièce à vivre est à droite. Le « bas » quant à lui est un logement plus banal, où la place des pièces est exactement inverse, qui ne possède pas de fenêtre, mais une cuisine en fond de scène séparée par une baie vitrée. Pour l’acte 3 où la volonté s’est clairement exprimée de l’impératrice de refuser l’odieux marchandage auquel son père voudrait qu’elle se prête, c’est le « bas » qui devient le sombre royaume des esprits, avec l’arrivée en bateau de l’impératrice et de la nourrice et les geôles où le couple de teinturiers se révéleront leur amour, tandis que le haut s’illumine pour la rédemption finale.

De réelles qualités théâtrales …

Outre un jeu d’éclairage de Bethany Gupwell très réussi, il faut aussi retenir de cette mise en scène, les qualités théâtrales de Katie Mitchell, excellente directrice d’acteurs qui donne à chacun, dans le cadre de son concept, un véritable rôle et de très nombreuses indications précises qui permettent de faciliter une incarnation crédible et convaincante.

Et ces précisions donnent de la chair au récit, rendant vivantes à peu près toutes les scènes, notamment dans l’antre de Barak, et renforçant les traits de la personnalité de chacun des personnages : les « frères » allant faire les courses, les enfants arrivant en masse pour la fête dans un charivari qu’elle valorise, l’impératrice qui reste en retrait gêné tandis que la nourrice baratine la teinturière, etc. Il serait trop long de citer chaque détail astucieux, parfois drôle, qui renforce chaque situation.

On saluera aussi les grands mouvements des « esprits » façon ralenti cinématographique et on en profitera pour souligner qu’il y a une étroite correspondance de rythme entre ces mouvements presque chorégraphiques et la musique de Strauss.

Mais un hyperréalisme assez peu poétique

Mais… car il y a un, mais, à savoir que trop de réalisme tue le choix volontairement symbolique des auteurs.

L’idée d’avoir modernisé les références en introduisant l’échographie ambulante pour montrer la stérilité /fécondité des deux femmes va un peu à l’encontre d’une lecture précise du sens du livret qui manie au contraire le symbole, celui de l’ombre, objet de la quête dans la plus pure tradition des récits initiatiques. Et cette couverture d’un vert éclatant qui montre le passage de l’une à l’autre dans une scène très médicalisée casse la poésie suggestive exprimée tant par la musique que par le livret (dont l’osmose est totale en permanence).

La maltraitance systématique dont est victime l’empereur n’a pas non plus beaucoup de sens et donne une vision caricaturale « passe-partout » de la menace de pétrification du chasseur incapable d’être un amant à part entière. Prétexte aussi à des scènes outrancières à notre sens, le traitement du « Jungling » (jeune homme) réduit une sorte de sextoy qui n’apportent pas grand-chose au propos de départ, voire la dénature, puisqu’il représente, dans l’œuvre, la tentation du désir féminin.

Le plus problématique c’est l’obsédante présence des « esprits » armés qu’on finit par oublier à la longue, même si on peine à en trouver le sens surtout dans une scénographie répétitive qui parasite l’action et annihile finalement l’idée fondamentale du libre arbitre des héros dans l’histoire.

À trop vouloir prouver, Katie Mitchell force tellement le trait, qu’elle prive l’œuvre de son étrange poésie surnaturelle.

Lors du final, on s’attendrait au fait que dans la félicité générale, ces miliciens retournent leurs armes contre leur chef suprême, mais ils éliminent la nourrice, le jeune homme, les trois frères de Barak, comme on se débarrasse de témoins gênants, ces derniers n’étaient d’ailleurs pas censés figurer dans cet acte.

Heureusement, dans un ultime retournement, une petite fille arrive à jardin en hauteur et parcours lentement le chemin complet allant de l’un des couples à l’autre, tandis que les chœurs d’enfants chantent « Y aurait-il donc une fête dont nous serions non seulement les invités secrets, mais aussi les hôtes ? ».

Et l’on regrette un peu qu’une idée par trop envahissante, et qui semble finalement relativiser toutes les autres, ne soit pas en phase avec la magnificence de la musique lors du dernier acte, véritable apothéose de l’art straussien.

On retiendra cependant avec une grande satisfaction, le plaisir d’avoir entendu une si belle interprétation musicale, instrumentale comme vocale, de ce chef d’œuvre.

Dutch National Opera & Ballet

Die Frau Ohne Schatten, du 23 avril au 10 mai.

 

Visuels : photos DNO 2025 © Hugo Thomassen pour la Une, photos DNO 2025 © Ruth Walz pour les autres.