Une jeune fille innocente manipulée par un officier américain sans scrupule dans le Japon de l’ère Meiji, la musique de Puccini, un casting de haut-vol… Mais un papillon qui ne s’envole pas.
Daniel Benoin se fait enseignant plutôt que metteur en scène dans cette reprise de l’œuvre de Puccini. Il nous en explique le livret, nous prenant par la main pour être sûr que nous ayons tout compris. Il place sa Butterfly dans un Japon post-Hiroshima. Alors, bien évidemment, loin de nous l’idée de penser qu’il ne faut pas interroger les œuvres en les malmenant parfois. Cependant, force est de constater que d’un point de vue strictement dramaturgique la proposition ne tient pas. Comment peut-on croire un seul instant que l’histoire de cette rencontre entre une jeune Japonaise et un officier américain soit possible après les bombes atomiques ? Les deux pays sont ennemis, fermés l’un à l’autre.
La scénographie crépusculaire pensée par Jean-Pierre Laporte fonctionne à plein dans son rôle dramaturgique : comment encore s’aimer dans un monde en ruines ? Comment parler d’amour, faire des promesses éternelles dans un univers où la fumée des incendies et la poussière des décombres saturent l’espace ? semblent être les questions que son décor nous pose.
Et de saturation il est surtout il est question dans les vidéos de Paolo Correia. Projetées en fond de scène, les images, que l’on croirait sorties d’une IA, viennent régulièrement illustrer le livret et les airs : Cio-Cio-San voit le sabre de son père ; celui-ci apparaît en train de se suicider avec l’objet dans une vidéo rouge ; son oncle le bonze s’énerve, son image envahit l’espace.
Il est dérangeant de ne pas laisser de libertés au public alors que justement toute l’œuvre pose la question d’être libre, de ne pas croire dans les leçons de l’autre, de se libérer de ce que l’on nous impose.
C’est le chef ukrainien Andriy Yurkevych qui est la baguette. Il s’amuse avec l’œuvre, ses références, ses envolées quitte à nous perdre, parfois, dans ses ruptures de direction. On le sent s’amuser à faire jouer les premières notes de l’hymne américain au premier acte par exemple. Mais très habitué à la musique symphonique, il semble parfois être moins à l’écoute des interprètes lyriques.
Ceux-ci sont techniquement à la hauteur de l’œuvre : Corinne Winters (que l’on hâte de retrouver dans Iphigénie à Aix cet été) est une Cio-Cio-San tout à la fois fragile et sûre du charme qu’elle opère sur Pinkerton. Mais elle peine à émouvoir, tout comme le Pinkerton d’Antonio Coriano. Ils s’exécutent, impressionnent par la clarté de leur timbre, leur puissance vocale. Leur duo à la fin de premier acte est en cela exemplaire. Il en va de même pour le reste de la distribution des solistes jusqu’au chœur. Chacun-e est présent-e à son rôle, en place, mais elles et eux-mêmes ne semblent plus croire à l’histoire racontée.
En somme, tout y est, mais rien ne se passe. Pas d’émotion, pas de frisson. La bombe atomique envoyée sur la ville de naissance de l’héroïne éponyme semble avoir tout emporté avec elle….
À l’Opéra de Nice-Côte d’Azur jusqu’au 12 mars.