Le nouvel opéra composé par Othman Louati s’inspire du film de Wim Wenders imaginant quelques anges frayant dans le monde berlinois d’avant la chute du Mur. Belle réussite pour une œuvre poétique et rêveuse.
Le film de Wim Wenders s’intitulait « der Himmel über Berlin » (le ciel au-dessus de Berlin) et mettrait en scène l’histoire de deux anges dans la ville alors divisée, qui donnaient à entendre les déchirements intérieurs des Humains. L’un des deux décidait finalement de renoncer au Ciel par amour pour une humaine.
Le film avait pris en France le titre « les ailes du désir » et c’est l’intitulé de l’opéra proposé pour quelques représentations à l’Opéra de Renne, composé par Othman Louati sur un livret de Gwendoline Soublin.
C’est la co(opéra)tive, l’association de six théâtres (trois scènes nationales et trois théâtres lyriques) qui est à l’origine du projet et de cette passionnante création sur une idée originale de Johanny Bert. Ces Ailes du désir se sont déjà produites dans plusieurs salles depuis septembre dernier. Elles arrivaient ce 14 mai dans le bel écrin de l’Opéra de Rennes.
Grégory Voillemet a réalisé une mise en scène audacieuse, portant le spectacle bien au-delà d’un seul genre artistique puisqu’il associe chanteurs d’opéra et marionnettes manipulées directement sur scène, vidéos et lumières reflétant l’atmosphère du Berlin des années 80 où se déroule l’histoire.
Le caractère pluridisciplinaire se reflète tout au long d’une représentation d’un peu plus d’une heure et demie qui mélange sans cesse les genres dans une suite de tableaux composés de petites scènes de la vie des humains représentés par de superbes marionnettes inspirées du théâtre japonais, très réalistes et émouvantes, fort bien manipulées par de talentueux marionnettistes (Gabriel Allée, Lucile Beaune, Enzo Dorr, Eirini Patoura, Alexandra Vuillet, Aitor Sanz Juanes) dans un ensemble tout à la fois très artisanal et de très grande qualité. Les décors peuvent être des vidéos projetées sur des écrans ou des rideaux bariolés très évocateurs du Mur.
Sept chanteurs (sonorisés) incarnent les différents personnages de cette étrange histoire de déambulation dans une ville dont les habitants souffrent : les deux anges, Damielle (Marie-Laure Garnier souveraine) et Cassiel (émouvant Romain Dayez), témoins des malheurs de l’humanité d’une part et quelques représentants typés des pauvres créatures urbaines.
L’ensemble est très bien interprété notamment par la puissante présence de Marie-Laure Garnier au rôle vocalement difficile, nécessitant notamment des écarts de notes extrêmes, des montées vers les aigus et des descentes vers les graves harmonieusement maitrisés, et dont la présence magnétique irradie le plateau.
La mezzo-soprano Camille Merckx est Marion, l’étrange et fascinante trapéziste dont Damielle, l’ange, tombera amoureux (se). Son très beau phrasé allié à un timbre rond et fruité, donne à la petite acrobate ce côté à la fois gouailleurs et décidé et cet air romantique qui fait mouche durant les déambulations des anges dans Berlin.
La soprano Shigeko Hata incarne tour à tour L’Enfant et la Mendiante avec beaucoup de grâce et un timbre pur dont les accents savent évoluer, d’abord sur un mode plutôt poétique et rêveur puis avec l’humour d’une représentation d’ancienne gloire de la scène déchue rêvant toujours d’être star du rock.
Mathilde Ortscheidt est La Mère sans insouciance avant d’être la Directrice du cirque, deux rôles qu’elle assume avec beaucoup de crédibilité. Benoit Rameau se livre à un bel exercice de contrastes absolus avec son Peter, ancien ange ayant décidé avant Damielle de rester sur terre pour se livrer, en évitant les rondes de policiers, à ces fameux tags qui ornent le Mur, un personnage positif et décidé, mais également le triste Aimant jamais aimé au bord du suicide. Quant à Ronan Nédélec au timbre riche et profond, il campe le Vieux rescapé, vieil homme perdu dans la ville puis l’Employé du cirque.
Autant d’achétypes qui sont d’abord représentés sous forme de marionnettes avant de prendre forme (et chant) humain dans une sorte de transformation très subtile.
Et c’est l’Ensemble Miroirs Étendus, composé de 13 instrumentistes sonorisés, représentant eux aussi la panoplie des sonorités et des timbres qui vont du piano à l’accordéon en passant par la guitare électrique et les percussions, qui assure l’accompagnement musical sous la direction de Fiona Monbet.
Le jeu des ombres et des lumières, des tristes réalités terrestres et des espoirs célestes, des paris fous et insensés pour réenchanter le monde et expérimenter le bonheur, sont autant de pistes de réflexions poétiques proposées par cette œuvre séduisante.
Adaptation « libre » mais fidèle à l’esprit du film, les Ailes du désir vous plongent dans une atmosphère rêveuse où l’on refait le monde pour le rendre plus beau.
Une riche idée !
photos © Christophe Raynaud-de-Lage