La salle d’audience de la Cité Internationale a assisté à un procès hors du commun : celui d’une étudiante (Adèle Gascuel), accusée de diffamation par le poète André Chénier (Éric Massé), revenu d’entre les morts, réveillé par le hashtag « Chénier-Culture-du-viol ».
Le procès fictif part d’un fait divers datant de 2017. Au programme de l’agrégation de lettres, le poème L’Oaristys, écrit peu avant la Révolution par le poète André Chénier, scène pastorale entre un berger et une bergère, fait débat. Dans ce poème, un berger fait des avances lourdes à une bergère, qui finit par lui céder physiquement, sans jamais pour autant avoir consenti explicitement à celui-ci. Le poème est présenté à l’agrégation comme une scène romantique, et perçu avec la lentille du XXIe siècle comme participant à la culture du viol.
À partir de ce fait divers, les chercheuses Bérénice Hamidi, autrice de Le viol, notre culture, Éditions du Croquant, 2025, et Gaëlle Marti, professeure de droit public à l’Université Lyon 3, ont vu un sujet de recherche important. En effet, cette affaire pose plusieurs questions, à la fois sur la condamnation d’une œuvre datant de plusieurs siècles, son impact réel dans le quotidien, et les retombées des accusations en ligne sur des plateformes comme X (anciennement Twitter), souvent utilisées comme tribunal populaire.
De là est née l’histoire du procès fictif. Sur la scène, à gauche, l’étudiante féministe ; à droite, l’auteur encore blanc poudré, à la mode de la Renaissance ; au centre, l’estrade des assesseuses ; et, derrière, dans le fond de la pièce, on discerne un corps de mannequin de vitrine, dont la position évoque une Marianne défendant le peuple.
Les deux parties s’affrontent, l’une s’appuyant sur les conséquences à long terme d’œuvres romantisant le « non-consentement », l’autre criant à la liberté d’expression et à l’art pour l’art. À la barre se succèdent des expertes et des universitaires, pour approfondir l’analyse d’un problème de société plus large : quels effets ont les romans, films et chansons de notre enfance sur l’imaginaire collectif ? Que faire des notions révélées par #MeToo et des questions qu’elles ont ouvertes ? Dans ces affaires, on invoque souvent la justice : que fait-elle réellement, que pourrait-elle faire, et que pouvons-nous changer nous-mêmes ?
Le public a lui-même en sa possession une copie du poème, afin que chacun puisse juger par lui-même de la problématique soulevée par la pièce. Et c’est là que se brise le quatrième mur, lorsque la fiction prend part à la réalité, puisque le jury de ce procès est sélectionné parmi le public.
Si la pièce est fictive, les enjeux qu’elle soulève sont bien réels et ancrés dans le moment présent plus que jamais. Quelques années après MeToo, l’omniprésence de la culture du viol dans le quotidien est plus que jamais mise en lumière. Et afin de transformer l’œuvre en objet d’étude, ce sont des membres du public, sélectionnés au préalable, qui montent sur scène pour délibérer du sort de la prévenue. C’est avec brio que la tension s’empare alors de la salle : à ce moment-là, on n’est plus spectateur, mais bel et bien acteur d’un fait de société.
Plus qu’une pièce de théâtre, c’est une expérience sociale brute que propose « Notre procès ».
Au Théâtre de la Cité jusqu’au samedi 29 novembre 2025, le spectacle sera ensuite présenté du 9 au 10 décembre 2025 au Théâtre du Point du Jour à Lyon.
Visuel : © Sullivan Arthurs