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18.11.2023 → 22.11.2023

Noetic, Faun, Boléro, les trois éléments de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet

par Nicolas Villodre
21.11.2023

Belle soirée que celle offerte par le Ballet du Grand théâtre de Genève associant trois œuvres datant des années dix du siècle en cours, les deux premières de Sidi Larbi Cherkaoui, la troisième cosignée par lui et par Damien Jalet. Le tout délicatement accompagné par l’Orchestre du la Suisse romande dirigé par Yannis Pouspourikas.

L’eau

Servi en ouverture de rideau, le ballet Noetic constituait le plat de résistance du programme, en raison de sa durée approchant l’heure, du nombre de danseurs mobilisés dans cette entreprise – une vingtaine à vue d’œil -, tous en tenue de gala ou, plus exactement, de cocktail dessinée par… Les Hommes, de la lumière éclatante de David Stokholm, de la musique néoclassique – ou postromantique – de Szymon Brzóska agrémentée de percussions traditionnelles japonaises et de notes de shamisen administrées par Shogo Yoshii, autorisé à partager la scène avec les danseurs, côté cour. La partition enrichie d’exquises vocalises émises par la soprane Ana Vieira Leita, arpentant la scène pour se situer côté jardin.

 

Après la gestique emberlificotée du début, la pièce est fascinante et lyrique jusqu’au bout. L’attention est retenue par ce qui est à ouïr et à voir : une suite de danses rigoureusement écrites; des enchaînements continus et fluides; une mise en valeur du corps de ballet en général et de plusieurs solistes en particulier. Le talentueux scénographe Antony Gormley a requis leur contribution pour édifier une arche de Noë aussi éphémère que leur danse, bâtir une  cathédrale inachevée à la Gaudi et réaliser à vue une sculpture abstraite du plus bel effet à l’aide d’une dizaine de tiges de carbone aussi souples et résistantes que les danseurs.

La terre

Dans Faun, Cherkaoui a remplacé le décor et les costumes de Bakst par un bois des aulnes hyperréaliste photographié ou vidéoté en haute définition, variant constamment de valeurs et de teintes suivant la volonté du scénographe Adam Carrée et un short large pour l’homme personnifiant la Bête (Juan Perez Cardona) et une mimi mini-robe pour la Belle (Yumi Aizawa) designés par Hussein Chalayan. Reste le Prélude à l’Après-midi d’un faune de Debussy, ornementé de deux airs de world music de tendance orientaliste dus à Nitin Sawhney, finement joués par l’orchestre.

 

Dans ce cadre naturaliste figuré par des moyens artificiels, le faune ne prend pas ses désirs pour des réalités, ne rêve plus en solitaire, ne s’adonne pas à quelque geste équivoque. Il forme un duo avec sa partenaire, un couple artistique, bien en chair, tout en muscle, pour de faux et pour de vrai. Le pas de deux est doux. La chorégraphie est claire et nette. Sans ambiguïté aucune. Sans geste déplacé. Après l’entracte, contrastant avec la production d’ensemble, nous est proposé d’assister à un spectacle intime,  relevé et sexy à la fois.

Le feu

Last but not least, si la partition de Ravel est respectée et merveilleusement restituée par l’orchestre suisse, la partie visuele du Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet n’a plus rien en commun avec la pantomime suggestive que devait être celle d’Ida Rubinstein ou avec la version lascive, tantôt féminine, tantôt masculine, signée Maurice Béjart. De ce dernier, nous avions apprécié jadis, dans un blockbuster de sa dernière période programmé à Garnier, le recours à un immense miroir pivotant descendu des cintres réfléchissant danseurs et spectateurs.

 

Le mur miroitant incliné à l’arrière-scène, composé de dix bandes réfléchissantes de type GiantMirror est réglé et éclairé à la perfection (on reconnaît le savoir-faire d’Urs Schönebaum). Il est fait de contrainte vertu. Sont évités bavures, déformations et flous. Au point que les danseurs se dédoublent par un étonnant trompe-l’œil, un truc à la Robert Houdin, Méliès, Busby Berkeley (cf. Wonder Bar, 1934), Nikolaïs (cf. Crucible, 1985), Béjart. Et avec eux les vaguelettes de cercles concentriques et excentriques dessinés par Marina Abramović (présente le soir de la première à Genève) vidéoprojetés au sol et renvoyés vers les ciels ou les cieux. Les costumes diaphanes de Riccardo Tisci aident à percevoir de loin les silhouettes sur les fonds noirs où elles évoluent gracieusement. Aux saluts, le miroir s’infléchit à plus de 45 degrés pour que soient acclamés comme il se doit les musiciens jusque-là confinés en leur fosse.

Visuel : Yumi Aizawa et Juan Perez Cardona, Faun, © Gregory Batardon