Marion jeune et vaillante, Élise plus âgée plus retenue, deux histoires se rencontrent dans un récit dont le corps est le cœur. Comme un paysage en miroir, ce sont deux réalités qui se répondent et se métissent dans la salle d‘attente d’un hôpital.
Elle est là, assise parmi nous dans un dispositif tri frontal calme et blanc dont le sol laisse voir des lignes de couleurs, de celles qui vous guident dans les établissements de santé. Elle, c’est Elise Vigier comédienne et auteur de Nageuse de l’extrême texte écrit à partir de deux aventures la sienne et celle de Marion Joffle. Pull, pantalon et sac à main Élise se fait discrète, réfléchie et attentive. Face à elle, dans son maillot de bain une pièce noir, installée sur un praticable façon bloc de glace, bonnet de bain sur la tête Marion explose de vie, tenace et déjà vainqueur ; prête à plonger dans l’eau glacée, elle huile efficacement son corps pour le protéger du froid. Rien de commun entre elles en apparence et pourtant, l’une comme l’autre ont glissé progressivement dans des univers où il ne s’agit pas de douter mais de tenir et d‘avancer : la traversée de la maladie pour l’une, la traversée de la manche à la nage pour l’autre.
Le récit est à la fois simple et réaliste. Il nous dit l’essentiel de la situation : on attend d’un côté, on nage de l’autre. La sobriété est indispensable à la description des états de corps et du mental qui va avec. Froid de la salle d’attente, froid de l’eau, froideur de la maladie ou froidure d’un matin normand, le parallèle s’immisce partout dans ces deux instants de vie à la fois semblables bien que différents. On sent le bord de mer, la couleur, les bateaux… La détermination rivée au corps Marion s’élance dans un interminable mouvement de bras. On ne rêve pas avec elle de la chambre froide qu’elle fréquente pour son entraînement mais on pressent le raidissement du corps, et l’on essaie de se détendre comme le tente Elise face au mal, le cancer, son cancer. L’inquiétude d’Elise passe par une description minutieuse des étapes, analyse, résultats, reconstruction. Épreuve choisie, épreuve subie, à chaque instant le corps éprouvé fait part de ses limites par la douleur mais aussi sa résistance. Qu’il soit malade ou sportif le corps oblige.
Aucun effet de mise en scène, le corps est exposé fragile, faible ou fort, victorieux mais faillible. Elise Vigier et Léna Bokobza – Brunet aux physiques si différents se rapprochent, se touchent ; leurs corps s’épaulent et se soutiennent. L’une comme l’autre savent leurs parler car le cancer les réunit. Marion nage pour la cause. La pièce se déroule sans aspérités. On reste attentifs au récit comme en flottaison sans trop savoir vers quel horizon nous dérivons. Aucune trace de drame ne se glisse dans ces vies, on ressent juste la vérité d’une étape au cours de laquelle il ne faut pas se perdre de vue. Dans la salle, tout est étrangement calme.
À voir à Théâtre Ouvert jusqu’au 28 septembre 2024, puis en tournée, à la Comédie de Caen du 7 au 9 octobre 24, et du 2 au 4 avril 25 au Théâtre du Point du Jour à Lyon, puis du 13 au 16 mai 25 au Le quai – CDN Angers…
Visuel : © Christophe Raynaud de Lage