Le 19 Juillet 2023, Médée et Jason, un spectacle mis en scène par Pierre Lebon, est joué à l’Opéra Comédie de Montpellier. L’ensemble «Les Surprises» est dirigé par Louis-Noël Bestion de Camboulas. Lucile Richardot incarne Médée.
Depuis la tragédie écrite par Euripide en 431 av J.C., le mythe de Médée a inspiré la peinture, la littérature, le théâtre, l’opéra. Après avoir volé la Toison d’Or Médée et Jason se réfugient auprès du roi Créon à Corinthe. Créon veut épouser Créuse dont il est amoureux. Après cette trahison la vengeance de Médée sera terrible.
Au centre de la Scène, le Navire Argo, plutôt délabré. Il ne pourra sûrement pas prendre la mer! Sur le coté, les musiciens en costume de marin tout rouge avec chapeaux et bretelles. Arcas, alias Pierre Lebon prend la parole. Il rappelle le mythe et le précise d’emblée: «Ces actions ne sont pas à imiter»! Le décor est planté: le spectacle peut commencer, un spectacle inclassable réunissant musique, chant, danse et théâtre.
La farce est omniprésente, tout au long du spectacle. Créon, le roi, marche à quatre pattes ou imite un chien. Médée parle à propos de Jason de son amour venteux et de son haleine fétide. Elle promet de rôtir la maîtresse de Jason. Des farces qui pourraient paraître excessives, grotesques, mais qui sont un parti pris historique. Celui de restituer les parodies d’opéras baroques qui étaient fréquentes à l’époque classique. Les opéras «Médée» de Marc-Antoine Charpentier et de Joseph-François Salomon ont fait l’objet de parodies. Ces parodies étaient moqueuses mais avaient aussi un rôle de promotion.
La dérision est reine ce soir. Elle déconstruit le mythe, allège la tragédie. Ainsi Créon se relève après un massage cardiaque et reprend la couronne que Jason lui avait déjà subtilisé. Cléone, la confidente de Créuse est habillée en femme de ménage. Médée ricane méchamment lors de la tentative de suicide totalement ridicule de Jason. Après avoir annoncé l’assassinat de ses deux fils, Médée, en criminelle endurcie, lance au père «Ne t’inquiète pas, ils ne sont pas de toi» Décapant!
La voix de Médée nous parvient de derrière l’Arco. Une voix envoûtante, captivante. La mezzo-soprano Lucile Richardot est impressionnante dans son incarnation de Médée. En costume noir cintré, le visage poudré mais avec des bas roses, elle représente le mal, le diable en personne. Elle est menaçante, furieuse, caustique. Ces états d’âmes sont soulignés par des jeux de lumière. Mais cette violence est aussi une cuirasse. Médée est une apatride, en perpétuel exil, condamnée par ses crimes passés commis pour Jason et trahie.
Jason est l’anti héros. Son costume est clownesque, il ne saura s’opposer aux desseins criminels de Médée, ni sauver ses enfants. Le jeu de Flannan Obé traduit bien cette faiblesse, cette lâcheté. Créon est pitoyable, son état de santé vraiment préoccupant. Il apparaît en brancard, en fauteuil roulant. Il tousse, tremble et manque de mourir. Mais tout change lorsqu’il chante. La voix de baryton de Mathieu Lécroart est puissante, profonde, magnifique. Créuse, en longue robe verte, incarne la féminité en danger. La belle voix de soprano d’Ingrid Perruche est mise en valeur dans ses duos avec Médée ou lorsqu’elle chante son rêve prémonitoire.
Elle est la trame du spectacle. Louis- Noël Bestion de Camboulas a réuni pour cela de nombreux extraits d’opéras baroques, de Marc-Antoine Charpentier, Joseph-François Salomon, Jean- Philippe Rameau, Jean-Baptiste Luly, entre autres … Une musique harmonieuse, volontiers paisible, structurante alors que règne souvent sur scène une agitation quelque peu chaotique. Une musique entraînante qui suscite les nombreuses danses qui sont une des richesses du spectacle. Les musiciens de l’ensemble Les Surprises font partie intégrante de la mise en scène, lorsqu’ils sont chassées par Médée en furie ou lorsqu’ils tentent de préparer l’Argo au départ.
La musique règne en maîtresse à la fin du spectacle, lorsque Jason se meurt de désespoir. Le chant de Cléone la confidente est magnifique, nous révélant la superbe voix de soprano d’Eugénie Lefebvre . Somptueux également le choeur final «Hélas» qui déplore la tragédie auquel succède une danse joyeuse comme si le rire et le drame était indissociables.
Une très belle fin pour un spectacle inattendu, étonnant, alliant musique et théâtre, le burlesque et la tragédie.
Visuel: 19-07 Opéra Comédie -Médée et Jason (c)Marc Ginot