Pour une représentation unique à la Philharmonie, le duo de chorégraphes de MazelFreten et le batteur et percussionniste Tiss Rodriguez se font face, s’affrontent et se conjuguent dans une communion du dialogue.
Le dispositif tri-frontal pose les bases de l’envie : un public qui ne doit être là que pour regarder et quelque chose qui va se passer dans l’arène d’une battle. La batterie est en avant-scène, mais Tiss Rodriguez est de dos, laissant tout le loisir d’admirer son corps se mouvoir. Ces cymbales tintent, tuées par la grosse caisse qui tonne. À l’ observer déployer ses poignets, ses coudes, ses épaules autant que son bassin et ses jambes, on se demande : quelle chorégraphie y a-t-il à jouer ? Est-ce de son mouvement à lui, assis, confiné derrière son instrument, qu’est née l’envie de cette conjugaison de leurs écritures et de leurs improvisations. La feuille de salle ne l’explicite pas en ces mots, mais le « oui » est une réponse qui nous semble couler de source.
MazelFreten remue depuis quelques années les plateaux de danse, mais la consécration médiatique survient à l’été 2024 lorsque la compagnie performe le tableau Obscurité devant des milliers de téléspectateurs lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris. Portée et co-fondée par Laura Defretin et Brandon Masele, elle défend leurs inspirations électro et hip hop à l’ère de la fusion des mouvements. Ce mot, fusion, est d’ailleurs au cœur du projet présenté, fusion de leurs danses, fusion de l’électro et de la batterie, fusion des langages rythmiques et mélodiques.
Lorsque Laura entre sur le plateau, elle amène avec elle la musique électronique qui vient peu à peu se conjuguer à la batterie. Tiss Rodriguez « a imaginé et enregistré une bande sonore avec une nappe et une mélodie de base, sur laquelle il développe sur scène des mélodies et rythmes saisis dans l’instant de sa présence, de la circulation des énergies avec les danseurs ». Fusion oui, et improvisation surtout, rodée de leurs parcours et pièces précédentes, de quelques choses calées à l’avance, mais une liberté de gestes, un peu comme en cuisine : la recette et les ingrédients sont là, mais on n’est pas à l’abri d’une petite sortie des lignes du cahier pour se fondre le long des ondes de choc émanant des instruments.
Pendant les quarante-cinq minutes, des motifs reviennent. Tourner autour de la batterie et s’étirer vers le ciel par exemple. La batterie qu’iels ont faite pivoter en fond de plateau, face à eux, à nous. Les bras et les dos vont chercher loin, il est question de tendre, s’étendre, mais toujours les lignes se brisent, comme nonchalantes, comme fatiguées par le poids du monde, toujours mises en relief par les ombres qui dansent en reflet sur le mur du fond. Tiss Rodriguez, maître de ses instruments, agit comme un ensorceleur, tantôt imputant aux corps les pulsations et l’agitation, tantôt les liquéfiant à les en faire gésir au sol. Tout est rond, tournant, un ronron désarçonnant alors que l’on sent la colère battre et gronder dans leurs viscères et que la transe électro-psyché convoque les images d’une jeunesse qui se balancent violemment dans les raves.
Découpée en quelques tableaux avec la musique correspondante, la prestation laisse grand place au contact et aux regards. Un face à face de deux pantins, une plongée sous-marine, un sol où les glissés-chassés-poussés, tout à fait affaissés, invitent à regarder comment on demande l’aide sans accepter de la saisir. Puis la battle, la vraie, celle promise par le dispositif, un contre une, chacun•e dans son puits de lumière, avec le surgissement du voguing et du jazz, des épaules qui se muent sans bras, et une confrontation finale, à Tiss Rodriguez et sa batterie, au déploiement de tout son art de faire rugir et fondre ses cymbales et ses caisses, une confrontation qui mène à un unisson et une communion avec le public.