Il y a chez Genet une perversion et un tropisme pour le crasseux. Mathieu Touzé élégant et brillant metteur en scène en restitue avec son complice Yuming Hey l’univers et la pensée sans sombrer dans les noirs penchants de l’auteur interlope. C’est drôle et grinçant.
Genet est l’écrivain de l’humiliation. Il entretient une haine radicale pour les possédants, les bourgeois, les oppresseurs ou réputés tels. Délinquant, toxico, biberonné au communisme, sa pensée radicale se perd souvent dans des méandres parfois délirants. Il se prend pour un Caïn biblique, se nourrit d’une admiration pour Hitler et d’un dégoût pour les Juifs. Son écriture est donc à manipuler avec soin. Mathieu Touzé, dans une belle maturité, nous offre toute la poésie fascinée par le mal cependant que merveilleuse. Le metteur en scène plante les mots de Jean Genet dans le 21e siécle. Si Les bonnes est un bonheur de satire sociale et un délire paranoïaque, Mathieu Touzé en construit un joyeux spectacle anti-bourgeois et anarchiste pour les amoureux de théâtre.
Chaque soir, Claire et Solange, deux sœurs, deux bonnes, jouent à la patronne, inventent des histoires, se fardent, s’habillent pour échapper à la trivialité de leur quotidien. Elles insufflent une dose de théâtralité, de faux semblant dans un univers rigide. Leur folie se constitue en un exutoire salvateur. Mais cette douce folie ne résistera pas au pire des désespoirs.
La pièce se veut une rupture de la réalité, une invitation à l’imaginaire, et à la poésie. Une scénographie vaporeuse et aérienne, nous invite dans la psyché habitée des deux bonnes. Élisabeth Mazev et Stéphanie Pasquet sont épatantes. Le duo fonctionne à merveille. Notre bonheur se suffira volontiers de leur magnifique performance ; cerise sur le gâteau, l’immense Yuming Hey offre aux spectateurices un moment de théâtre inouï de maitrise et d’intelligence. Il est inoubliable à créer l’irréel. Et à nous faire rire.
Les bonnes de Mathieu Touzé est une réussite qui enthousiasme tous les publics.
Les Bonnes de Jean Genet © Éditions Gallimard
Assistants à la mise en scène Hélène Thil et Thibaut Madani Scénographie et costumes Mathieu Touzé
Avec Yuming Hey, Elizabeth Mazev, Stéphanie Pasquet et Thomas Dutay
Durée 1h35
Crédit photo © Christophe Raynaud de Lage