Grâce à son talent, Leïla Ka remplit les salles jusqu’à la fin de l’année, de Grasse à Suresnes, en passant par Arles, Châlons-en-Champagne, Marseille, Chalon-su-Saône, Aix, Château-Arnoux, Gap, Briançon, Cherbourg, Angoulême, Château-Gontier… et Cavaillon. Elle est un nom à retenir, aucun doute là-dessus.
Cherchez l’erreur : le titre de l’opus de la danseuse émergée, Maldonne, sonne comme Madone et a une connotation fautive. Cinq danseuses debout, en contrejour, font face au public de tous âges, sexes et conditions venu les contempler. La maldonne est au poker une mauvaise distribution – on dit misdeal à Vegas. A priori, ce n’est pas le cas ce soir, puisque les interprètes se produiront sans la moindre anicroche, une heure durant, en quittant par intermittence le plateau, le temps de se changer – peut-être de se rafraîchir ou de se pomponner. Toujours à ce jeu d’argent dérivé, dit-on, de l’as nas iranien ou du brelan hexagonal, une carte flashée, vue subrepticement lors de la distribution, vaut sanction et reprise de la partie au point de départ.
Or c’est la répétition qui joue à plein dans la nouvelle pièce de Leïla Ka et la sensation d’avoir entraperçu des dos dénudés, de silhouettes féminines profilées en ombres chinoises comme dans un rêve. Nous avons noté ici et là quelque référence au théâtre dansé ou à la danse théâtralisée d’une Pina Bausch – cf. ces mouvements simples d’apparence, ces « petits gestes » agrémentés de mignardises, de minauderies, d’afféteries – et, bien sûr, un clin d’œil à Maguy Marin chez qui, comme elle le déclare dans Tous danseurs, Leïla fit ses premiers pas dans le monde du spectacle. L’œuvre à laquelle on pense de cette dernière est Singspiele (2014) qui entremêle chant à cappella et déshabillage et rhabillage façon Fregoli, avec des costumes ou défroques bien visibles, accrochés à des cintres.
Si l’Histoire, avec un grand « h », peut, d’après Marx, se répéter, la première fois comme une tragédie et la seconde comme une farce, la petite histoire ou la thématique de Maldonne tient en quelques mots que résume la feuille de salle : « la chorégraphie dévoile et habille, dans tous les sens du terme, les fragilités, les révoltes et les identités multiples portées par cinq interprètes femmes ». Se succèdent des phrases gestuelles – parfois des bouts de phrases raccordées sous forme de boucles -, des mouvements à l’unisson, des décalages, des accélérés, des gels d’action, des moments de sérénité, de quiétude, de jouissance. Et de provocation…
Le tout accompagné de sons diffusés à fond la caisse et de chansons de différents styles : « Je suis malade » (1973) de Serge Lama et Alice Dona, dans la version tonitruante d’une chanteuse à voix; « Dance Me to the End of Love » (1984) de Leonard Cohen qui, gestes chorégraphiques à l’appui, rappelle la chenille postmoderne de la Spanish Dance (1973) de Trisha Brown sur le tube country de Gordon Lightfoot, « In the Early Mroning Rain » (1966) ; des airs baroques profanes et sacrés comme au bon vieux temps d’Hervieu et Montalvo… Sans oublier le final de rigueur, festif, débridé, endiablé. Comique, comme il se doit, et techno. Une danse, cette fois, en solitaire, comme le bop, le jerk, le disco.
Visuel : Maldonne, avec Jennifer Dubreuil Houthemann, Jane Fournier Dumet, Leïla Ka, Zoé Lakhnati et Jade Logmo © Nora Houguenade