L’extase multimédia avec « Edmonde et autres saint.e.s »

« Edmonde », c’est d’abord le plaisir d’une fin d’après-midi dans la belle salle du Regard du Cygne, partenaire avec l’Étoile du Nord, l’Atelier de Paris et Micadanse de ces quatre journées de programmation d’artistes de longues dates soutenus. Le clair-obscur de cette salle, ses gradins confortables offre un écrin saisissant à la performance de Christine Armanger, une quarantaine de minutes durant lesquelles elle apparaît d’abord sur scène, nue, à demi nue, se faufilant entre l’ombre et la lumière pour commencer à « figurer » dans son mystère et en même temps sa crudité. C’est alors tout un jeu de bougie que l’on allume et que l’on souffle, accompagné de brèves chorégraphies toujours inspirées, très justes dans leur précision et leur modestie. À l’écran, ensuite, sur sa chaine Yoube, c’est Christine habillée en Edmonde qui propose des tutoriels pour refaire à la maison le martyre de saints et surtout de saintes, sur des textes ironiques, mais dont les ressorts comiques apparaissent dans un après-coup, surplombant de loin le dispositif de « jeu » avec la souffrance, le parfum de masochisme que cette jeune femme entretient avec son Dieu.

Prier, prier, prier, dit-elle, avant de se faire plaisir avec du bondage et quelques scarifications rituelles du meilleur effet. La musique – un orgue, des chœurs ou une guitare noisy – est parfaitement choisie et elle permet d’engager le corps dans la chorégraphie, en l’occurrence ce à quoi peut ressembler une danse lorsqu’elle est littéralement écrasée par une force spirituelle qui la dépasse. À la danse « classique » de ballet et de son mouvement d’élévation, de verticalité et de lumière, Armange oppose une mécanique de purification qui prend le parti de l’obscurité pour en révéler la part trouble, infra-gravitaire, l’insistance à jouir, dans le secret et le sous-entendu.  L’esthétique cabaret fait de détournements et de costumes suggestifs, d’ordinaire si platement ornemental, apporte ici une ressource supplémentaire à la performance qui « travaille » sur le corps féminin et finalement travaille sur sa vérité. De ce qu’il est, en soi, et en même temps en quoi il se transforme lorsqu’il est habillé, déshabillé ou drapé. Le visage, le corps d’Armange ne se laisse pas photographier pour devenir une image, une icône ou une contre-icône. Vérité scénographique que l’on retrouve -in fine- sur la page Youtube d’Edmonde où des commentaires réels (?) nous rebasculent dans notre quotidien de réseaux sociaux. Des paroles libres, ordurières et bien pensantes qui pèsent – presque physiquement- sur les élucubrations d’Edmonde et de ses performances corporelles inspirées du martyre des saints. On en sort troublés et en même temps face à l’évidence.

La martyrologie numérique a un bel avenir devant elle.