Pour son final à l’étoile du Nord, le festival Jerk Off offrait, comme promis depuis les origines, une visibilité aux esthétiques queer et fête ses 18 ans. Preuve s’il en est que l’on peut être adultes sans être sages… et c’est tant mieux !
La soirée concoctée par le directeur du festival, Bruno Peguy, permet de saisir un éventail des corps qui souffrent, jouissent, crient leur(s) amour(s) ou leur colère.
Dès les premières secondes le décor est planté. Dans une vidéo tournée par une caméra posée sur le front de la performeuse, nous escaladons le col du Doran. L’image est brute, donne une sensation de malaise. Mais tout s’apaise quand Romy Alizée prend la parole, tantôt par le chant tantôt par la lecture, pour dire son récit de cette difficile randonnée. Elle nous confie devoir refaire ce chemin sur lequel elle a chuté des années auparavant. La confidence se fait de plus en plus intime et drôle, quand elle raconte l’effet de la montagne sur son corps : celui d’une montée de désir irrépressible qui trempe son legging rose de cyprine. La marche continue et mène jusqu’à une rencontre amoureuse presque surnaturelle. Les chansons passent de la comédie musicale légère à une musique plus rock, plus sombre. Accompagnée par Plus petit que trois (musique enregistrée, guitare et flûte en direct), la jeune autrice et photographe nous prend par la main sans jamais nous lâcher dans cette Sainte randonnée de haut vol.
Dans une (trop) courte performance tant elle est jubilatoire, Nadège Piton et Estelle Benazet Heugenhauser jouent des façons de se dévêtir. Les deux arrivent par la salle, vêtues l’une d’un imper noir, l’autre argenté. Elles montent sur scène au son de râles de plaisir. Pendant leur face à face, on entendra le passionnant Ejaculats et Capital où Black Hole (nom de scène d’Estelle Benazet Heugenhauser) partage l’histoire d’un corps qui mène de paire menstruation et écriture. Despair quant à elle se dénude dans un déhanché sensuel d’une très grande beauté. Elle mêle alors rires et cris. Le duo émeut par sa connivence qui nous offre la liberté de les rejoindre.
Ce sont ces mots que le performeur Andrea Givanovitch peint dès le début du spectacle en noir sur un tableau blanc. Délimité au sol par des néons blancs, posé sur une chaise, le texte se fait ex-voto, autel votif ou pierre tombale. Le ton est donné. Il s’agira de nous dire ces corps queer qu’une société hétéro-normative refuse de voir. La danse se fait saccadée, le corps est comme démembré, décomposé. On reconnait ici et là tout un vocabulaire des dancefloors chers à la communauté gay, mais aussi celui des ballrooms des années 80 et 90. Le corps queer est ici donné à voir dans une violence certes, mais aussi avec beaucoup d’humour comme lorsque le danseur casse son poignet et nous sourit un instant comme pour dire qu’il (se) joue des codes. La performance est également nourrie d’un très beau poème de Danez Smith que l’interprète dit au sol, dans une posture qui n’est pas sans rappeler celle d’un corps passé à tabac et laissé pour mort par terre. Dans la dernière partie, le danseur nu se recouvre d’une peinture verte qui nie tout érotisme pour ne garder que la beauté de sa bizarrerie. À la toute fin, Andrea Givanovitch revient saluer, visiblement ému… comme nous.
Visuel : © Bernard Bousquet