Consumée toute sa vie par une passion dévorante pour R., une femme livre sa confession ultime dans une lettre bouleversante. Le public entend chaque mot, chaque respiration. Mais a-t-elle vraiment écrit cette lettre ?
Tu dois tout savoir de ma vie, qui a toujours été à toi et dont tu n’as jamais rien su. Tel est l’ultime projet de l’inconnue. Alors qu’elle va mourir, elle s’adresse à R, célèbre romancier viennois. Comme souvent chez Zweig, la lettre-testament et le récit s’emboîtent pour nous rendre témoins de la passion de cette femme. L’entuilage augmente le déraisonnable et rend compte du ratage radical. Tout est dit sans que rien ne s’entende. De ses treize ans jusqu’à son dernier souffle, dans le silence, cette femme s’est abîmée, perdue, niée. Par amour. Mais qu’est-ce qu’un amour qui n’a pour écho que le silence ?
Cet amour absolu se loge dans la plus secrète intimité. En cela, il devient obsession. L’inconnue, femme sans visage, sans nom, aurait existé dans son regard à lui. Mais il ne la voit pas. Sous nos yeux, elle semble étrange. Jacques Copeau, immense metteur en scène et dramaturge, clamait qu’une bonne mise en scène était une mise en scène qui ne se voit pas. Ce qu’il s’agit de voir selon lui était les mots. S’il nous fallait savoir si Copeau avait raison, si nous devions décider si sa doctrine était efficace, cette version de Lettre d’une inconnue imaginée par William Mesguich établit une magnifique preuve. Les mots s’agitent devant nous, nous vivons chaque phrase. La prouesse doit beaucoup à la comédienne, formidable et bouleversante Betty Pelissou. Grâce à peu, à de l’invisible, les mots sont entendus, et ils sont riches de leur équivoque, de leur étrangeté. La mise en scène de Mesguich ne se voit pas, elle en est sacrément efficace.
Le texte de Zweig est magnifié. Qui est cette inconnue ? A-t-elle envoyé cette lettre ? L’a-t-elle seulement écrite ? A-t-elle aimé ? A-t-elle halluciné cet amour ? Chacun partira avec son intime conviction. Épatant.
Lettre d’une inconnue
Auteur : Stefan Zweig
Artistes : Betty Pelissou
Metteur en scène : William Mesguich
Crédit Photo © Cie Poqueline