Limoges se pare à nouveau des couleurs des Francophonies et met à l’honneur cet automne les locuteurs et locutrices du Nord : Canada, Belgique, Suisse ou Luxembourg…
Des rayures blanc et noir un peu partout dans Limoges : c’est officiel, les Zébrures d’automne sont de retour. Entre spectacles, concerts et débats, les festivalier.es peuvent approfondir leur connaissance « des » français.
« Les » français, car c’est bien cette pluralité de la langue française qu’il s’agit de célébrer, comme le montre le partenariat avec la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (ou, acronyme imprononçable, la DGLFLF).
Le Luxembourg apparaît grâce à la pièce Léa et la théorie des systèmes complexes, de Ian de Toffoli, sur le marché pétrolier dans l’économie du pays. Côté canadien, Convictions, de Lara Arabian, met en scène une adolescente, Zara, dont le corps est régulièrement possédé par une sainte. Zara se voit alors pourvue d’une mission : apporter au monde la bonne parole. Ses parents, des Canadiens d’origine libanaise qui font profession de leur athéisme, paraissent dans un premier décontenancés. Jusqu’à ce que le père, un community manager au chômage, y voie une formidable opportunité.
La pièce aborde ainsi des thèmes aussi divers que le capitalisme et les réseaux sociaux, mais aussi le déracinement de ces parents immigrés qui ont peut-être voulu couper trop tôt les ponts avec leur religion d’origine. Cette surenchère thématique nuit toutefois à la pièce qui, en abordant trop de sujets, se perd un peu en cours de route.
Autre pièce canadienne, Zoé, d’Olivier Choinière, est mise en scène par Hassane Kassi Kouyaté, le directeur des Franco. Ce spectacle nous présente le cours de philo d’une jeune étudiante, Zoé. Ses condisciples, pour contester l’inertie gouvernementale sur les questions climatiques, occupent la fac et empêchent les cours d’avoir lieu. Fille d’avocats, Zoé décide alors d’ester en justice et obtient du juge une injonction qui contraint les professeur.es à reprendre les cours.
L’échange est tout d’abord houleux, puis aborde des questions telles que le libre arbitre, les déterminismes sociaux et la tension entre l’individu et le collectif. Il ne s’agit toutefois ni d’un débat, ni d’une dispute : les questions et réponses relèvent davantage d’une maïeutique, d’un accouchement de la pensée qui transforme les sentiments en réflexions. Le spectacle travaille cette mise en mots par un procédé de répétition, présent dans le texte, qui fait entendre grâce au jeu des acteur.rices des variations d’intention.
Surtout, la scénographie fait apparaître un espace duel, suspendu entre le symbolique et le dépouillé. Un petit carré représente au centre du plateau un ring de boxe, avec des chaises et des bancs sur lesquels l’acteur et l’actrice viendront s’asseoir. La tension entre la petitesse de l’espace ainsi figuré et la pluralité des chaises symbolise ce cours ambigu, ni cours particulier, ni cours collectif. Des lumières latérales font apparaître les ombres agrandies des personnages, à la manière d’une caverne qui a partie liée avec celle de Platon. Comme chez le philosophe grec, ces ombres s’estompent au fur et à mesure que l’échange progresse, comme si les illusions disparaissaient.
La réussite du spectacle repose davantage sur cette scénographie, qui nous enferme dans un hors-temps allégorique, que sur le texte lui-même, qui n’aborde les notions philosophiques que de façon rapide, et somme toute attendue.
Un peu de métissage avec On marronne ? (Si ça te dit, viens), création canado-togolaise de Gustave Akakpo (texte) et Geneviève Pelletier (mise en scène). Ce spectacle interroge par le biais de personnages canadiens aux origines diverses la question du marronnage culturel. Le syncrétisme religieux, avec le vaudou et les différentes formes du christianisme (catholicisme et évangélisme notamment), tient ainsi une part importante dans les débats et harangues des un.es et des autres. Face public ou face à face, les acteurs et actrices défendent une identité riche et multiple, faite de différents récits cosmogoniques.
Cette variété n’est pas seulement celle des Afrodescendant.es : les « premières nations » du continent américain sont représentées dans les prises de parole, comme dans l’égrenage des noms des territoires autochtones qui précèdent le spectacle proprement dit, selon une coutume désormais bien établie au Québec. Cette litanie de noms, qui rend hommage à ces nations martyrisées, gagne une intensité musicale et poétique par la répétition en anaphore de « nous reconnaissons », qui scande le texte à la manière d’une formule magique.
La musique apparaît également comme une part importante de ce marronnage culturel. Au son mixé en direct répondent des instruments à vent et des maracas, syncrétisme musical qui tisse un lien entre différentes traditions musicales. Au cœur de la dramaturgie et de la mise en scène, cette musique thématise tous les enjeux de la pièce.
Enfin, l’humour ponctue régulièrement le texte, comme dans ce bel éloge paradoxal du vice. Petit bémol : les acteurs et actrices sont parfois un peu en force, ce qui ne rend pas tout à fait justice à la qualité du travail accompli.
Les Francophonies, ce sont aussi des débats et des prix. La question des langues françaises comme vecteur de fraternité (ou de sororité ?) a ainsi été étudiée dimanche 24 septembre avec Annick Lederlé (cheffe de la mission sensibilisation et développement des publics à la DGLFLF), Danielle Le Saulx Farmer (metteuse en scène et développeuse du projet Oh ! Canada, sur le fait francophone au Canada), Noémie F. Savoir (comédienne et travaillant au même projet), Dalila Boitaud Mazaudier (autrice et metteuse en scène) et Mimi O’Bonsawin (chanteuse).
Le malaise des francophones canadien.nes non québécois.es a fait l’objet de longs développements : impensés des réflexions hexagonales comme québécoises, ces locuteurs et locutrices du français en situation minoritaire subissent une double incompréhension, de la part des anglophones comme des Québécois.es, qui découvrent leur existence au hasard des rencontres. Les personnes issues des premières nations, dont le rapport aux langues est lui aussi riche et multiple, ont également été représentées par Mimi O’Bonsawin (fille d’une mère franco-ontarienne et d’un père abénaquis), qui a rapidement évoqué son histoire familiale.
Une rencontre suivie de la remise des prix annuelle, avec un Prix RFI Théâtre remis à Eric Delphin Kwegoué pour son texte A cœur ouvert. L’auteur camerounais en a profité pour aborder la situation politique de son pays et la censure qui y règne, rendant périlleuse la vie des artistes. Le Prix SACD de la dramaturgie francophone a pour sa part été attribué à la Belge Pamela Ghislain pour son texte Lune.
Une remise des prix conclue par Gustave Akakpo, venu présenter sa lettre ouverte au Président de la République « en solidarité aux artistes du Sahel », qui rappelle notamment que ces derniers « subissent, d’une part, les injonctions des régimes que vous qualifiez vous-même de putschistes et, d’autre part, la décision française qui ôte le droit fondamental accordé à tout être humain de circuler librement ». Une lettre déjà signée par plusieurs personnalités du monde culture, dont Hassane Kassi Kouyaté.
Le festival se déroule jusqu’au 30 septembre.
Visuels : affiche du festival (détail) – Christophe Péan (photos)