Créé en 1984 par Pierre Debauche, le Festival des Francophonies – des écritures à la scène rayonne dans Limoges et ses environs jusqu’au 5 octobre. À l’honneur cette année, du théâtre, bien sûr, mais aussi des contes, de la danse ou des visites thématiques de musées limougeauds. Avec, toujours, un seul mot d’ordre : mettre en valeur la création francophone sous toutes ses formes.
Est-il besoin de présenter en ces pages ce festival quadragénaire ? Lieu de rendez-vous incontournable de la création francophone, il a su, au fil du temps, tisser des liens indéfectibles avec de nombreux partenaires locaux et internationaux. Un maillage d’espaces de programmation qui permet de varier les formats et les formes.
À tout seigneur, tout honneur : la Côte d’Ivoire occupe cette année la place de choix, avec de nombreux spectacles aux allures variées. La danse, toutefois, y est particulièrement représentée, avec notamment les propositions de Massidi Adiatou, qui recrute ses danseurs et danseuses dans des quartiers très populaires d’Abidjan. Il s’attelle à leur dispenser une formation chorégraphique de haut niveau, comme en témoignent ses deux créations, Abidjan-Limoges, le plus court chemin (déambulation participative qui ouvrit cette édition du festival mercredi) et On descend à la rue Princesse, accueillie mercredi et vendredi au Grand-Théâtre de Limoges.
La rue Princesse du titre, c’est une rue d’Abidjan qui eut son heure de gloire dans les années 1990 et 2000, peuplée de bars, de night-clubs et autres lieux nyctalopes, avant sa destruction en 2011 par les pouvoirs publics, qui la considéraient trop subversive.
Massidi Adiatou et sa compagnie lui rendent hommage en imaginant dans un avenir proche la vie d’une boîte un peu folle, le « New Black ». Le spectacle met en scène la vie de ce lieu imaginaire en transformant le plateau du théâtre en bar dansant où s’entrecroisent serveuses, client.es et danseur.ses. Les musiques s’enchaînent sans solution de continuité et les quinze artistes dansent en chœur leur joie d’être ensemble, tandis que les costumes marquent l’exubérance de leurs personnages. Leurs pas sont très influencés par les danses urbaines, qu’iels interprètent avec une grande virtuosité et un grand enthousiasme. Leur énergie s’est d’ailleurs avérée communicative, la salle participant peu à peu à l’ambiance avant d’envahir la scène.
La danse contemporaine est décidément ivoirienne cette année, puisque la Maison des Arts et de la Danse Jean Moulin accueillait ce week-end Humming Birds – Made in Côte d’Ivoire du chorégraphe Abdoulaye Trésor Konaté. S’inspirant de la fable, chère à Pierre Rabhi, qui prête aux colibris le comportement civique par essence, ce spectacle chorégraphique se présente comme une réinterprétation chorale d’un spectacle créé par le chorégraphe en 2016, Humming Bird – Colibri.
Le changement de format fonctionne parfaitement : Humming Birds – Made in Côte d’Ivoire apparaît avant tout comme un hymne au groupe et au collectif. Un vase en terre plein d’eau, en avant-scène, figure la source avec laquelle les oiseaux cherchent à éteindre les incendies forestiers. Si l’une des danseuses s’y approvisionne, en effet, ce sont avant tout les liens au sein des groupes humains qui sont signifiés, des ficelles envahissant peu à peu la scène et reliant entre elles.eux, par leur seule présence, les individus dont est faite une société. La lumière ocre miroite sur les corps, qui semblent ainsi faits d’un seul et même ensemble, empreints d’une forte sensualité.
En marge de ce spectacle, la danseuse Désirée Larissa Koffi propose au musée Adrien Dubouché un cruel solo sur le deuil. LOST nous la montre égrenant, à la manière d’un long chapelet, des cadres vides que l’on ne saura combler. Nouveauté de cette année, de petites formes chorégraphiques étaient programmées dans des musées qui proposaient un parcours dans les collections. Une médiatrice du Musée Adrien Dubouché, consacré à la céramique et à la porcelaine, a ainsi saisi l’occasion de mettre en valeur les ressources du musée grâce à une visite originale, avec la danse comme fil conducteur. De l’Antiquité grecque aux danseuses de jazz, en passant par Loïe Fuller et Isadora Duncan, c’est un nouveau regard sur l’art limougeaud par excellence qu’est la porcelaine que le public put livrer.
Le texte du lauréat du Prix RFI-Théâtre de l’année précédente eut les honneurs d’une mise en scène, assumée par son auteur lui-même, l’écrivain camerounais Éric Delphin Kwégoué. À Cœur ouvert relate ainsi les pressions exercées par la classe politique sur les journalistes ayant l’outrecuidance de mettre le nez dans leurs affaires. En phase avec la réalité politique camerounaise, elle manifeste l’engagement de son auteur face à la corruption et au muselage musclé de la presse. Alternant action, récit et harangue politique, cette pièce met en évidence, avec gravité, mais aussi quelques moments d’humour, les exactions auxquelles sont prêts les dirigeants soucieux de conserver leurs secrets.
Eu égard à la vocation de découverte du festival, la matinée de dimanche s’est achevée par la remise des traditionnels prix : le Prix RFI-Théâtre fut attribué à l’auteur malgache Gad Bensalem pour sa pièce Enfant, qui présente un routier à la recherche de son père. Quant à la SACD, elle remit deux prix de la dramaturgie francophone, On ne part pas avec une vie qui danse ! de l’autrice haïtienne Phannuella Tommy Lincifort, qui imagine un dialogue entre une femme et le fœtus dont elle fut contrainte d’avorter, et Tatrïz, de la Suissesse Valentine Sergo, qui réfléchit à la mémoire du conflit israëlo-palestinien. Des extraits de ces pièces ont fait l’objet de lectures par des élèves de la classe Outre-mer de l’École du Théâtre de l’Union-Centre dramatique national, dispositif développé en 2018 et réunissant au sein d’une même classe des élèves issu.es des différents territoires d’Outre-mer.
Enfin, d’autres spectacles sont à découvrir dans les jours qui viennent, à l’instar du texte de Penda Diouf La Grande Ourse, mis en scène par Anthony Thibault (mercredi et jeudi au Théâtre Jean-Lurçat-Scène nationale d’Aubusson), Je suis blanc et je vous merde, du Comorien Soeuf Elbadawi (jeudi et samedi à l’espace Jean Gagnant), Aimer en stéréo, de l’autrice haïtienne Gaëlle Bien-Aimé (vendredi et samedi au Théâtre de l’Union) ou encore un concert des Amazones d’Afrique (Oumou Sangaré, Mariam Doumbia et Mamani Keita) au Grand Théâtre de Limoges.
La profusion de ces propositions est à l’image de la vitalité de la création francophone non hexagonale, qui n’a souvent besoin que (!) d’apports en production et de visas, toujours plus difficiles à obtenir, pour essaimer sur l’ensemble des territoires de la francophonie. Les 4 et 5 octobre se tiendra à Villers-Cotterêts le Sommet de la Francophonie, dont la mission est de mettre la langue française à l’honneur. Le festival Les Francophonies – Des écritures à la scène et la programmation de spectacles contemporains issus de l’ensemble de la planète sont sans doute le plus court chemin pour atteindre cet objectif et lui rendre visage humain et vivant, dépourvu de tout relent colonialiste.
Le Festival des Francophonies – des écritures à la scène se déroule jusqu’au 5 octobre dans Limoges et ses environs.
Visuel : Photo de Humming birds – Made on Côte d’Ivoire ©Christophe Pean