Les « Voix nouvelles 2023 » en tournée

Une série de récitals à la clé

La Finale du concours de ces jeunes talents s’était déroulée à l’Opéra-Comique et Cult en avait rendu compte. 396 candidats entendus par 7000 spectateurs constituent un vrai challenge pour nos jeunes artistes, et une aide précieuse au développement d’une carrière pour les heureux lauréats.

Outre les prix, les gagnants se voient offrir la possibilité de participer à des tournées de récitals dans les théâtres partenaires. La Caisse des Dépôts et  la fondation Orange sont mécènes de Génération Opéra, organisateur du concours. Le théâtre des Champs-Élysées offrait ainsi sa salle pour un concert avec piano ce 17 février.

Malheureusement ici comme un peu partout, la grippe a son lot de « victimes » et Emily Gazeilles, qui avait remporté le sixième prix et devait chanter hier soir, a dû renoncer. C’est la jeune soprano Appoline Raï-Westphal, que nous avions entendue dans divers petits rôles de l’Armide de Lully, dirigée par Christophe Rousset salle Favart, qui a donc pris sa place.

Et c’est elle qui a la lourde charge d’ouvrir le bal avec « Adieu notre petite table », extrait du Manon de Jules Massenet, un air difficile à interpréter en dehors du contexte puisque la jeune femme y décrit ses hésitations entre son amour pour Des Grieux et la vie confortable qu’elle peut avoir en le quittant, air qui passe par une succession d’émotions contradictoires. La jeune soprano a un fort joli timbre, mais se montre insuffisante dans l’incarnation d’un rôle qui nécessite davantage de caractérisation pour prendre tout son sens.

Un répertoire élargi pour Léo Vermot-Desroches

Les extraits du Roméo et Juliette de Gounod que nous proposent ensuite le ténor Léo Vermot-Desroches (deuxième prix) et la soprano Héloïse Poulet (quatrième prix), sont d’une tout autre facture et emportent aussitôt l’adhésion du public. Si le ténor a parfois tendance à enfler exagérément ses aigus de manière un peu artificielle, il montre qu’il possède une belle voix puissante et le sens des nuances.

Il se montre par la suite plus à l’aise dans Roméo que dans Werther où l’absence d’orchestre pour « porter » sa voix complique un peu la tâche d’un ténor aussi puissant. Sachant varier avec talent son style, il est par la suite charmant en Tamino (La Flûte Enchantée) et en Tony (West Side Story), puis incisif dans le trio du Zigeuner Baron de Johann Strauss (et non Richard comme indiqué par erreur dans le programme). Il prouve au cours de la soirée que ses moyens sont considérables et que son répertoire s’élargit avec bonheur.

Héloïse Poulet remporte tous les suffrages

Mais c’est Héloïse Poulet, à notre sens, qui remporte tous les suffrages et  occupe la plus belle place durant le concert avec un magistral et très impressionnant « Non Monsieur mon mari ! » extrait des Mamelles de Tirésias de Francis Poulenc, une prestation éblouissante par la maitrise d’une mélodie complexe, des changements de rythme d’une part, du jeu de scène d’autre part, le tout parfaitement articulé et magnifiquement incarné.

Toutes ses apparitions sont de haut niveau, timbre pulpeux, projection puissante, aisance scénique, qu’elle chante Roméo et Juliette ou La fille de Madame Angot, où elle partage la vedette avec la mezzo Juliette Mey.

Cette dernière ravit l’auditeur par la beauté de ses vocalises rossiniennes dans la Cenerentola ou le charme de son legato en Dame de la Flûte enchantée et dans « Sull Aria » des Noces de Figaro. Charmante Ruggiero il y a peu dans Alcina, nous constations déjà une virtuosité impressionnante, mais une voix un peu « petite » qui devra sans doute s’étoffer pour incarner Angelina, la Cenerentola, avec efficacité.

Lotte Verstaen et Livia Louis-Joseph-Dogué, deux chanteuses à suivre

La mezzo-soprano Lotte Verstaen, elle, ne manque pas de coffre et sa voix s’apparente souvent à celle de ces belles contraltos qui ont pour elles des graves étoffés et magnifiques. « L’air des Lettres » de Werther était un exercice difficile sans orchestre, mais elle donne du personnage de Charlotte alors en plein émoi, une incarnation profonde qui ne demande qu’à s’épanouir dans un cadre plus favorable. Son « Habanera » extraite de Carmen, air piège, car mille fois interprété par d’autres, se montre tout à fait honorable.

C’est une artiste à suivre de près, fort intéressante, tout comme Livia Louis-Joseph-Dogué avec laquelle elle forme un très beau duo dans la « Barcarolle » d’Offenbach. Cette dernière avait remporté le prix du public en 2023, jeune talent des voix d’outre-mer, et interprète très brillamment le célèbre « Summertime » de Porgy and Bess.

Le « tonight » de West Side Story complète les prestations des uns et des autres en se terminant par un ensemble avant le « bis », l’agréable « c’est l’amour », extrait des Saltimbanques, petite valse sans prétention.

On n’oubliera le pianiste Rodolphe Lospied, un peu retrait durant ce concert et qui semblait ne surtout pas vouloir déstabiliser les chanteurs et chanteuses par son jeu. Pourtant, la qualité y était et un peu plus de sonorité n’aurait pas nui à l’équilibre musical de ces airs d’opéra.

Une soirée agréable qui permet de voir l’évolution de jeunes artistes prometteurs.