Fort du succès rencontré lors du Festival d’Avignon 2022 et la saison dernière, Richard II mis en scène par Christophe Rauck est repris au Théâtre Nanterre-Amandiers. La pièce est traversée par les génies du metteur en scène et de Micha Lescot dans le rôle titre.
C’est l’histoire tragique du roi Richard II qui, après un règne de vingt-deux ans, abdiqua. La pièce s’ouvre en 1398 sur une violente querelle entre Bolingbroke et Mowbray. Des accusations mutuelles de trahison amènent Bolingbroke, fils aîné de Jean de Gand et cousin du roi, et Mowbray, duc de Norfolk à un duel judiciaire. Le roi Richard, qui préside cette cérémonie, l’interrompt brutalement pour condamner les deux adversaires à l’exil. Lorsque Jean de Gand meurt l’année suivante, Richard II s’empare de tous les biens du défunt pour pouvoir faire la guerre en Irlande, déshéritant ainsi totalement Bolingbroke. Ce dernier quitte la France, aborde dans le nord de l’Angleterre, rassemble des troupes. Il est rejoint en chemin par d’autres nobles, qui craignent d’être à leur tour dépossédé par Ricard II. Quand Richard débarque enfin au Pays de Galles, sans troupes, trahi par ses derniers partisans et abusé par les stratagèmes des amis de Bolingbroke, il est rapidement capturé. Bolingbroke ne réclame au début que la restitution de ses titres et terres, ce qui lui est accordé. Mais l’impopularité du roi et son absence de soutien permettent à Bolingbroke d’usurper la couronne d’Angleterre, pour laquelle il n’avait pourtant aucun droit. Richard doit abdiquer. Bolingbroke est couronné roi sous le nom de Henri IV. Quant à Richard, il sera assassiné par un proche du nouveau roi.
Son royaume intéresse. Le roi Richard est légitime, mais déconnecté du peuple. La validité de son royaume ne se soutient de rien ni de personne tandis que Bolingbroke, lui, cherche à conquérir sa légitimité auprès du peuple. Shakespeare nous est nécessaire, car il pose une question fondamentale et éternelle : Combien de trahisons, de compromissions, de corruptions ou de renoncements sont nécessaires et jusqu’où peut-on repousser les limites d’une certaine éthique politique pour asseoir son pouvoir ? Et de quoi se fabrique la légitimité ?
Shakespeare nous oblige à réagir, à réfléchir, à chercher au-delà des apparences ou des évidences ; à aller vers la complexité, à lire entre les trous et les troubles de l’Histoire. L’itinéraire de Richard est induit par l’Histoire, par sa prise de conscience de ses erreurs passées et de ce moment charnière annonciateur d’un cycle historique qui touche à sa fin.
La force de la mise en scène, abstraite, incertaine, vaporeuse et ombragée, invente la tragédie du doute. Qui est aussi la tragédie de la légitimité. La pénombre et la sous-saturation renforcent l’idée que Richard II siège sans trône, se tient devant nous sans s’y tenir vraiment. Une vidéo de la mer qui se retire sera le seul moment d’horizontalité d’une scénographie qui privilégie la verticalité. La scéno figure une accablante verticalité ; le ciel protège toujours le droit ; des nuages jaloux obscurcissent la gloire d’un règne qui ne semble ne pas s’imposer ; Richard II marche sous ces cieux et au milieu d’une assemblée vide vers un sacrement qui se rebelle. Micha Lescot impressionne d’épouser ce trait vaporeux et délicatement inconstant. Avec ses partenaires, il impose définitivement le choix de Rauck. Il paraît planer au bord de l’immatérialité.
Le premier trait de génie de la mise en scène réside dans cette matérialité qui échappe dans les pénombres. L’autre génie fait contrepoint à l’habileté de Shakespeare à raconter les traumatismes inconscients. Quand un homme réagit bizarrement à une situation donnée, sa réaction, on le sait, est influencée par des expériences précédentes dont la nature ressemble à l’expérience vécue au présent. La réaction est toujours composée d’une réaction à des situations précédentes qui sont inconsciemment ressenties comme similaires. Christophe Rauck apporte cette épaisseur diachronique et psychologique au personnage de Richard II. Il y a un peu de Hamlet dans le Richard II échafaudé par le metteur en scène et par son comédien.
Si Richard II est l’ombre porté du roi immatériel sur la silhouette de Micha Lescot, le corps, les gestes et la voix du comédien qui s’enveloppent de lumières erratiques et fuyantes, sont les ombres portés de toute l’âme du roi. Ainsi, viennent les ombres portées qui s’abattent sur scène de nos propres conflits inconscients. À en frémir, de plaisir.
Richard II
Texte
Shakespeare
Mise en scène
Christophe Rauck
Avec
Louis Albertosi
Thierry Bosc
Éric Challier
Murielle Colvez
Cécile Garcia Fogel
Joaquim Fossi
Pierre-Thomas Jourdan
Micha Lescot
Guillaume Lévêque
Emmanuel Noblet
Pierre Henri Puente
Traduction
Jean-Michel Déprats
Dramaturgie
Lucas Samain
Scénographie
Alain Lagarde
Vidéo
Etienne Guiol
Crédit photo ©Géraldine Aresteanu