C’est un texte complexe que ce Poings, de Pauline Peyrade, où la typographie défie toute analyse univoque et, partant, toute facilité scénique. Pourtant, Céleste Germe et le collectif Das Plateau ont relevé le défi haut la main en présentant une proposition intelligente et sensible, qui fait vibrer sur le plateau du Monfort toute la violence du texte.
Cela commence sous les spotligts et les rumeurs d’une rave party, où MOI, la récitante, est venue s’amuser. Elle est happée par la danse et les chorégraphies de ses voisin.es. Un homme, toutefois, s’approche d’un peu près. De vraiment très près. De beaucoup trop près. « Crie, repousse-le », lui susurre une voix à laquelle elle n’arrive pas à obéir. C’est cette voix, TOI, qui, désormais, nous accompagnera.
L’instance narrative est ainsi dédoublée en deux voix qui signifient la diffraction des victimes de viol et de violences conjugales. L’une nous raconte ce qu’elle vit à la première personne, une autre, plus lointaine, aux deuxième et troisième personnes : c’est toujours la même femme et, pourtant elle voit tout de loin, séparée par une vitre épaisse de son enveloppe corporelle.
Cette dissociation est rendue sur scène par un ingénieux dispositif, fait de miroirs et de projections, qui dédouble la comédienne en autant d’images. Des images, seulement, car MOI nous paraît lointaine, évanescente, comme si elle quittait son corps. Le jeu sur la profondeur du plateau participe de cet éloignement : une grande part de la pièce est jouée en fond de scène, séparée du public par une distance qui semble infranchissable.
Si MOI quitte à un ou deux moments cette diffraction vaporeuse, c’est pour nous raconter longuement, face public, au proscenium cette fois, l’acmé des violences conjugales qu’elle vit ensuite. La voir de si près, dans toute sa dimension charnelle, crée un tel contraste avec les images qui précèdent que le nouveau viol – puisque c’est de cela qu’il s’agit – n’en résonne que plus fortement.
La langue de Pauline Peyrade est une langue rugueuse, qui accorde une large part aux litanies comme autant d’expressions du retour lancinant du trauma. Elle mêle la précision des notations concrètes aux évocations plus métaphoriques des troubles liés au traumatisme et à l’emprise – mais sont-ce seulement des métaphores ?
La mise en scène de Céleste Germe est parfaitement servie par la prestation de Maëlys Ricordeau, qui prête à MOI et à TOI un corps et une voix qui oscillent entre ferme incarnation et présence plus fantomatique. Un spectacle important, à (re)découvrir absolument.
Poings, texte de Pauline Peyrade, mise en scène de Céleste Germe, avec Antoine Oppenheim et Maëlys Ricordeau.
Le spectacle est joué au Monfort dans le cadre d’un focus sur le collectif Das Plateau.
Visuel : ©Simon Gosselin